L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat VaYéra, le pouvoir de l’hospitalité

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« L’hospitalité me semble tout à la fois une vertu et un bonheur » (Honoré de Balzac)

Pourquoi les Sages ont-ils sciemment choisi ce passage[1] du livre des Rois pour compléter la Parashah Vayera ? Quel est le dénominateur commun liant la parashat VaYera et la haftarat VaYera ? Que distingue ces deux extraits bibliques ?

Le dénominateur commun entre les sources réside dans les promesses respectives du prophète Elisée à la Shounamit et de l’un des hommes-messagers angéliques s’adressant à Avraham. Tous deux émettent la promesse que les deux femmes stériles, la Shounamit et Sarah l’épouse d’Avraham, tiendront un enfant dans leurs bras dans l’année qui suivra :

טז וַיֹּאמֶר לַמּוֹעֵד הַזֶּה כָּעֵת חַיָּה אתי (אַתְּ) חֹבֶקֶת בֵּן וַתֹּאמֶר אַל-אֲדֹנִי אִישׁ הָאֱלֹהִים אַל-תְּכַזֵּב בְּשִׁפְחָתֶךָ. (מלכים ב, ד: טז).ש16 Et il [Elisée] lui dit [à la Shounamit) : « A pareille époque, en ce temps vivant, tu serreras un fils dans tes bras. » Elle répondit : « Ah ! Mon seigneur, homme du Seigneur, ne trompe pas ta servante ! » (II Rois 4 : 16).
י וַיֹּאמֶר שׁוֹב אָשׁוּב אֵלֶיךָ כָּעֵת חַיָּה וְהִנֵּה-בֵן לְשָׂרָה אִשְׁתֶּךָ וְשָׂרָה שֹׁמַעַת פֶּתַח הָאֹהֶל וְהוּא אַחֲרָיו. (בראשית יח: י).ש10 Et l’un d’eux reprit : « Certes, je reviendrai à toi en ce temps vivant et voici, un fils sera né à Sarah, ton épouse. » Or, Sara l’entendait à l’entrée de la tente qui se trouvait derrière lui. (Genèse 18 : 10).

Alors que la promesse divine – le terme biblique «כָּעֵת חַיָּה / KaETt ‘HaYiaH- en ce temps vivant » – s’accomplit pour les deux femmes stériles, la réaction de la Shounamit s’oppose à celle de Sarah.  La Shounamit supplie le prophète Elisée de ne point la décevoir, alors que l’épouse d’Avraham, Sarah, ne croit point qu’un miracle puisse se produire, eu égard à son grand âge :

יב וַתִּצְחַק שָׂרָה בְּקִרְבָּהּ לֵאמֹר אַחֲרֵי בְלֹתִי הָיְתָה-לִּי עֶדְנָה וַאדֹנִי זָקֵן. (בראשית יח: יב).ש12 Et Sarah rit en elle-même, disant : « Flétrie par l’âge, cette volupté me serait réservée alors que mon époux est un vieillard!? » (Genèse 18 : 12).

La Shounamit, disposée à croire au miracle divin, émet toutefois un certain doute quant au pouvoir miraculeux octroyé à Elisée. 

טז …וַתֹּאמֶר אַל-אֲדֹנִי אִישׁ הָאֱלֹהִים אַל-תְּכַזֵּב בְּשִׁפְחָתֶךָ. (מלכים ב, ד: טז).ש16 …et elle répondit : « Ah ! Mon seigneur, homme du Seigneur, ne trompe pas ta servante ! » (II Rois 4 : 16).
כח וַתֹּאמֶר הֲשָׁאַלְתִּי בֵן מֵאֵת אֲדֹנִי הֲלֹא אָמַרְתִּי לֹא תַשְׁלֶה אֹתִי. (מלכים ב, ד: כח).ש28 Et elle dit : « Est-ce que j’avais demandé un fils à mon seigneur ? N’ai-je pas dit : Ne m’abuse point ? » (II Rois 4 : 28).

Rappelons qu’Elisée, pourtant disciple et successeur de son maître, le prophète Eliyahou, apprend la nouvelle de la stérilité de la Shounamit par la bouche même de Ghé’hazi son serviteur :

יד וַיֹּאמֶר וּמֶה לַעֲשׂוֹת לָהּ וַיֹּאמֶר גֵּיחֲזִי אֲבָל בֵּן אֵין-לָהּ, וְאִישָׁהּ זָקֵן. (מלכים ב, ד: יד).ש14 Il [Elysée] reprit : « Que faire pour elle ? » Ghé’hazi repartit : « Eh mais ! Elle n’a point de fils, et son époux est un vieillard. » (II Rois 4 : 14).

