L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat Yitro, Eternité d’un peuple rebelle

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« Un juif est un symbole de l’éternité. La nation que ni combat ni torture ne pourrait exterminer, la nation que ni le feu ni le passage des civilisations n’ont été en mesure d’effacer de la surface de la terre, la nation qui la première annonce la Parole de Dieu, la nation qui a préservé la prophétie depuis si longtemps et qui l’a transmise au reste de l’humanité, une telle nation ne peut pas disparaître. » (Léon Tolstoï)

La haftarat Yitro[1] et la parashat Yitro[2] ont pour dénominateur commun l’un des plus importants principes qui fondent la particularité d’Israël, la Quedousha, la sainteté.

Que revêt cette notion de sainteté dans les deux textes ?

La parashat Yitro évoque la notion de « Goy qadosh,  גוֹי קָדוֹשׁ Nation sainte ». La vocation du peuple d’Israël est de suivre la volonté du Créateur :

ב דַּבֵּר אֶל-כָּל-עֲדַת בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם קְדֹשִׁים תִּהְיוּ כִּי קָדוֹשׁ אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם. (ויקרא יט: ב)2 « Parle [Moïse] à toute la communauté des enfants d’Israël et dis-leur : Soyez saints ! Car je suis saint, moi l’Éternel, votre Seigneur (Lévitique 19 : 2).

Alors que la parashat Yitro appelle le peuple d’Israël à répondre à sa vocation singulière en devenant « saint », c’est-à-dire « séparé » des autres Nations, la haftarat Yitro, quant à elle, mentionne la Sainteté de l’Eternel par le chant des séraphins que perçoit le prophète Isaïe :

ג וְקָרָא זֶה אֶל-זֶה וְאָמַר קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ יְהוָה צְבָאוֹת מְלֹא כָל-הָאָרֶץ כְּבוֹדוֹ. (ישעיהו ו: ג)3 S’adressant l’un à l’autre, ils s’écriaient : « Saint, saint, saint est l’Eternel-des Armées ! Toute la terre est pleine de sa gloire ! » (Isaïe 6 : 3).

La Sainteté n’appartient qu’à l’Eternel qui transcende sa propre Création.

Même si le prophète Isaïe rencontre subitement la Transcendance divine, comme Moïse, le lien entre l’Homme et l’Essence divine n’est jamais fusionnelle. Cette dernière demeure absolument inaccessible à l’entendement humain et distincte du monde :

ה וָאֹמַר אוֹי-לִי כִי-נִדְמֵיתִי כִּי אִישׁ טְמֵא-שְׂפָתַיִם אָנֹכִי וּבְתוֹךְ עַם-טְמֵא שְׂפָתַיִם אָנֹכִי יוֹשֵׁב כִּי אֶת-הַמֶּלֶךְ יְהוָה צְבָאוֹת רָאוּ עֵינָי. (ישעיהו ו: ה)5 Et je me dis : « Malheur à moi, je suis perdu ! Car je suis un homme aux lèvres impures, je demeure au milieu d’un peuple aux lèvres impures, et mes yeux ont vu le Roi, l’Eternel-des Armées ! » (Isaïe 6 : 5).

Comment un homme peut-il entrevoir la lumière infinie de l’Eternel et continuer à vivre ?

כ וַיֹּאמֶר לֹא תוּכַל לִרְאֹת אֶת-פָּנָי כִּי לֹא-יִרְאַנִי הָאָדָם וָחָי. (שמות לג : כ)20 Et il [l’Eternel] dit : Tu ne saurais voir ma face ; car nul homme ne peut me voir et vivre. (Exode 33 : 20).

A la différence du prophète Isaïe qui est autorisé à entrer dans la zone interdite de la Transcendance divine, l’Eternel, par la voix de son fidèle prophète Moïse, impose une limite aux Hébreux qui ne sauraient contempler la Lumière divine sans mourir :

כא וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה רֵד הָעֵד בָּעָם פֶּן-יֶהֶרְסוּ אֶל-יְהוָה לִרְאוֹת וְנָפַל מִמֶּנּוּ רָב. (שמות יט: כא)21 Et le Seigneur lui dit [à Moïse] : Descends avertir le peuple : ils pourraient se précipiter vers le Seigneur pour contempler sa gloire et beaucoup d’entre eux périraient. (Exode 19 : 21).

