L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Ki Tissa, Méditation sur le masque

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Dans le cadre de la Parashah Ki Tissa[1], nous méditerons sur la racine נ.ס.כ. / N. S. Kh. signifiant « couvrir, voiler » et même « fondre un métal ».

ד וַיִּקַּח מִיָּדָם, וַיָּצַר אֹתוֹ בַּחֶרֶט וַיַּעֲשֵׂהוּ עֵגֶל מַסֵּכָה וַיֹּאמְרוּ אֵלֶּה אֱלֹהֶיךָ יִשְׂרָאֵל אֲשֶׁר הֶעֱלוּךָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם. (דמות לבז: ד).ש

4 Et Ayant reçu cet or de leurs mains, il le jeta en moule et en fit un veau de métal fondu ; et ils dirent : “Voilà tes dieux, ô Israël, qui t’ont fait sortir du pays d’Égypte !” (Exode 32 : 4).

Ce passage, probablement l’un des plus tragiques de l’Histoire d’Israël, témoigne de l’échec de la Sortie d’Egypte, de la servitude aux dieux d’un empire où Pharaon s’identifiait au divin. (Ezéchiel 29 : 3).

Comment, donc, les fils d’Israël ont-ils pu édifier un veau d’or alors même qu’ils furent à la fois les spectateurs et les acteurs de la puissance de l’Eternel tout au long de leur libération ?

Les fils d’Israël ont-ils véritablement aspiré à s’écarter du Divin ou à le nier ? Si l’on est en droit de le penser, au vu de leur attitude débridée, l’on peut, toutefois, proposer une thèse contraire.  Les fils d’Israël ont probablement dû, dans leur manque de patience et l’absence de leur maître en la personne de Moïse, éprouver une volonté profonde d’appréhender au plus près le divin en tentant de briser toute distance entre eux et la transcendance divine. Le texte précise : עֵגֶל מַסֵּכָה, soit « un veau recouvert d’un voile, d’un écran, d’un masque de métal d’or », « un veau qui fait écran entre la Divinité et l’Homme ». Ce voile ne ferait qu’un avec le veau. Tous deux, en quelque sorte, ne feraient plus qu’un.

L’abstraction de limite entre le symbole de richesse– en l’occurrence le veau d’or – et le sujet – les fils d’Israël – conduit inexorablement au mélange des genres, au désordre et à la luxure, au renversement de l’échelle des valeurs morales !

ו וַיַּשְׁכִּימוּ מִמָּחֳרָת וַיַּעֲלוּ עֹלֹת וַיַּגִּשׁוּ שְׁלָמִים וַיֵּשֶׁב הָעָם לֶאֱכֹל וְשָׁתוֹ וַיָּקֻמוּ לְצַחֵק. (שמות לב: ו).ש

6 Et ils se levèrent tôt dès le lendemain afin d’offrir des holocaustes, d’amener des victimes rémunératoires ; le peuple se mit à manger et à boire, puis se livra à des réjouissances. (Exode 32 : 6).

C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles le Judaïsme réfute toute forme de syncrétisme religieux, d’alliance fusionnelle avec d’autres spiritualités (Voir le prophète Elie I Rois 18 : 21) et préfère donc encourager le partage du témoignage divin dans le respect de la différence mutuelle des traditions spirituelles. L’Eternel, à ce propos, fait dire à Israël qu’il n’épargnera point son peuple pour avoir fusionné avec l’Egypte :

א הוֹי בָּנִים סוֹרְרִים נְאֻם-יְהוָה לַעֲשׂוֹת עֵצָה וְלֹא מִנִּי וְלִנְסֹךְ מַסֵּכָה וְלֹא רוּחִי לְמַעַן סְפוֹת חַטָּאת עַל-חַטָּאת. (ישעיהו ל: א).ש

1 Malheur, enfants rebelles, dit le Seigneur, vous qui machinez des plans en dehors de moi, contractez des alliances contre mon gré et accumulez ainsi faute sur faute, (Isaïe 30 : 1).

Une trop grande proximité au divin peut être comprise comme une identification au culte païen. Pharaon, dans le livre d’Ezéchiel, s’identifie au Nil divinisé (Ezéchiel 29 : 3). Mais comment expliquer que cette même racine .נ.ס.כ. / N. S. Kh. d’où est tiré le substantif מַסֵּכָה/ MaSseKhaH (« voile, masque ») soit comprise, en Exode 32, négativement, alors que le mot מָסָךְ « écran, rideau » possède, en Exode 26, un sens positif?