Sarah, quant à elle, ne croit pas au miracle et fait preuve d’un grand scepticisme. A ce scepticisme la réponse de l’Eternel à Avraham est sans ambiguïté :

יד הֲיִפָּלֵא מֵיְהוָה דָּבָר לַמּוֹעֵד אָשׁוּב אֵלֶיךָ כָּעֵת חַיָּה וּלְשָׂרָה בֵן. (בראשית יח: יד).ש14 Est-il rien d’impossible au Seigneur ? Au temps fixé, en ce temps vivant, je te visiterai et Sara aura un fils « . (Genèse 18 : 14).

L’époque des prophètes à partir d’Eliyahou est une période de trouble extrême au cours de laquelle les miracles foisonnent. Ces miracles se caractérisent par leur visibilité et témoignent d’une croyance amoindrie en l’Eternel. Au contraire, le temps des Patriarches et des Matriarches est celui au cours duquel les miracles sont absents. Il s’agit d’une ère de forte croyance en la Divinité. Les Pères et les Mères d’Israël ne ressentent jamais la nécessité de faire appel au miracle pour croire en l’Eternel. Ils croient en l’Eternel !

Toutefois, quelle que puisse être l’époque, comment les miracles, qu’ils soient visibles ou invisibles, ont-ils pu se produire ?

Dans les deux textes de la parashat VaYera et de la haftarat VaYera, un point commun unit la Shounamit et Avraham. Tous les deux font preuve, respectivement, de noblesse d’esprit en invitant leurs hôtes, pour la première ELiSha’ (Elisée) et pour le second, trois hommes dont l’identité et l’origine ne sont jamais mentionnées.     

Comment Elisha’ est-il capable d’opérer le plus grand des miracles, ressusciter le fils de la Shounamit ? Comment Sarah a-t-elle pu être enceinte et enfanter d’un enfant alors même que rien n’aurait permis d’imaginer qu’un tel miracle puisse se produire, vu son âge avancé ?

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la réponse à cette question n’est probablement pas à chercher chez le prophète Elisha’ ou chez les trois hommes de passage, mais dans l’attitude que manifestent la Shounamit ainsi qu’Avraham.

ח וַיְהִי הַיּוֹם וַיַּעֲבֹר אֱלִישָׁע אֶל-שׁוּנֵם וְשָׁם אִשָּׁה גְדוֹלָה וַתַּחֲזֶק-בּוֹ לֶאֱכָל-לָחֶם וַיְהִי מִדֵּי עָבְרוֹ יָסֻר שָׁמָּה לֶאֱכָל-לָחֶםי נַעֲשֶׂה-נָּא עֲלִיַּת-קִיר קְטַנָּה וְנָשִׂים לוֹ שָׁם מִטָּה וְשֻׁלְחָן וְכִסֵּא וּמְנוֹרָה וְהָיָה בְּבֹאוֹ אֵלֵינוּ יָסוּר שָׁמָּה.  (מלכים ב, ד: ח; 10).ש8 Et il arriva, un jour, qu’Elisée se rendit à Shounâm. Là vivait une femme de distinction, qui le pressa de manger chez elle. Depuis, chaque fois qu’il passait par cette ville, c’est là qu’il entrait pour manger. 10 Préparons, je te prie, une petite cellule avec des murs, et plaçons-y, pour son usage, lit, table, siège et flambeau ; lorsqu’il viendra chez nous, il pourra s’y retirer. » (II Rois 4 : 8 ; 10).
ד יֻקַּח-נָא מְעַט-מַיִם וְרַחֲצוּ רַגְלֵיכֶם וְהִשָּׁעֲנוּ תַּחַת הָעֵץ. ה וְאֶקְחָה פַת-לֶחֶם וְסַעֲדוּ לִבְּכֶם אַחַר תַּעֲבֹרוּ כִּי-עַל-כֵּן עֲבַרְתֶּם עַל-עַבְדְּכֶם וַיֹּאמְרוּ כֵּן תַּעֲשֶׂה כַּאֲשֶׁר דִּבַּרְתָּ. (בראשית יח: ד-ה).ש4 Qu’on aille quérir un peu d’eau ; lavez vos pieds et reposez-vous sous cet arbre. 5 Et je vais apporter une tranche de pain, vous réparerez vos forces, puis vous poursuivrez votre chemin, puisque aussi bien vous avez passé près de votre serviteur. » Ils répondirent : « Fais ainsi que tu as dit ». (Genèse 18 : 4-5).

