L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat BeHa’alothekha: Moïse, La solitude du berger

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

"Moïse sauvé des eaux", une gravure de Gustave Doré
“Moïse sauvé des eaux”, une gravure de Gustave Doré

Les Hébreux ne cessent de se plaindre. Comment, après la sortie d’Egypte, assumer cette nouvelle ère de Liberté synonyme de Responsabilité?

ש«וַיִּצְעַק הָעָם אֶל-מֹשֶׁה וַיִּתְפַּלֵּל  מִי יַאֲכִלֵנוּ בָּשָׂר וְעַתָּה נַפְשֵׁנוּ יְבֵשָׁה…» (במדבר יא, ב-ו)ש

«Mais le peuple implora Moïse; Moïse pria le Seigneur… “Qui nous donnera de la viande à manger? Maintenant, nous sommes exténués, nous manquons de tout (Notre  âme est sèche- stérile)» (Nombres 11: 2-4-6)[1]

Moïse, le fidèle berger d’Israël, désespère de la mission que l’Eternel lui ordonne d’accomplir: libérer un peuple entier, son peuple d’Israël, de l’aliénation égyptienne: «Maintenant, nous sommes exténués, nous manquons de tout», et il dit à l’Éternel: «Pourquoi as-tu rendu ton serviteur malheureux? Pourquoi n’ai-je pas trouvé grâce à tes yeux, et m’as-tu imposé le fardeau de tout ce peuple? 12 Est-ce donc moi qui ai conçu tout ce peuple, moi qui l’ai enfanté, pour que tu me dises: Porte-le dans ton sein, comme le nourricier porte le nourrisson, jusqu’au pays que tu as promis par serment à ses pères?» (Nombres 11: 11-12)

Déjà, lors de l’épisode du buisson ardent, Moïse s’estime indigne et incapable de répondre à l’appel divin, alléguant le motif, en autres, que les fils d’Israël «ne croiront point» en sa mission (Exode 4: 1). L’Eternel, toutefois, parvient avec force persuasion à convaincre Moïse de la vocation historique qui l’attend: transformer les Hébreux, une communauté composée encore d’hommes et de femmes éparses, en  une nation émancipée, totalement libre, organisée et unie, guidée par des principes communs de Justice et de valeurs fondées sur la fraternité et la reconnaissance d’autrui.

Durant toute sa vie, Moïse, figure emblématique du TaNaKh, se caractérise par la solitude du berger, frappé par l’ingratitude de ses propres frères. Ses parents étant contraints de l’abandonner pour lui éviter d’être assassiné avec les autres nouveau-nés garçons, Moïse est déposé dans les joncs au bord du fleuve, le Nil (YeOr),  puis est recueilli et adopté par la fille de Pharaon (Exode 2, 5-10). Plus tard, ne pouvant plus supporter la souffrance physique et morale infligée aux siens et le silence, il n’hésite point à sacrifier sa vie princière. Prenant la défense de son propre frère hébreu humilié par l’Egyptien, incarnation de la toute-puissance de l’Egypte pharaonique (Exode 2, 12), il se voit obligé de fuir, car condamné à mort, et laisse derrière lui sa suprême fonction de prince d’Egypte. Il devient un simple berger du prêtre midianite Yitro (Exode 2, 15). Dans le désert, Moïse, conduisant avec amour son peuple, se trouve acculé à faire face à la rébellion fomentée par Coré (Qora’h– Nombres 16: 1-3) qui, appartenant à la famille de Kehat, celle même de Moïse, tente de renverser ce dernier. De plus, Moïse, dans un moment de ressentiment, rappelle à Dieu qui a conçu ce peuple si réfractaire:

«Est-ce donc moi qui ai conçu tout ce peuple, moi qui l’ai enfanté, pour que tu me dises: Porte-le dans ton sein, comme le nourricier porte le nourrisson, jusqu’au pays que tu as promis par serment à ses pères?» (Nombres 11: 12).

N’est-ce point, en vérité, l’Eternel qui a créé ce minuscule peuple et l’a libéré?

«עַם-זוּ יָצַרְתִּי לִי תְּהִלָּתִי יְסַפֵּרוּ» (ישעיהו מג, כא).ש

«Ce peuple, je l’ai formé pour moi, pour qu’il publie ma gloire» (Isaïe 43, 21).