לו וְעָשִׂיתָ מָסָךְ לְפֶתַח הָאֹהֶל תְּכֵלֶת וְאַרְגָּמָן וְתוֹלַעַת שָׁנִי וְשֵׁשׁ מָשְׁזָר, מַעֲשֵׂה, רֹקֵם. (שמות כו : לו)ש

36 Puis, tu confectionneras un rideau pour l’entrée de la Tente, en azur, pourpre, écarlate et lin retors, artistement brodés. (Exode 26 : 36).

Remarquons que la consonne – ס Samekh dans le mot מָסָךְ , contrairement à son homonyme מַסֵּכָה/ MaSseKhaH (« voile, masque ») ne contient aucun point. Cette absence de point renvoie à la racine .ס.כ.כ.  / S. Kh. Kh. certes proche de .נ.ס.כ. / N. S. Kh., mais qui signifie « recouvrir », laissant un espace entre le divin et la créature humaine. Le Saint des Saints, séparé du Saint par la présence du « rideau – מָסָךְ », n’était accessible que par le Grand Prêtre, une seule fois par an, au Jour du Grand Pardon (Yom Kippour).  Ainsi, le culte païen auquel se livrèrent les fils d’Israël doit être mis en relation avec leur désir ardent de garder un contact permanent avec la Divinité, Source de leur libération d’Egypte.

A l’opposé de cette vision paganiste constituant une identification et une assimilation entre la dimension divine et humaine, le Judaïsme enseigne que la distanciation au Divin témoigne de l’humilité et de la fragilité du genre humain face à l’énigme de l’indéfinissable.  Cette distanciation ne signifie point un éloignement, une impossibilité d’être proche du divin. Au contraire, elle permet un rapport d’amour entre le divin et l’Humanité, tel qu’il peut exister entre un père, une mère et son enfant, à la fois différents, séparés l’un de l’autre mais en même temps très proches l’un de l’autre par ce rapport d’amour qui les unit.

Le substantif français « personne », dérivé du latin « persōna, masque de théâtre », laisse à penser que chaque personne se sert d’un masque, d’un écran dans son contact avec les autres, que chacun est un étranger pour l’autre. Ce terme latin signifie également « sorcière » (du bas-latin « mascha »), peut-être parce que les sorciers et sorcières utilisent des artifices, autant de subterfuges masquant la frontière naturelle entre la réalité de ce monde-ci et le monde étrange et fantasque d’une « présence supranaturelle ». Les grands acteurs de théâtre et de cinéma, pour convaincre leur public, s’identifient totalement à leur personnage de fiction. Enfilant le masque de l’irréel, ils confèrent à celui-ci, par leur puissance de jeu, l’illusion du réel. Le spectateur à son tour s’identifie au personnage au point parfois de perdre le sens du vrai. Alain Delon dira s’être totalement identifié à son personnage « Monsieur Klein », Kirk Douglas à Van Gogh, Jack Nicholson à Randle Patrick McMurphy dans le célèbre film « Vol au-dessus d’un nid de coucou » de Miloš Forman. Dans un tout autre registre, le théâtre japonais Nô s’inspirant, entre autres, du rite shintoïste Kagura, met en jeu des acteurs portant des masques à l’image de dieux et de démons, le masque servant alors d’écran entre les hommes s’identifiant aux dieux/démons, d’un côté, et les simples mortels de l’autre. Pourtant ces mêmes simples mortels, spectateurs des personnages masqués personnifiant les divinités/démons, peuvent s’identifier à ces mêmes personnages masqués, comme le veau d’or a pu inciter les Hébreux à s’identifier à la divinité, à avoir l’illusion de ne faire qu’un avec la divinité, par le moyen des « réjouissances » à caractère sexuel qui leur ont donné l’illusion momentanée autant que vaine d’une fusion avec le divin.  L’identification des hommes et des dieux est alors portée à son comble.

לט רְאוּ עַתָּה כִּי אֲנִי אֲנִי הוּא וְאֵין אֱלֹהִים עִמָּדִי אֲנִי אָמִית וַאֲחַיֶּה מָחַצְתִּי וַאֲנִי אֶרְפָּא וְאֵין מִיָּדִי מַצִּיל. (דברים לב: לט).ש

39 Reconnaissez maintenant que c’est moi, qui suis le Seigneur, moi seul, et nul Seigneur avec moi ! Que seul je fais mourir et vivre, je blesse et je guéris, et qu’on ne peut rien soustraire à ma puissance. (Deutéronome 32 : 39).

[1] Parashah Ki Tissa : Exode 30 : 11-34 : 35.

Shabbat shalom !

Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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5 réponses

  1. Merci Haim pour cet enseignement. J’apprécie tout particulièrement la version audio !

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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