L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat Métsora, l’héroïsme des quatre lépreux

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Il est des plaies qui, pareilles à la lèpre, rongent l’âme, lentement, dans la solitude.” (La Chouette aveugle- Sadegh Hedayat)

La haftarat Métsora[1] évoque la lèpre dont sont frappés quatre hommes et complète en cela l’enseignement concernant cette maladie spirituelle, enseignement donné dans la haftarat Tazria. Mais si la haftarah précédente Tazria évoque la lèpre sous l’angle de la faute – le chef d’armée syrien Na’aman est frappé de la lèpre en raison de son orgueil – la haftarat Métsora évoque, quant à elle, la noblesse d’esprit de ces quatre lépreux qui vont agir avec héroïsme. 

Comment pouvons-nous définir la grandeur d’âme de ces quatre lépreux mis à l’écart du reste du monde en raison d’une probable faute commise (Lévitique 13 : 45-46) ?

Après avoir pénétré prudemment dans le camp syrien qui assiège la capitale du royaume du Nord, ShoMRoN (la ville de Samarie) pour être épargnés par la cruelle famine sévissant à Samarie à la suite du siège des Syriens (II Rois 6, 24-25), les quatre lépreux, malgré la crainte qui les étreint, sont témoins d’une vision pour le moins énigmatique et surprenante. Le camp syrien s’est vidé de l’intégralité de ses soldats. C’est alors que, profitant du miracle inattendu, ils décident de jouir des biens abandonnés par ces derniers :

ח וַיָּבֹאוּ הַמְצֹרָעִים הָאֵלֶּה עַד-קְצֵה הַמַּחֲנֶה וַיָּבֹאוּ אֶל-אֹהֶל אֶחָד וַיֹּאכְלוּ וַיִּשְׁתּוּ וַיִּשְׂאוּ מִשָּׁם כֶּסֶף וְזָהָב וּבְגָדִים וַיֵּלְכוּ וַיַּטְמִנוּ וַיָּשֻׁבוּ וַיָּבֹאוּ אֶל-אֹהֶל אַחֵר וַיִּשְׂאוּ מִשָּׁם וַיֵּלְכוּ וַיַּטְמִנוּ. (מלכים ב, ז: ח)  8 Donc ces lépreux, parvenus à l’extrémité du camp, entrèrent dans une tente, y mangèrent et burent, en emportèrent de l’argent, de l’or et des vêtements, qu’ils allèrent enfouir ; puis ils entrèrent dans une autre tente, d’où ils emportèrent des objets qu’ils enfouirent également. (II Rois 7 : 8).

Puis, livrés à eux-mêmes, ils se ressaisissent et agissent en leur âme et conscience :

ט וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ לֹא-כֵן אֲנַחְנוּ עֹשִׂים הַיּוֹם הַזֶּה יוֹם-בְּשֹׂרָה הוּא וַאֲנַחְנוּ מַחְשִׁים וְחִכִּינוּ עַד-אוֹר הַבֹּקֶר וּמְצָאָנוּ עָווֹן וְעַתָּה לְכוּ וְנָבֹאָה וְנַגִּידָה בֵּית הַמֶּלֶךְ. (מלכים ב, ז: ט)9 Et ils se dirent alors l’un à l’autre : “Nous n’agissons pas bien. Aujourd’hui, c’est un jour de bonne nouvelle ; si nous gardons le silence et que nous attendions jusqu’au jour, nous nous rendons passibles d’un châtiment. Venez donc, allons l’annoncer dans le palais du roi.” (II Rois 7 : 9).

Mais où est donc leur héroïsme, si l’on tient compte du fait que de prime abord ils semblent agir par la crainte du châtiment possible provenant du roi ?

