L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Ki Tetsé, A qui appartient la Planète Terre ?

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« Il y a assez de tout dans le monde pour satisfaire aux besoins de l’Homme, mais pas assez pour assouvir son avidité» (Mahatma Gandhi)

 Deux versets de notre Parashah[1] expriment deux grands principes humanitaires :

כה כִּי תָבֹא בְּכֶרֶם רֵעֶךָ וְאָכַלְתָּ עֲנָבִים כְּנַפְשְׁךָ שָׂבְעֶךָ וְאֶל-כֶּלְיְךָ לֹא תִתֵּן. כו כִּי תָבֹא בְּקָמַת רֵעֶךָ וְקָטַפְתָּ מְלִילֹת בְּיָדֶךָ וְחֶרְמֵשׁ לֹא תָנִיף עַל קָמַת רֵעֶךָ. (דברים כג: כה-כו).ש25 Quand tu entreras dans la vigne de ton prochain, tu mangeras des raisins à ton appétit, jusqu’à t’en rassasier ; mais tu n’en mettras point dans ton panier. 26 Quand tu entreras dans les blés de ton prochain, tu pourras, avec la main, arracher des épis ; mais tu ne porteras point la faucille sur les blés de ton prochain. (Deutéronome 23 : 25-26).

 Le premier principe fait référence à l’ouvrier auquel la Torah octroie un droit de jouissance sur le fruit des champs qu’il vendange ou laboure, à la seule condition de ne point en abuser outre mesure. Autrement dit, l’usufruit dont jouit le salarié ouvrier ne doit jamais excéder le montant du salaire payé par l’employeur. C’est la raison pour laquelle la Torah interdit au salarié d’emplir son panier en vue d’un profit personnel, une fois sorti des limites du champ. Quant au second principe, il fait référence au devoir de l’employeur de permettre à son salarié de jouir des fruits à satiété dans les limites de son champ.

La Torah vise à élever des limites autour de l’Homme, sachant ce dernier peu enclin à maîtriser ses envies et ses passions et ayant tendance à exploiter irraisonnablement tous les trésors de la Terre-Mère.

יא וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים תַּדְשֵׁא הָאָרֶץ דֶּשֶׁא עֵשֶׂב מַזְרִיעַ זֶרַע, עֵץ פְּרִי עֹשֶׂה פְּרִי לְמִינוֹ אֲשֶׁר זַרְעוֹ-בוֹ עַל-הָאָרֶץ וַיְהִי-כֵן.  יב וַתּוֹצֵא הָאָרֶץ דֶּשֶׁא עֵשֶׂב מַזְרִיעַ זֶרַע לְמִינֵהוּ וְעֵץ עֹשֶׂה-פְּרִי אֲשֶׁר זַרְעוֹ-בוֹ, לְמִינֵהוּ וַיַּרְא אֱלֹהִים כִּי-טוֹב. (בראשית א: יא-יב).ש11 Et le Seigneur dit : « Que la terre produise des végétaux, à savoir : des herbes renfermant une semence ; des arbres fruitiers portant, selon leur espèce, un fruit qui perpétue sa semence sur la terre. » Et cela s’accomplit. 12 Et la terre donna naissance aux végétaux : aux herbes qui développent leur semence selon leur espèce, et aux arbres portant, selon leur espèce, un fruit qui renferme sa semence. Et le Seigneur considéra que c’était bien. (Genèse 1 : 11-12).

ש«עֵץ פְּרִי: שֶׁיִּהְיֶה טַעַם הָעֵץ כְּטַעַם הַפְּרִי וְהִיא לֹא עָשְׂתָה כֵּן אֶלָּא וַתּוֹצֵא הָאָרֶץ וְגוֹ’ וְעֵץ עוֹשֶׂה פְּרִי וְלֹא הָעֵץ פְּרִי לְפִיכָךְ כְּשֶׁנִּתְקַלֵּל אָדָם עַל עֲוֹנוֹ נִפְקְּדָה גַּם הִיא עַל עֲוֹנָהּ וְנִתְקַלְּלָה».ש

« Des arbres fruits : que le goût des arbres soit comme le goût des fruits. Or la terre ne fit pas comme cela mais « elle fit sortir » etc. « et des arbres donnant des fruits », et non des arbres fruits, donc quand l’Homme a été maudit pour son péché alors la terre a été punie elle aussi pour son péché et elle a été maudite » (Rashi sur le verset Genèse 1 : 11).

