
Le jour de l’Indépendance d’Israël est sans l’ombre d’un doute le jour le plus important de l’année pour le peuple hébreu. Ce jour particulier, d’une portée historique sans pareille, renferme en lui toute l’Histoire d’un peuple, le peuple d’Israël, qui durant 2000 ans a erré parmi les Nations et dont la terre, Erets Israël, fut maintes fois conquise par de multiples civilisations.
Cette condition aliénante causée par l’exil est comparée par le prophète Ézéchiel à la mort d’Israël, et le retour des fils d’Israël en Erets Israël à l’ouverture des tombeaux :
יב לָכֵן הִנָּבֵא וְאָמַרְתָּ אֲלֵיהֶם כֹּה-אָמַר אֲדֹנָי יְהוִה הִנֵּה אֲנִי פֹתֵחַ אֶת-קִבְרוֹתֵיכֶם וְהַעֲלֵיתִי אֶתְכֶם מִקִּבְרוֹתֵיכֶם עַמִּי וְהֵבֵאתִי אֶתְכֶם אֶל-אַדְמַת יִשְׂרָאֵל. (יחזקאל לז:יב)
12 Ainsi prophétise et dis-leur : « Ainsi parle le Seigneur l’Éternel : voici que je rouvre vos tombeaux, et je vous ferai remonter de vos tombeaux, ô mon peuple ! et je vous ramènerai au pays d’Israël ». (Ézéchiel 37:12)
La promesse du prophète Ézéchiel est aujourd’hui, après 2700 ans, un fait accompli. Israël est retourné sur sa terre et vit une indépendance bien méritée, après tant de souffrances et de tribulations en exil.
Que revêt l’Indépendance d’Israël ?
Le terme hébraïque moderne עַצְמָאוּת Atsmaout qui apparaît pour la première fois le 6 septembre 1920 signifie « Indépendance ». C’est un néologisme créé par le fils du grand linguiste Éliezer ben Yehoudah Itamar ben Avi (1882-1943), qui le préféra au terme déjà existant עַצְמִיוּת Atsmiout qu’il jugeait difficile à comprendre, entre autres de par sa connotation religieuse faisant écho à la notion de liberté.
Pourtant, selon l’Académie de la Langue hébraïque, Itamar ben Avi aurait été inspiré par l’un des passages religieux du Midrash Tanhouma pour inventer le mot עַצְמָאוּת Atsmaout :
« אָמַר הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא: בָּעוֹלָם הַזֶּה הֱיִיתֶם נוֹשְׁעִים עַל יְדֵי בְּנֵי אָדָם… אֲבָל לְעֵתִיד לָבוֹא אֲנִי בְעַצְמִי גּוֹאֵל אֶתְכֶם וְשׁוּב אֵין אֶתֶם מִשְׁתַּעֲבְדִין » (תנחומא אחרי מות, יב)
Le Saint béni soit-Il a déclaré : dans ce monde-ci, vous étiez sauvés par l’intermédiaire d’êtres humains… Mais dans le monde futur, c’est Moi-même (BeATSMi, littéralement « c’est mon Être, mon Essence ») qui vous libérerai, et vous ne serez plus asservis. (Midrash Tanhouma Aharei Mot 12)
David Ben Gourion qui ne souffrait pas Itamar ben Avi, s’opposera au terme עַצְמָאוּת HaAtsmaout et lui préfèrera le terme biblique original, קוֹמְמִיּוּת Komemmiout, hapax biblique qui désigne l’attitude des Hébreux sortant d’Égypte « la tête haute, le buste droit ». (Lévitique 26:13)
En mai 1939, David Ben Gourion, celui-là même qui déclarera l’Indépendance de l’État d’Israël en 1948, prononce un discours historique à Jérusalem répondant au Livre blanc britannique, qui limitait l’immigration juive en Palestine mandataire.
Le peuple juif ne vit pas חַיִּים עַצְמִיִים une existence indépendante depuis des centaines d’années. Un peuple qui n’est pas ancré dans le sol de sa patrie, qui ne crée pas sa vie et ne détermine pas son destin selon sa libre volonté, mais qui est soumis à un environnement étranger, asservi à une volonté étrangère et contraint de s’adapter à une vie d’exil – un tel peuple perd même sa capacité à penser par lui-même [littéralement : מַחֲשֶׁבֶת עֵצְמו une pensée sur soi-même] et s’habitue à raisonner avec des concepts empruntés et des schémas étrangers.
De même qu’il imite la langue étrangère, les noms et les coutumes du peuple étranger, il imite aussi les slogans, les dispositions mentales et les réactions des autres. Même le mouvement sioniste n’a pas entièrement échappé à cet assimilationnisme spirituel et intellectuel.
Et maintenant que nous sommes confrontés à la nécessité d’une guerre, il y a un risque que nous soyons entraînés par des slogans et des méthodes de combat empruntés à des sources étrangères, qui ne correspondent pas à notre situation et à nos besoins.