Deux expressions sont récurrentes dans la péricope aussi bien que dans le passage des prophètes de cette semaine, à savoir « נָא/ NA, je te prie » et « לֶחֶם/ Le’HeM pain ». Le premier terme fait référence à l’empathie des hôtes et le second à la largesse et la noblesse d’esprit de ces derniers. L’hospitalité offerte de manière désintéressée devient source de vie ! L’un des plus grands défis du XXIe siècle sera celui des grandes démocraties face aux migrations d’hommes, de femmes et d’enfants en quête d’un peu de pain et d’un foyer. Auront-elles le courage de recevoir les migrants sans succomber à la démagogie d’un discours xénophobe qui, loin d’annoncer la vitalité d’une société pérenne, conduira au contraire à l’ère d’une civilisation en voie de déclin ?

Selon un commentaire midrashique, l’hospitalité d’Avraham vaudra aux fils d’Israël d’être, lors de la sortie d’Egypte, nourris de la manne et abreuvés gracieusement durant quarante ans dans le désert. L’on apprend donc que le miracle ne s’inscrit en rien dans l’ordre du magique mais de l’attitude de l’Homme envers son prochain. Le miracle de la naissance de l’enfant de la Shounamit et sa résurrection résultent de la bonté de cette dernière et de sa volonté de subvenir à la subsistance et au bien-être du prophète. Il en de même pour le Patriarche Avraham qui ne cherche à aucun moment à connaître l’identité des trois hommes voyageant dans le désert. Ainsi, en offrant la vie et en répondant aux besoins fondamentaux de subsistance à des êtres humains de passage ou même au prophète Elisha’, l’Eternel a modifié le cours des lois de la Nature en prodiguant une descendance à la Shounamit et à Avraham. Mesure pour mesure : Accueillir l’étranger, l’autre et lui faire une place dans la matrice de notre chez soi génère l’inexplicable mystère de la fécondité dans la matrice de la femme stérile.

Le Rabbin Lord Jonathan Sacks enseigne :

« Ce que le passage nous dit, cependant, est quelque chose d’une immense profondeur. Les idolâtres du temps d’Abraham adoraient le soleil, les étoiles et les forces de la nature comme dieux. Ils adoraient le pouvoir et les puissants. Abraham savait cependant que Dieu n’est pas dans la nature mais au-delà de la nature. Il n’y a qu’une seule chose dans l’univers sur laquelle Il a posé Son image : la personne humaine, toute personne, puissante comme impuissante. » (God and Strangers (Vayera 5779).

Relevons d’autres nombreux parallélismes : comme la Shounamit selle son ânesse afin de se rendre à la rencontre du prophète Elisha’ au Mont du Carmel, Avraham également selle son âne afin de marcher jusqu’au mont ‘Horev, à la rencontre de l’Eternel qui y siégea. De plus, parallèlement au texte de la haftarah mentionnant la mort subite du jeune homme pourtant promis par Elisha’ et sa résurrection, le texte de la parashah évoque le « sacrifice » d’Its’hak finalement sauvé in extremis par l’ange divin. Le miracle de la gratitude, expression ultime de l’hospitalité, est au centre de nos textes. Isaïe exprime probablement mieux que tout autre prophète cette notion de reconnaissance découlant de l’hospitalité :   

י וְתָפֵק לָרָעֵב נַפְשֶׁךָ וְנֶפֶשׁ נַעֲנָה תַּשְׂבִּיעַ וְזָרַח בַּחֹשֶׁךְ אוֹרֶךָ וַאֲפֵלָתְךָ כַּצָּהֳרָיִם. יא וְנָחֲךָ יְהוָה תָּמִיד וְהִשְׂבִּיעַ בְּצַחְצָחוֹת נַפְשֶׁךָ וְעַצְמֹתֶיךָ יַחֲלִיץ וְהָיִיתָ כְּגַן רָוֶה וּכְמוֹצָא מַיִם אֲשֶׁר לֹא-יְכַזְּבוּ מֵימָיו. (ישעיהו נח: י-יא).ש10 Et si tu témoignes ta bienveillance à l’affamé et rassasies celui qui est torturé par le besoin, ta lumière brillera au milieu des ténèbres, et ta nuit sera comme le plein midi. 11 Et constamment l’Eternel te guidera, il prodiguera à ton âme des jouissances pures, et fortifiera tes membres ; et tu seras comme un jardin bien arrosé, comme une source jaillissante, dont les eaux ne causent aucune déception. (Isaïe 58 : 10-11).

[1] Haftarat VaYéra: II Rois 4 : 1-37.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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