Comment Moïse, l’homme de l’Eternel (אִישׁ הָאֱלֹהִים, ISh HaELO’HIM Deutéronome 33, 1) s’est-il, au seuil de Canaan, retrouvé absolument seul? Lui qui prie sans cesse et sans «baisser les bras» (Exode 17: 21) pour l’ensemble de son propre peuple, avocat de tous les hommes créés, sans distinction aucune, à l’image de l’Eternel,  ne jouit d’aucun soutien de la part de ses propres frères!

Isolé et abandonné de tous, Moïse se retire pour mourir loin du regard des hommes. Nul ne connaît le lieu exact où fut inhumé le serviteur fidèle de l’Eternel (Josué 1, 1-2) qui se voua, corps et âme en faveur d’Israël. La  Haggadah de Pessah, lue au soir du seder, ne mentionne le  nom de Moïse… qu’une seule fois! (Exode 14: 31). Comment imaginer la sortie d’Egypte et la marche de quarante ans sans la présence de Moïse, l’infatigable intercesseur d’Israël face au courroux de l’Eternel? Moïse n’a-t-il point réclamé, après que les Hébreux aient adoré le veau d’or, que son nom soit effacé plutôt qu’Israël ne disparaisse à jamais de l’Histoire?

Cette profonde solitude inhérente à la vie complexe de Moïse semble caractériser celle de nombreux grands hommes qui, par leur œuvre, ont inscrit leur nom à jamais dans l’Histoire des hommes. L’un des plus célèbres d’entre eux, Henri Dunand, le fondateur de la Croix Rouge, après s’être battu pour le bien des êtres au-delà des frontières sociales, politiques et culturelles, finira ses derniers jours totalement oublié de tous.  Le Premier ministre israélien Mena’hem Begin, pourtant très adulé par les foules,  connaîtra le même sort lorsque, choqué par la mort de jeunes soldats tombés au Liban, il décidera de s’enfermer chez lui pour ne plus jamais en sortir.

Le drame de Moïse fut paradoxalement de vivre l’expérience permanente de la divinité. A sa mort, expliquent les Sages d’Israël, Moïse ne fut pleuré que par une frange d’Israël (Deut. 34: 8), contrairement à son frère Aaron dont la disparition entraîna un deuil général:

ש«וַיִּרְאוּ כָּל-הָעֵדָה כִּי גָוַע אַהֲרֹן וַיִּבְכּוּ אֶת-אַהֲרֹן שְׁלֹשִׁים יוֹם כֹּל בֵּית יִשְׂרָאֵל» (במדבר כ, כט).ש

« La communauté voyant qu’Aaron avait cessé de vivre, toute la maison d’Israël le pleura trente jours. » (Nombres 20: 29)

Israël, sur le modèle du prophète Moïse, reste seul et écarté des hommes. N’est-ce point pour mieux les sauver et leur prodiguer l’abondance divine?

ש«וַיִּשְׁכֹּן יִשְׂרָאֵל בֶּטַח בָּדָד עֵין יַעֲקֹב אֶל-אֶרֶץ דָּגָן וְתִירוֹשׁ אַף-שָׁמָיו יַעַרְפוּ טָל» (דברים לג, כח).ש

«Israël réside avec sécurité, elle coule solitaire la source de Jacob, sur une terre riche de blé et de vin, sous des cieux qui lui versent la rosée» (Deut. 33: 28)

 

[1] Parashat BeHa’alothekha: Nombres 8: 11- 12: 16

 

Si l’étude du TaNaKh vous fait rêver, n’hésitez pas à me joindre:

[email protected]

Au plaisir de vous retrouver,

Shabbat shalom!

Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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3 réponses

  1. Beau passage Haïm, à lire et relire avec attention.
    Les passages bibliques avec Moïse sont très riches d’enseignements.
    Solitude du Chef, Ingratitude du peuple, Solitude d’Israël, Ingratitude des autres Nations ….
    Beaucoup à apprendre, à réfléchir,à comprendre..

  2. Tout à fait d’accord avec votre commentaire Cathou. Je me demande quand même si la solitude du berger Moïse n’est pas une sorte de retrait en soi après avoir accompli , à la demande du S.eigneur, sa lourde tâche qui est d’amener son peuple à la Terre Promise par l’Eternel. Peut-on faire un parallèle audacieux ; le S.eigneur après l’accomplissement de sa création se retire pour que celle-ci assume son accomplissement. Moché se retire en lui même de par sa solitude pour que le peuple Israël assume lui aussi l’accomplissement demandé par D.ieu, selon Sa loi et Ses commandements ???????????
    Merci à tous et à Haïm qui nous permet de réfléchir sur de si beaux textes bibliques.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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