L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Hayé Sarah, Vaincre la mort

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Les Sages d’Israël notent que la parashah[1] relatant la mort de la première Matriarche est dénommée חַיֵּי שָׂרָה/Hayé Sarah signifiant « la vie de Sarah ».  

Quel peut être le sens de ce titre qui renferme à lui seul le message de toute la parashah ?

א וַיִּהְיוּ חַיֵּי שָׂרָה, מֵאָה שָׁנָה וְעֶשְׂרִים שָׁנָה וְשֶׁבַע שָׁנִים שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה. ב וַתָּמָת שָׂרָה בְּקִרְיַת אַרְבַּע הִוא חֶבְרוֹן בְּאֶרֶץ כְּנָעַן וַיָּבֹא אַבְרָהָם לִסְפֹּד לְשָׂרָה וְלִבְכֹּתָהּ. (בראשית כג: א-ב)1 Et la vie de Sarah fut de cent ans et vingt ans et sept ans ; telles furent les années de sa vie. 2 Et Sarah mourut à Kiryath-Arba, qui est Hébron, dans le pays de Canaan ; Abraham y vint pour dire sur Sarah l’éloge funèbre et pour la pleurer. (Genèse 23 : 1-2).

Le Malbim (1809-1879) mentionne à propos de ces versets l’antériorité de l’éloge funèbre sur les pleurs versés par Avraham et les siens. Cette antériorité est expliquée par la prédominance qu’Avraham accorde à la vie de sa chère épouse Sarah sur ses propres larmes, d’une part, et par le fait qu’Avraham n’a pleuré qu’à l’écoute de l’éloge vantant la grandeur de la vie de Sarah, d’autre part. Autrement dit, ce n’est pas tant la mort physique en soi qui serait à l’origine de la profonde peine d’Avraham et de sa famille mais la disparition d’une femme qui par son exemplarité donnait du sens à sa vie et qui en louant l’Eternel était devenue une source d’inspiration pour tous.

Le Ba’al HaTourim méditant sur le verbe וְלִבְכֹּתָֽהּ remarque que la taille de la consonne כ/ Kaf est réduite à sa plus simple expression à l’intérieur du verbe « pleurer ». Il en déduit alors qu’Avraham, tout en pleurant la mort de son épouse bien-aimée Sarah, n’aspire aucunement à exagérer sa peine en vivant dans le sentiment d’un deuil permanent, d’une perte qui le conduirait à la dépression. La vie doit nécessairement l’emporter sur la mort.

L’épisode biblique relatant la mort du premier enfant de David avec BatSheva témoigne de cette victoire de la vie que rien ni personne ne saurait arrêter :

יט וַיַּרְא דָּוִד כִּי עֲבָדָיו מִתְלַחֲשִׁים וַיָּבֶן דָּוִד כִּי מֵת הַיָּלֶד וַיֹּאמֶר דָּוִד אֶל-עֲבָדָיו הֲמֵת הַיֶּלֶד וַיֹּאמְרוּ מֵת. כ וַיָּקָם דָּוִד מֵהָאָרֶץ וַיִּרְחַץ וַיָּסֶךְ וַיְחַלֵּף שִׂמְלֹתָו וַיָּבֹא בֵית-יְהוָה וַיִּשְׁתָּחוּ וַיָּבֹא אֶל-בֵּיתוֹ וַיִּשְׁאַל וַיָּשִׂימוּ לוֹ לֶחֶם וַיֹּאכַל. (שמואל ב, יב: יט-כ)19 Et David, voyant ses serviteurs chuchoter entre eux, comprit que l’enfant était mort, et il leur dit : L’enfant est mort ? Il est mort, répondirent-ils. 20 Alors David se releva de terre, prit un bain, se parfuma et changea de vêtements, puis se rendit à la maison de Dieu et se prosterna ; il rentra chez lui, et, sur sa demande, on lui servit un repas qu’il mangea. (II Samuel 12 : 19-20).