Le texte biblique établit une différence significative entre l’Idéal de créer des fruits au verset 11 et l’accomplissement de ce même idéal. Au verset 12, le mot « Peri/ פְּרִי fruit » est séparé du mot « EtS עֵץ/ arbre ».

Comment l’expliquer ?

L’expression « עֵץ פְּרִי/Ets Peri » signifie littéralement « arbre-fruit ». Autrement dit le bois, l’écorce de l’arbre, dans le programme original de la Création, était autant consommable que le fruit lui-même. Si Rashi explique que la terre n’a pas respecté ce que l’Eternel lui demandait, l’on peut comprendre également que c’est l’Eternel lui-même qui, au verset 12, bouleverse les lois de la Création afin de protéger l’arbre de l’appétit vorace de l’Homme. Le genre humain ne consommera que les fruits de l’arbre. L’arbre, source de Vie préservée de la main de l’Homme, permettra au monde de se régénérer et d’être sauvé de la destruction. Malgré cela, nous sommes témoins aujourd’hui, plus que jamais, du dépouillement des plus grandes zones forestières de notre Planète pour des motifs d’ordre économique dictés par l’appât du gain, au détriment de tous les principes de développement durable. Cette destruction à l’échelle planétaire entraîne la disparition de la biodiversité de la faune et de la flore à une vitesse si vertigineuse que le jour n’est pas loin où nos enfants ne connaîtront leur environnement qu’à partir d’écrans plasma. La virtualité plasmique risque de remplacer l’indicible expérience de l’émerveillement de l’Homme face au mystère de la Création.

La Torah rajoute une limite supplémentaire à la consommation des fruits par l’injonction de l’interdit d’Orla (« prépuce » de l’arbre) :

כג וְכִי-תָבֹאוּ אֶל-הָאָרֶץ וּנְטַעְתֶּם כָּל-עֵץ מַאֲכָל וַעֲרַלְתֶּם עָרְלָתוֹ אֶת-פִּרְיוֹ שָׁלֹשׁ שָׁנִים יִהְיֶה לָכֶם עֲרֵלִים לֹא יֵאָכֵל. כד וּבַשָּׁנָה הָרְבִיעִת יִהְיֶה כָּל-פִּרְיוֹ קֹדֶשׁ הִלּוּלִים לַיהוָה. כה וּבַשָּׁנָה הַחֲמִישִׁת תֹּאכְלוּ אֶת-פִּרְיוֹ לְהוֹסִיף לָכֶם תְּבוּאָתוֹ אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם. (ויקרא יט: כג-כה).ש23 Quand vous serez entrés dans la Terre promise et y aurez planté quelque arbre fruitier, vous en extrairez son excroissance : trois années durant, ce sera pour vous autant d’excroissances, il n’en sera point mangé. 24 Dans sa quatrième année, tous ses fruits seront consacrés à des réjouissances, en l’honneur de l’Éternel : 25 et la cinquième année, vous pourrez jouir de ses fruits, de manière à en augmenter pour vous le produit : je suis l’Éternel votre Dieu. (Lévitique 19 : 23-25).

Cet interdit d’Orlah vise à enseigner à l’Homme qu’il n’est en rien le propriétaire du monde dans lequel il évolue. Seul l’usufruit lui est autorisé.

ש«וַעֲרַלְתֶּם עָרְלָתוֹ: וַאֲטַמְתֶּם אֲטִימָתוֹ; יְהֵא אָטוּם וְנִסְתָּם מִלֵּהָנוֹת מִמֶּנּוּ»ש

« Vous en extrairez son excroissance : Vous le « boucherez » complètement, d’une manière étanche et fermée, pour que vous vous gardiez d’en tirer profit. » (Rashi sur le verset Lévitique 19 : 23).

De plus, cette mitsvah (injonction divine) a pour but de rappeler à l’Homme le lien étroit qui unit l’Homme et l’Arbre, et à travers l’Arbre, la Terre-Mère. En effet, comme l’Homme est circoncis, l’Arbre lui aussi subit une extraction de son excroissance.

א  לַיהוָה הָאָרֶץ וּמְלוֹאָהּ תֵּבֵל וְיֹשְׁבֵי בָהּ. (תהלים כד: א).ש1 … A l’Eternel appartient la Terre et ce qu’elle renferme, le globe et ceux qui l’habitent. (Psaume 24 : 1).