Tout d’abord il nous faut remarquer l’expression notable «וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-רֵעֵהוּ /Et ils s’adressent la parole l’un à l’autre, chacun à son prochain ». Cette solidarité mutuelle, probablement encouragée par la lèpre et la faim, s’étend à tout le peuple d’Israël et ne se circonscrit plus à leur seule personne. En effet, l’expression suivante «הַיּוֹם הַזֶּה יוֹם-בְּשֹׂרָה הוּא /Aujourd’hui, c’est un jour de bonne nouvelle ! » (II Rois 7 : 9) témoigne de l’émergence d’une conscience où transparaît le sens de la responsabilité collective.

Les lépreux deviennent l’instrument de la Volonté divine mentionnée au tout début du chapitre 7 aux versets 1 et 2 qui ne sont point inclus dans le corps de la haftarat Métsora selon les rites ashkénaze et séfarade, mais seulement selon les rites yéménite et italien. Ces deux versets éclairent les paroles prononcées par le prophète Elisha et mises en doute par l’officier du roi d’Israël :

א וַיֹּאמֶר אֱלִישָׁע שִׁמְעוּ דְּבַר-יְהוָה כֹּה אָמַר יְהוָה כָּעֵת מָחָר סְאָה-סֹלֶת בְּשֶׁקֶל וְסָאתַיִם שְׂעֹרִים בְּשֶׁקֶל בְּשַׁעַר שֹׁמְרוֹן. ב וַיַּעַן הַשָּׁלִישׁ אֲשֶׁר-לַמֶּלֶךְ נִשְׁעָן עַל-יָדוֹ אֶת-אִישׁ הָאֱלֹהִים וַיֹּאמַר הִנֵּה יְהוָה עֹשֶׂה אֲרֻבּוֹת בַּשָּׁמַיִם הֲיִהְיֶה הַדָּבָר הַזֶּה וַיֹּאמֶר הִנְּכָה רֹאֶה בְּעֵינֶיךָ וּמִשָּׁם לֹא תֹאכֵל. (מלכים ב, ז: א-ב)1 Et Elisée dit alors : “Ecoutez la parole de l’Eternel ; voici ce qu’il annonce : Demain, à pareille heure, à la porte de Samarie, on aura une mesure de fleur de farine pour un sicle, et pour un sicle aussi deux mesures d’orge.” 2 Et l’officier sur lequel le roi avait l’habitude de s’appuyer s’adressa en ces termes à l’homme du Seigneur : “Même si l’Eternel ouvrait des cataractes au ciel, pareille chose serait-elle possible ?” “Tu le verras de tes yeux, lui répondit le prophète, mais tu n’en jouiras point.” (II Rois 7 : 1-2).

Ce sont ceux-là même qui, rejetés par leur propre environnement social, en viennent de fait à sauver leur propre peuple. Ces lépreux devenus parias de la société semblent donner une leçon de compassion à ceux-là même qui les ont écartés de toute vie collective. Des hommes sans nom mis au ban de la société deviennent des héros malgré eux !

Le salut vient souvent de celles et ceux dont la société n’attend rien. La source biblique nous enseigne que même « les pestiférés » et les exclus en tous genres non seulement ont leur place dans toute société mais peuvent être les acteurs de leur propre rédemption. Ainsi, en Inde, la figure emblématique de Bhimrao Ramji Ambedkar, moins connue que celle de Mahatma Gandhi et de Nehru, est à ce propos éloquente. Bhimrao Ramji Ambedkar (1891- 1956), né dans la caste des Intouchables des Mahars apprêtés au nettoyage de carcasses d’animaux morts, est le père fondateur de l’Inde moderne. Il est le principal rédacteur de la Constitution indienne. Défenseur des dalits -“les opprimés, les brisés”- il est appelé par Nehru qui le nomme ministre de la Justice. Il réforme le principe d’intouchabilité qu’il abolit. Toutefois, Bhimrao Ramji Ambedkar, désavoué par Nehru et convaincu que l’hindouisme repose sur le principe inamovible des castes, présente sa démission du gouvernement et décide de se convertir au bouddhisme qu’il juge plus égalitaire.