Interrogé par ses serviteurs, David répond :

כב וַיֹּאמֶר בְּעוֹד הַיֶּלֶד חַי צַמְתִּי וָאֶבְכֶּה כִּי אָמַרְתִּי מִי יוֹדֵעַ, יחנני (וְחַנַּנִי) יְהוָה וְחַי הַיָּלֶד. כג וְעַתָּה מֵת לָמָּה זֶּה אֲנִי צָם הַאוּכַל לַהֲשִׁיבוֹ עוֹד: אֲנִי הֹלֵךְ אֵלָיו וְהוּא לֹא-יָשׁוּב אֵלָי. (שמואל ב, יב: כב-כג)22 Et il répondit : “Alors que l’enfant vivait, j’ai jeûné et pleuré, car je pensais : Qui sait ? Le Seigneur pourra me faire la grâce de laisser vivre cet enfant. 23 Maintenant qu’il est mort, pourquoi jeûnerais-je ? Puis-je le faire revivre ? J’irai le rejoindre, mais lui ne reviendra pas près de moi.” (II Samuel 12 : 22-23).

Il nous faut remarquer que lorsque David se relève « וַיָּקָם se releva » de la mort de son fils, il a la même attitude qu’Avraham se relevant de la mort de Sarah « וַיָּקָם se releva » (Genèse 23 :  3).

Si la pensée hébraïque impose un devoir de respect à l’égard du corps physique et de la dépouille du défunt, elle reste cependant silencieuse sur l’après-mort. La Tradition hébraïque s’oppose totalement à la civilisation égyptienne antique quant à la vision de la mort. L’on préparait les Pharaons, après leur mort et leur momification, au voyage initiatique consistant à traverser sans encombre les mondes célestes de l’au-delà. Les formules magiques composant « Le Livre des morts », dont le premier fac-similé fut publié en 1805, visent à éviter à l’esprit du défunt, l’Akh, la damnation des dieux et à sortir vainqueur du tribunal céleste. Le texte biblique ne se préoccupe en rien de l’au-delà mais de la vie sur Terre. Nous devons nous relever de la mort et poursuivre notre chemin ici et maintenant.      

יז  לֹא הַמֵּתִים יְהַלְלוּ-יָהּ וְלֹא כָּל-יֹרְדֵי דוּמָה. (תהלים קטו: יז)17 Ce ne sont pas les morts qui loueront le Seigneur, ni aucun de ceux qui sont descendus dans l’empire du silence (Psaume 115 : 17).

Ainsi Avraham et David, en se relevant de devant leurs morts, nous enseignent le pouvoir intérieur propre à chacun d’entre nous de transformer chaque instant de notre vie en une louange permanente sans attendre passivement que la mort vienne nous faucher.  

Que savons-nous de la mort ?

Rien… La seule certitude, selon les dires de l’Ecclésiaste, revient à reconnaître l’égalité du genre humain face à son éphémérité :

ב הַכֹּל כַּאֲשֶׁר לַכֹּל, מִקְרֶה אֶחָד לַצַּדִּיק וְלָרָשָׁע לַטּוֹב וְלַטָּהוֹר וְלַטָּמֵא וְלַזֹּבֵחַ וְלַאֲשֶׁר אֵינֶנּוּ זֹבֵחַ: כַּטּוֹב כַּחֹטֶא הַנִּשְׁבָּע, כַּאֲשֶׁר שְׁבוּעָה יָרֵא. (קהלת ט: ב)2 Tous sont soumis à des accidents pareils ; un même sort attend le juste et le méchant, l’homme bon et pur et l’impur, celui qui sacrifie et celui qui ne sacrifie point ; l’homme de bien est comme le pécheur, celui qui prête des serments comme celui qui craint de jurer. (Ecclésiaste 9 : 2).

L’Homme, dans le laps de temps de vie qui lui est offert, sera l’unique responsable de faire de son univers un paradis ou un enfer !

Vaincre la mort relève de l’ordre du possible.

Comment un être aussi fragile et éphémère détient-il la puissance de vaincre la mort ?

