L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Be’Ha’alothekha, le poids du pouvoir

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La parashat BeHa’alothekha[1] se caractérise essentiellement par les incessantes plaintes des Hébreux adressées à l’encontre de l’Eternel et de Moïse accusé de les avoir fait sortir d’Egypte présentée comme un paradis sur Terre :

ה זָכַרְנוּ אֶת-הַדָּגָה אֲשֶׁר-נֹאכַל בְּמִצְרַיִם חִנָּם אֵת הַקִּשֻּׁאִים וְאֵת הָאֲבַטִּחִים וְאֶת-הֶחָצִיר וְאֶת-הַבְּצָלִים וְאֶת-הַשּׁוּמִים. ו וְעַתָּה נַפְשֵׁנוּ יְבֵשָׁה אֵין כֹּל–בִּלְתִּי אֶל-הַמָּן עֵינֵינוּ. (במדבר יא: ה-ו)5 Nous nous sommes souvenus du poisson que nous mangions gratuitement en Egypte, des concombres et des melons, des poireaux, des oignons et de l’ail. 6 Maintenant, nous sommes exténués, nous manquons de tout : point d’autre perspective que la manne !” (Nombres 11 : 5 -6).

Pour la première fois de son histoire, le Prophète des prophètes Moïse, épuisé et désespéré, s’adresse à l’Eternel :

יא וַיֹּאמֶר מֹשֶׁה אֶל-יְהוָה לָמָה הֲרֵעֹתָ לְעַבְדֶּךָ וְלָמָּה לֹא-מָצָתִי חֵן בְּעֵינֶיךָ לָשׂוּם אֶת-מַשָּׂא כָּל-הָעָם הַזֶּה עָלָי. … יד לֹא-אוּכַל אָנֹכִי לְבַדִּי לָשֵׂאת אֶת-כָּל-הָעָם הַזֶּה כִּי כָבֵד מִמֶּנִּי. (במדבר יא: יא; יד)11 et il dit à l’Éternel : “Pourquoi as-tu fait le mal à ton serviteur ? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, et m’as-tu imposé le fardeau de tout ce peuple ?… 14 Je ne puis, moi seul, porter tout ce peuple : c’est un faix trop pesant pour moi. (Nombres 11 : 11 ; 14).

Dans ces deux derniers versets, Moïse emploie d’une part le terme מַשָּׂא /MaSsA signifiant « fardeau, charge » puis d’autre part le verbe לָשֵׂאת /LaSseT signifiant, quant à lui, « porter, supporter ».  

Moïse se tourne vers l’Eternel afin d’être écarté, démis, de ses responsabilités de leader, de berger élu au buisson ardent, pour conduire à bien ses frères Hébreux vers la Liberté et la terre de Cana’an :

יב הֶאָנֹכִי הָרִיתִי אֵת כָּל-הָעָם הַזֶּה אִם-אָנֹכִי יְלִדְתִּיהוּ כִּי-תֹאמַר אֵלַי שָׂאֵהוּ בְחֵיקֶךָ כַּאֲשֶׁר יִשָּׂא הָאֹמֵן אֶת-הַיֹּנֵק עַל הָאֲדָמָה אֲשֶׁר נִשְׁבַּעְתָּ לַאֲבֹתָיו. (במדבר יא: יב)12 Est-ce donc moi qui ai conçu tout ce peuple, moi qui l’ai enfanté, pour que tu me dises : Porte-le dans ton sein, comme le nourricier porte le nourrisson, jusqu’au pays que tu as promis par serment à ses pères ? (Nombres 11 : 12).

Moïse, d’une certaine manière, tente de reprocher à l’Eternel la faute d’avoir mis au monde un peuple si rebelle, révélant son ingratitude envers l’Eternel et son Prophète.

Le célèbre chant de Moïse dans le livre du Deutéronome reprend cette notion que l’Eternel est le Créateur d’Israël !

ו הַ לְיְהוָה תִּגְמְלוּ-זֹאת עַם נָבָל וְלֹא חָכָם הֲלוֹא-הוּא אָבִיךָ קָּנֶךָ הוּא עָשְׂךָ וַיְכֹנְנֶךָ. (דברים לב: ו) 6 Est-ce ainsi que vous payez a l’Eternel de retour, peuple insensé et peu sage ? N’est-il donc pas ton père, ton créateur ? N’est-ce pas lui qui t’a fait et qui t’a organisé ? (Deutéronome 32 : 6).

Le désespoir de Moïse atteint son paroxysme lorsque le serviteur fidèle de l’Eternel prie ce dernier de le faire mourir :

טו וְאִם-כָּכָה אַתְּ-עֹשֶׂה לִּי הָרְגֵנִי נָא הָרֹג אִם-מָצָאתִי חֵן בְּעֵינֶיךָ וְאַל-אֶרְאֶה בְּרָעָתִי. (במדבר יא: טו)15 Si tu me destines un tel sort, je te prie, fais-moi assurément mourir, si j’ai trouvé grâce à tes yeux ! Et que je n’aie plus cette misère en perspective !” (Nombres 11 : 15).

Comment Moïse, celui-là même qui, jour et nuit, défend ses frères les Hébreux, a-t-il pu arriver à une telle extrémité au point de vouloir mourir et disparaître ? N’avait-il point requis de l’Eternel, alors même que les Hébreux avaient érigé le veau d’or, d’effacer son nom afin d’épargner les siens ? 