Isaïe, qui accepte sa vocation de prophète (Isaïe 6 : 8), contrairement à Moïse, Jérémie et Yona, n’est à aucun instant dénommé « qadosh, saint » car comme tout homme, il reconnaît être impur. La Tora applique très généralement la notion de sainteté à l’ensemble du peuple d’Israël, hormis Elisha (Elisée) qui s’avère être le seul prophète à être appelé ainsi par une femme, comme une marque d’honneur (II Rois 4 : 9).

De plus, la haftarat Yitro et la parashat Yitro témoignent de la Transcendance divine, mais aussi de la révélation de la Présence divine dans le monde :

א בִּשְׁנַת-מוֹת הַמֶּלֶךְ עֻזִּיָּהוּ וָאֶרְאֶה אֶת-אֲדֹנָי יֹשֵׁב עַל-כִּסֵּא רָם וְנִשָּׂא וְשׁוּלָיו מְלֵאִים אֶת-הַהֵיכָל. (ישעיהו ו: א)1 L’année de la mort du roi Ouzia, je vis le Seigneur siégeant sur un trône élevé et majestueux, et les pans de son vêtement remplissaient le Temple. (Isaïe 6 : 1).
כ וַיֵּרֶד יְהוָה עַל-הַר סִינַי אֶל-רֹאשׁ הָהָר וַיִּקְרָא יְהוָה לְמֹשֶׁה אֶל-רֹאשׁ הָהָר וַיַּעַל מֹשֶׁה. (שמות יט: כ)20 Et le Seigneur, étant descendu sur le mont Sinaï, sur la cime de cette montagne, y appela Moïse ; et Moïse monta (Exode 19 : 20).

Alors que le prophète Isaïe est le seul à découvrir la Présence divine qui remplit le Temple, Moïse prépare l’ensemble des Hébreux au dialogue avec l’Eternel et au plus grand évènement fondateur du peuple d’Israël, le Don de la Tora. L’Eternel est tout à la fois loin et près de l’Homme !

Mais quelle est la vocation du prophète Isaïe ? Pourquoi a-t-il pu voir la Lumière divine sans être frappé de mort ?

Isaïe a pour vocation de rappeler premièrement à Israël combien il s’est éloigné de sa vocation :

י הַשְׁמֵן לֵב-הָעָם הַזֶּה וְאָזְנָיו הַכְבֵּד וְעֵינָיו הָשַׁע פֶּן-יִרְאֶה בְעֵינָיו וּבְאָזְנָיו יִשְׁמָע וּלְבָבוֹ יָבִין וָשָׁב וְרָפָא לוֹ. (ישעיהו ו: י)10 Que le cœur de ce peuple soit épaissi, que ses oreilles soient assourdies, que ses yeux soient hébétés, de peur que ses yeux ne voient clair, que ses oreilles n’entendent, que son cœur ne comprenne, qu’il ne s’amende alors et ne soit sauvé ! (Isaïe 6 : 10).

Israël frappé d’amnésie trahit sa vocation d’être « מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים וְגוֹי קָדוֹשׁ un royaume de Cohanim et une Nation sainte » :

ו וְאַתֶּם תִּהְיוּ-לִי מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים וְגוֹי קָדוֹשׁ אֵלֶּה הַדְּבָרִים אֲשֶׁר תְּדַבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל. (שמות יט: ו)6 mais vous, vous serez pour moi un royaume de Cohanim et une Nation sainte.’ Telles sont les paroles que tu tiendras aux enfants d’Israël. » (Exode 19 : 6).

Il trahit aussi sa promesse envers l’Eternel :

ח וַיַּעֲנוּ כָל-הָעָם יַחְדָּו וַיֹּאמְרוּ כֹּל אֲשֶׁר-דִּבֶּר יְהוָה נַעֲשֶׂה וַיָּשֶׁב מֹשֶׁה אֶת-דִּבְרֵי הָעָם אֶל-יְהוָה. (שמות יט: ח).8 Et le peuple entier répondit d’une voix unanime : « Tout ce qu’a dit l’Éternel, nous le ferons ! » Et Moïse rapporta les paroles du peuple au Seigneur. (Exode 19 : 8).