Et si la haftarah mentionne le lieu où réside les quatre lépreux, « à la porte de la cité », c’est probablement pour nous enseigner qu’ils remplacent les juges ou les notables de la cité. La porte de la cité est, dans le TaNaKh, le lieu où les juges rendent la justice, où les Sages délivrent leur message de paix et où les prophètes fustigeant la nation en appellent à la Justice :

טו שִׂנְאוּ-רָע וְאֶהֱבוּ טוֹב, וְהַצִּיגוּ בַשַּׁעַר מִשְׁפָּט… (עמוס ה: טו)15 Haïssez le mal, aimez le bien et faites prévaloir le droit aux portes … (Amos 5 : 15).

L’affection de la lèpre en tant que bonne nouvelle pour l’avenir s’exprime également dans l’étrange problème selon lequel le Messie lui-même est un lépreux et siège aux portes de Rome, comme il est écrit dans le Traité du Sanhédrin (98 : b) : « Quel est le nom (du Messie) ? Nos rabbanim enseignent : le lépreux de la maison de Rabbi, car il est dit : ” Et pourtant ce sont nos maladies dont il était chargé, nos souffrances qu’il portait, alors que nous, nous le prenions pour un malheureux atteint, frappé par Dieu, humilié”. » (Isaïe 53 : 4).

« Et la Guemara continue de raconter : Rabbi Yehoshua ben Levi … a rencontré Eliyahou à l’entrée de la grotte de Rabbi Shimon Bar Yo’haï, et il lui a de nouveau demandé quand le Messie viendrait. Cette fois Elie lui répondit : Va le lui demander à lui-même ! Voici qu’il est assis à l’entrée de la ville de Rome. Et quels en sont les signes ? Le Messie change les pansements des lépreux aux portes de Rome. Les Sages disent : « A propos d’Élie le prophète et ses paroles sur la future rédemption, car le Messie est assis parmi les pauvres et les malades aux portes de Rome. Ils pansent toutes leurs blessures à la fois, mais le Messie « enlève un pansement et en met un autre » (Sanhedrin 98 : a), il panse ses plaies une à une, chaque plaie avec un pansement différent.

« Cela signifie que si la lésion de la lèpre indique une tension entre la personnalité intérieure d’une personne et son extériorité sociale, on peut comprendre que le Messie sera la personne qui vivra véritablement et intériorisera cette tension et par sa souffrance et son expérience, la résoudra. »

Un très beau commentaire des Sages du Talmud (Traité Sanhedrin 98 : b) enseigne que le Messie assis aux portes de Rome sera reconnu à sa lèpre : 

ד אָכֵן חֳלָיֵנוּ הוּא נָשָׂא, וּמַכְאֹבֵינוּ סְבָלָם וַאֲנַחְנוּ חֲשַׁבְנֻהוּ נָגוּעַ מֻכֵּה אֱלֹהִים וּמְעֻנֶּה. (ישעיהו נג: ד)4 Et pourtant ce sont nos maladies dont il était chargé, nos souffrances qu’il portait, alors que nous, nous le prenions pour un malheureux atteint, frappé par le Seigneur, humilié. (Isaïe 53 : 4).

Le prophète Isaïe mentionne Israël qui, frappé durant deux mille ans d’anathème par les Nations en supportant leurs fautes, est appelé à sauver le monde.

יח  כָּל-זֹאת בָּאַתְנוּ וְלֹא שְׁכַחֲנוּךָ וְלֹא-שִׁקַּרְנוּ בִּבְרִיתֶךָ.(תהילים מד : יח)18 Tout cela nous est advenu, sans que nous t’ayons oublié, sans que nous ayons trahi ton Alliance.(Psaumes 44 : 18)

[1] Parashat Métsora : Lévitique 14 : 1-15 : 33. – Haftarat Métsora : II Rois 7 : 3-20. 

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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