לב וְעַתָּה אִם-תִּשָּׂא חַטָּאתָם וְאִם-אַיִן מְחֵנִי נָא מִסִּפְרְךָ אֲשֶׁר כָּתָבְתָּ32 et pourtant, si tu voulais pardonner leur faute !… Sinon efface-moi du livre que tu as écrit.” (Exode 32 : 32).

Le verbe תִּשָּׂא/Tissa /Tu pardonneras fait écho au terme מַשָּׂא/MaSsA (charge). Ces deux verbes ont pour racine commune נ.ש.א N.S.A.

Il semblerait que Moïse, pris d’un profond sentiment d’échec pour ne point avoir réussi à libérer spirituellement et mentalement les Hébreux de l’Egypte pharaonique, ait perdu la force de pardon et de consolation que requiert l’Eternel de tous ses prophètes.

L’épuisement mental ou burnout est devenu l’un des plus grands fléaux de notre société moderne dans laquelle il nous faut aller plus vite et répondre plus vite. La première ministre de la Nouvelle-Zélande, Jacinda Ardern, épuisée par ses fonctions démissionne et dit : « Je sais ce que ce travail exige. Et je sais que je n’ai plus assez d’énergie pour lui rendre justice. C’est aussi simple que cela ». Nicola Sturgeon, première ministre de l’Ecosse, elle aussi demissionne en disant : « Je suis humaine, les politiciens sont humains »

Devons-nous considérer l’attitude de Moïse comme une faiblesse ou comme une force ?

S’il semble certes que Moïse faiblisse sous le poids de sa vocation dénommée « מַשָּׂא charge », l’on peut également y voir une forme de reconnaissance claire et transparente de ses propres limites. En effet, ce terme signifiant « fardeau, charge » peut être interprété différemment dans la bouche de Moïse. Moïse aurait pu vouloir signifier qu’il n’était plus capable seul, dans les conditions difficiles qui furent les siennes, de porter pleinement la « vision » divine. Le substantif מַשָּׂא /MaSsA chez les prophètes d’Israël n’a point le sens négatif évoqué dans la parashat BeHa’alothekha, mais au contraire prend un sens positif de « vision prophétique », comme chez les prophètes Isaïe et Malachie :

א מַשָּׂא בָּבֶל אֲשֶׁר חָזָה יְשַׁעְיָהוּ בֶּן-אָמוֹץ. (ישעיהו יג: א)1 Vision contre Babylone, que prononça Isaïe, fils d’Amots (Isaïe 13 : 1).
א מַשָּׂא דְבַר-יְהוָה אֶל-יִשְׂרָאֵל בְּיַד מַלְאָכִי. (מלאכי א: א)1 Vision de la parole de l’Eternel adressée à Israël par l’organe de Malachie (Malachie 1 : 1).

Le leadership de Moïse tient paradoxalement au fait qu’il s’avère être l’antithèse du leader politique ou spirituel car il ne veut point s’imposer comme le seul capable de gouverner ou de guider. « L’homme, Moïse, le plus modeste de tous les hommes sur Terre » (Nombres 12 : 3) préfère alors faire le choix du retrait absolu plutôt que de trahir sa vocation de consolateur qui, désormais, lui échappe.

La noblesse de Moïse réside particulièrement dans sa faiblesse ! En effet, le Prophète des prophètes enseigne qu’une gouvernance fondée exclusivement sur le monopole d’une personne unique conduit inéluctablement vers le culte de la personnalité, la tyrannie et la mort.

Après avoir brisé les Tables de l’Alliance, Moïse brise ici la vision d’un pouvoir concentré autour d’une seule personnalité qui mènerait au totalitarisme. La vie d’une nation n’est rendue possible que par le partage du pouvoir. Rappelons-nous que le Maréchal Pétain, le héros de la guerre de 1914-18, adulé et respecté par la majorité des Français dans les années 40 du siècle dernier, est celui-là même par qui survient la honte et le déshonneur de la France après sa collaboration avec l’Allemagne nazie et les décrets antisémites qu’il décréta.       

Moïse de nouveau, comme dans l’épisode du veau d’or, reçoit une réponse positive de l’Eternel. L’Eternel acceptant de « s’abaisser » en faveur d’un homme – fait rare dans le TaNaKh – va transférer et déléguer une part de responsabilité de Moïse aux Anciens d’Israël qui désormais vont assister Moïse dans la juste et noble conduite du peuple hébreu :

יז וְיָרַדְתִּי וְדִבַּרְתִּי עִמְּךָ שָׁם וְאָצַלְתִּי מִן-הָרוּחַ אֲשֶׁר עָלֶיךָ וְשַׂמְתִּי עֲלֵיהֶם וְנָשְׂאוּ אִתְּךָ בְּמַשָּׂא הָעָם וְלֹא-תִשָּׂא אַתָּה לְבַדֶּךָ. (במדבר יא: יז)17 Et Je [l’Eternel] descendrai afin de te parler [Moïse], et je retirerai une partie de l’esprit qui est sur toi pour la faire reposer sur eux : alors ils porteront avec toi la charge du peuple, et tu ne la porteras plus à toi seul. (Nombres 11 : 17).

[1] Parashat BeHa’alothekha : Nombres 8 : 1-12 : 16.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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