Le peuple d’Israël s’était pourtant engagé par Alliance à être fidèle au principe d’Unité divine et, par conséquent, à ne jamais rendre de culte aux dieux étrangers :

ב אָנֹכִי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ אֲשֶׁר הוֹצֵאתִיךָ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם מִבֵּית עֲבָדִים לֹא-יִהְיֶה לְךָ אֱלֹהִים אֲחֵרִים עַל-פָּנָי. ג לֹא-תַעֲשֶׂה לְךָ פֶסֶל וְכָל-תְּמוּנָה אֲשֶׁר בַּשָּׁמַיִם מִמַּעַל וַאֲשֶׁר בָּאָרֶץ מִתָּחַת וַאֲשֶׁר בַּמַּיִם מִתַּחַת לָאָרֶץ. ד לֹא-תִשְׁתַּחֲוֶה לָהֶם וְלֹא תָעָבְדֵם כִּי אָנֹכִי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ אֵל קַנָּא פֹּקֵד עֲוֺן אָבֹת עַל-בָּנִים עַל-שִׁלֵּשִׁים וְעַל-רִבֵּעִים לְשֹׂנְאָי. (שמות כ: ב: ד)2 « Je suis l’Éternel, ton Seigneur, qui t’ai fait sortir du pays d’Égypte, d’une maison d’esclavage. « Tu n’auras point d’autre dieu que moi. 3 Tu ne te feras point d’idole, ni une image quelconque de ce qui est en haut dans le ciel, ou en bas sur la terre, ou dans les eaux au-dessous de la terre. 4 Tu ne te prosterneras point devant elles, tu ne les adoreras point ; car moi, l’Éternel, ton Dieu, je suis un Dieu jaloux, qui poursuis le crime des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et à la quatrième génération, pour ceux qui m’offensent (Exode 20 : 2-4).

Or, la conclusion de la haftarah révèle que malgré l’amnésie du peuple d’Israël à remplir sa vocation, une souche sainte subsistera :

יג וְעוֹד בָּהּ עֲשִׂרִיָּה וְשָׁבָה וְהָיְתָה לְבָעֵר כָּאֵלָה וְכָאַלּוֹן אֲשֶׁר בְּשַׁלֶּכֶת מַצֶּבֶת בָּם זֶרַע קֹדֶשׁ מַצַּבְתָּהּ. (ישעיהו ו: יג)13 À peine un dixième y survivra, qui, à son tour, sera dévasté ; mais tout comme le térébinthe et le chêne, lorsqu’on les abat, conservent leur souche, la semence sainte verra subsister une souche. » (Isaïe 6 : 13).

Malgré les écarts d’Israël et son attirance pour le culte de dieux étrangers, l’Eternel ne peut revenir sur sa promesse, celle de faire de son peuple, un peuple saint (Exode 19 : 6), à savoir, séparé et différent des autres peuples. Combien de Nations n’ont-elles point tenté à maintes reprises dans l’Histoire du monde de couper Israël de ses racines, de brûler ses livres et ses hommes et, mues par la haine, d’éradiquer le peuple qui apporta au monde le sens de la Justice et de la Compassion ? Israël est un peuple pérenne, non point parce qu’il est parfait mais en raison de sa vocation à laquelle il ne peut en aucune manière échapper.  L’Eternel lie si fortement sa propre Sainteté à celle d’Israël, même rebelle, que le prophète Isaïe le dénomme pas moins de trente fois « Quédosh Israël, קְדוֹשׁ יִשְׂרָאֵל ».

Le grand commentateur espagnol, RaDaK (Rabbi David Kim’hi 1160 -1235) enseigne :

ש«כִּי אַף עַל פִּי שֶׁיִגְלוּ כֻּלָּם, לֹא תַּחְשְׁבוּ כִּי יִכְלוּ בַּגַּלּוּת וְלֹא יָשׁוּבוּ לְאַרְצָם, כִּי עוֹד יִפְרְחוּ וְיִצְמְחוּ וְיָשׁוּבוּ לְאַרְצָם»ש

« Car, alors même que tous les fils d’Israël iront en exil, ne croyez surtout pas qu’ils disparaîtront en exil et ne reviendront pas dans leur pays car de nouveau ils fleuriront, se développeront et retourneront dans leur pays, Erets Israël ! » (RaDaK sur Isaïe 6 : 13 (3)

[1] Haftarat Yitro : Selon la tradition ashkénaze : Isaïe 6 : 1-7 : 6 ; 9 : 5-6. Selon la tradition séfarade : Isaïe 6 : 1-13.

[2] Parashat Yitro : Exode 18 : 1-20 : 22.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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