[David Ben Gourion, 24 mai 1939)]
Les deux expressions חַיִּים עַצְמִיִים, « vie indépendante » et « pensée indépendante » מַחֲשֶׁבֶת עֵצְמו (« penser par soi-même, pensée sur soi-même ») dénotent une concurrence linguistique entre David Ben Gourion qui n’emploie pas le terme עַצְמָאוּת Atsmaout créé par Itamar ben Avi mais עַצְמִיוּת Atsmiout, terme que ce dernier aspirait à effacer de la langue hébraïque.
David Ben Gourion prône l’idée que l’indépendance, par l’utilisation du terme עַצְמִי Atsmi, n’est point seulement une question de liberté – la libération du joug étranger – mais aussi l’acceptation de la responsabilité personnelle d’un individu ou d’un peuple à façonner sa vie et son destin, conformément à son propre système d’aspirations, de valeurs internes, toutes directement inspirées de ses propres racines.
Ben Gourion, fidèle à sa pensée, va :
- hébraïser les noms propres et les noms de famille, signe de la coupure de l’exil ;
- contribuer grandement au Avoda Ivrit (עֲבוֹדָה עִבְרִית Travail hébreu) dans les champs et les villes ;
- et encourager l’étude de la Bible hébraïque et de la langue hébraïque.
Ben Gourion préfère la notion de עַצְמִיוּת atzmiyout qui fait à la fois référence à l’essence physique ou tangible d’une chose, et à la qualité intrinsèque une personne ou d’une chose unique, originale et distincte des autres.
De son point de vue, la renaissance nationale exige une rupture avec les réflexes d’un peuple « en exil ». Ces propos visionnaires de Ben Gourion ont été prononcés neuf ans avant la création de l’État d’Israël, le 15 mai 1948 !
En d’autres termes, il ne suffit pas que la résurrection d’Israël soit physique, à savoir nationale, comme l’annonce le prophète Ézéchiel dans sa vision des « Ossements desséchés ». La racine du substantif au pluriel « os, ossements » en hébreu עֲצָמוֹת ‘E.Ts.M. ע.צ.מ. a le sens de « dureté », et au sens figuré, fait écho dans le contexte de la vision édifiante d’Ézéchiel à la pérennité d’Israël (Cf. Exode 1:7 : וַיַּעַצְמוּ Vayaatsmou / « les Hébreux se renforçaient »).
Ben Gourion étend l’indépendance à la culture, l’esprit et la responsabilité de revenir à son identité propre, celle d’un Hébreu.
Que fêtons-nous donc en ce jour de l’Indépendance de l’État d’Israël ?
En ce jour de l’Indépendance, nous ne fêtons pas uniquement la sortie de l’exil et l’entrée en Israël, soit l’indépendance physique עַצְמָאוּת Atsmaout, mais aussi le fait de pouvoir retrouver nos racines ancestrales liées à la langue hébraïque, nos traditions spirituelles (Shabbat, fêtes du calendrier hébraïque…) soit l’indépendance identitaire עַצְמִיוּת Atsmiout, et plus généralement notre identité autant religieuse que culturelle.
Ces deux dimensions עַצְמָאוּת HaAtsmaout – עַצְמִיוּת Atsmiout, non nécessairement antinomiques, associées l’une à l’autre, conduisent à la troisième dimension de l’Indépendance totale et absolue d’Israël, קוֹמְמִיּוּת Kommemiout, signifiant la fierté et la grandeur d’Israël qui relève la tête face à la tyrannie des Nations, s’opposant avec force et véhémence à l’iniquité de ces dernières par la force de l’Esprit et sa croyance inébranlable en l’Éternel.
Il faut attendre le mois d’avril 1949 pour que la première Knesset promulgue la « Loi sur le jour de l’Indépendance », fixant le 5 Iyar comme fête nationale officielle. Le nom « יום הָעַצְמָאוּת Yom HaAtsmaout » (Jour de l’Indépendance) fut choisi plutôt que des propositions alternatives comme « יום הַקּוֹמְמִיּוּת Yom HaKomemiyout » (Jour du Relèvement) ou « יום הַמְּדִינָה Yom HaMedina » (Jour de l’État).
Les massacres du 7 octobre 2023 doivent nous rappeler que nos meilleurs remparts, loin d’être des murailles de béton contre l’ennemi, demeurent toujours et encore nos valeurs de démocratie (עַצְמָאוּת Atsmaout, liberté et responsabilité nationale et politique) associées aux valeurs ancestrales du judaïsme, considérées dans sa double dimension spirituelle et éthique (עַצְמִיוּת Atsmiout).
Mazal tov LiMdinat Israël !
מָזָל טוב לִמְדִינַת יִשְׂרָאֵל!
Haïm Ouizemann