Avraham, par l’éloge funèbre qu’il consacre à son épouse Sarah, enseigne que seule la mémoire des faits et actes du défunt font de ce dernier non pas un être mort mais un être vivant ! Comment pouvons-nous interpréter le premier verset de la parashah Hayé Sarah qui n’a de cesse de mentionner aux différentes étapes de la vie de Sarah le terme de «  שָׁנָה Shana/Année » ? Cette quadruple répétition du terme « ans » induit l’idée selon laquelle la première Matriarche accomplit pleinement sa vocation à chaque étape de sa vie. De plus, à cela s’ajoute le fait que le verset s’achève comme il commence : « חַיֵּי שָׂרָה /Hayé Sarah, les vies de Sarah » démontrant, malgré les maintes épreuves de la vie, un parcours riche et porteur de sens :

א וַיִּהְיוּ חַיֵּי שָׂרָה מֵאָה שָׁנָה וְעֶשְׂרִים שָׁנָה וְשֶׁבַע שָׁנִים שְׁנֵי חַיֵּי שָׂרָה. (בראשית כג: א)1 Et les vies de Sarah furent de cent ans et vingt ans et sept ans; telles furent les années de ses vies.(Genèse 23 : 1).

Le premier verset de la parashah VaYéhi, la dernière clôturant le livre de la Genèse, évoque à maintes reprises le terme « années » à propos du troisième patriarche : 

כח וַיְחִי יַעֲקֹב בְּאֶרֶץ מִצְרַיִם שְׁבַע עֶשְׂרֵה שָׁנָה וַיְהִי יְמֵי-יַעֲקֹב שְׁנֵי חַיָּיו שֶׁבַע שָׁנִים וְאַרְבָּעִים וּמְאַת שָׁנָה. (בראשית מז: כח)28 Et Jacob vécut dans le pays d’Égypte dix-sept ans ; la durée des années de la vie de Jacob fut donc de cent quarante-sept années. (Genèse 47 : 28).

La construction du verset enseigne que sur les cent quarante-sept ans de vie de Jacob, les plus significatives furent celles durant lesquelles il vécut avec son fils préféré Yosseph.

Ce n’est donc point tant le nombre d’années qui importe le plus mais le sens que l’on y insuffle. Le Patriarche Avraham est avec son épouse Sarah l’exemple même d’une vie riche de sens et de profondeur :

א וְאַבְרָהָם זָקֵן בָּא בַּיָּמִים וַיהוָה בֵּרַךְ אֶת-אַבְרָהָם בַּכֹּל. (בראשית כד: א)1 Or Abraham était vieux, avancé dans la vie ; et l’Éternel avait béni Abraham en toutes choses. (Genèse 24 : 1).

L’expression « זָקֵן בָּא בַּיָּמִים/ Zaken Ba BaYamim » signifie littéralement « vieux avançant dans les jours ». Ce ne sont donc point les jours qui avancent sur Avraham, conduisant celui-ci à une mort certaine, mais Avraham qui avance dans les jours, autrement dit qui gouverne le temps. L’éternité, la victoire sur la force de l’entropie, ne réside en rien dans la momification des corps mais essentiellement dans le sens que nous introduisons dans notre vie. C’est la raison pour laquelle les justes sont dans leur mort dénommés vivants.

«צַדִּיקִים בְּמִיתָתָן נִקְרְאוּ חַיִּים»

« Les justes sont dans leur mort dénommés vivants. » (Talmud de Babylone, Berakhot 18: a).

La question que nous devons chaque jour nous poser est de savoir si notre vie a du sens. Cela ne dépend que de notre propre volonté. Répondons-nous à l’appel de notre vocation ? Eprouvons-nous des regrets de ne pas avoir su ou pu donner du sens à notre vie ? Que faisons-nous concrètement pour vivre une vie pleine de signification ? L’Humanité accèdera au bonheur dès lors qu’elle répondra à ces questions.

La mort révèle le nom du défunt qui n’est autre que ses bonnes actions :

א טוֹב שֵׁם מִשֶּׁמֶן טוֹב וְיוֹם הַמָּוֶת מִיּוֹם הִוָּלְדוֹ. (קהלת ז: א)1 Un bon renom est préférable à l’huile parfumée, et le jour de la mort au jour de la naissance. (Ecclésiaste 7 : 1).

[1] Parashah Hayé-Sarah : Genèse 23 : 1-25 : 18.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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