Ces limites paraissant on ne peut plus rigoureuses, loin d’entraver le développement du genre humain, ont pour dessein de le protéger de sa propre folie de consommation. Que restera-t-il de notre merveilleuse Planète Terre lorsque toutes les ressources se seront épuisées ?

Le terme de « satiété » est de même racine ש.ב.ע. / S. B [V]. ‘ [Ayin]» que « fertilité » (Genèse 41 : 34), « abondance » (Proverbes 3 : 10) et « plénitude ». Ainsi, dès lors que l’Homme dépasse un certain degré de satiété, il dépouille la Terre de ses richesses naturelles et entraîne un profond déséquilibre dans la Nature. Le sixième rapport du GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat), le plus important rapport à ce jour sur le thème du réchauffement climatique, vient tout juste d’être publié et révèle clairement que le rôle de l’activité humaine sur le réchauffement de la Planète est « sans équivoque ».

Le prophète Ezéchiel s’insurge contre Jérusalem et la qualifie de « sœur » de Sodome pour avoir refusé de partager ses richesses. Alors même qu’une minorité, à savoir les notables, mangent à leur faim, la majeure partie de la population se meurt de faim :

מט הִנֵּה-זֶה הָיָה עֲוֺן סְדֹם אֲחוֹתֵךְ  גָּאוֹן שִׂבְעַת-לֶחֶם וְשַׁלְוַת הַשְׁקֵט הָיָה לָהּ וְלִבְנוֹתֶיהָ וְיַד-עָנִי וְאֶבְיוֹן לֹא הֶחֱזִיקָה. (יחזקאל טז: מט).ש49 Or, voici quel a été le crime de Sodome, ta sœur : l’orgueil d’être bien repue et d’avoir toutes ses aises s’est trouvé en elle et en ses filles, et elle n’a pas soutenu la main du pauvre et du nécessiteux. (Ezéchiel 16 : 49).

Notre société tend à confondre la notion d’abondance qui est une bénédiction et la productivité à outrance, répondant à l’appât du gain, nécessitant la création de besoins artificiels susceptibles de se transformer en malédiction. Cette productivité à outrance génère un besoin compulsif et artificiel d’achats, laissant une trace généralement néfaste sur les plans écologique et social ! Les sociétés industrielles en sont arrivées à privilégier la mauvaise qualité au détriment de la pérennité d’un article, pour provoquer un besoin d’achat et, donc, un plus grand profit. D’un autre côté, elles cherchent à amoindrir le prix de revient au maximum pour augmenter les bénéfices, en s’exilant vers des pays « en voie de développement » pour profiter des salaires ridicules et des conditions plus que déplorables dans lesquelles travaillent les ouvriers, pourtant maillon essentiel dans la chaîne de production. Cette notion de profit à outrance entraîne donc une exploitation déplorable de l’Homme par l’Homme.

Le genre humain, oublieux du lien intrinsèque fondamental qui l’unit à la Terre, la méprise et l’exploite à outrance. Comme il traite son propre prochain, son frère humain, ainsi traite-t-il la terre, sa mère nourricière, pour une notion tout-à-fait artificielle et sans lien direct avec sa valeur réelle : l’argent, la monnaie, dont la matière première est tirée également de la Terre. L’Homme traite la terre en étrangère. A force d’abuser de la Terre, cette dernière risque de rejeter l’Homme qui l’exploite à outrance, comme Adam et ‘Hava qui, pour avoir transgressé l’unique interdit de consommer le fruit défendu, furent expulsés du Paradis.

 Rabbi Lord Jonathan Sacks enseigne :

« La réponse à la société de consommation est le monde de la foi, que les juifs appellent le monde du Shabbat, où vous ne pouvez pas faire de shopping ni dépenser et vous passez votre temps avec des choses qui comptent, en famille. Si nous ne revenons pas à ces valeurs, nous réussirons à rendre nos enfants et petits-enfants encore plus malheureux. »

כה  צַדִּיק אֹכֵל לְשֹׂבַע נַפְשׁוֹ וּבֶטֶן רְשָׁעִים תֶּחְסָר. (משלי יג: כה).25 Le juste mange pour apaiser sa faim ; mais le ventre des méchants n’en a jamais assez. (Proverbes 13 : 25).

[1] Parashat Ki Tetsé :  Deutéronome 21 : 10-25 : 19.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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