
Jardin Botanique de Jérusalem (13 février 2024 ) © Haïm Ouizemann
Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
Dans notre Parashah[1], Kora’h, Dathan et Aviram, accompagnés de deux cent cinquante hommes, affirment que “toute l’assemblée, tous sont saints”, et qu’il n’y a donc point besoin de la direction de Moïse et Aaron.
L’Éternel ordonne alors à Moïse de prendre des encensoirs et de désigner les représentants pour offrir l’encens devant l’Éternel. L’épreuve des encensoirs a pour but de déterminer qui est l’élu de l’Éternel et qui est digne de la direction et du sacerdoce.
Le lendemain, l’Éternel annonce qu’Il montrera qui Il a choisi.
| כג וַיְהִי מִמָּחֳרָת וַיָּבֹא מֹשֶׁה אֶל-אֹהֶל הָעֵדוּת וְהִנֵּה פָּרַח מַטֵּה-אַהֲרֹן לְבֵית לֵוִי וַיֹּצֵא פֶרַח וַיָּצֵץ צִיץ וַיִּגְמֹל שְׁקֵדִים. (במדבר יז:כג) | 23 Or, le lendemain, Moïse entra dans la tente du statut, et voici qu’avait fleuri la verge d’Aaron, déposée pour la famille de Lévi: il y avait germé des boutons, éclos des fleurs, mûri des amandes. (Nombres 17:23) |
Deux lectures peuvent être possibles. Une lecture selon laquelle à la fleur פֶרַח/ PeRa’H succède le bourgeon צִיץ/ Tsits auquel succèdent les amandes שְׁקֵדִים/ SheKeDiM.
Une seconde lecture selon laquelle la fleur, le bourgeon et les fruits seraient apparus simultanément et non plus successivement.
Sur quoi se fonde cette seconde lecture biblique ?
Cette seconde lecture semble se rapprocher de l’esprit de la source biblique qui ne décrit point la succession botanique naturelle – bourgeon, fleur et fruit – mais place la fleur avant le bourgeon auquel succèderaient les amandes. Notons que les traductions classiques de Samuel Cahen, André Chouraqui, Louis Second et John Darby qui ont, certes, conservé la bonne traduction des trois mots fleur פֶרַח / PeRa’H – bourgeon צִיץ/ Tsits – amandes שְׁקֵדִים/ SheKeDiM, ne prennent pas en compte l’effet de simultanéité témoignant du miracle accompli par l’Eternel, miracle dont le but est l’élection de la tribu des Levi. Les traducteurs remplacent la conjonction de coordination Vav accolée aux trois verbes d’action וַיֹּצֵא… וַיָּצֵץ… וַיִּגְמֹל… par des virgules.
Or si, en effet, la lettre ו (vav) dans la Bible sert généralement de conjonction pouvant signifier “et, aussi, alors, mais, ou” (dans certains contextes de liaison) exprimant une liaison séquentielle ou logique, dans certains cas, le contexte peut amener à comprendre que le “vav” relie des actions qui se produisent en même temps, c’est-à-dire qu’il y a simultanéité.
| ג וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים יְהִי אוֹר וַיְהִי-אוֹר. (בראשית א:ג) | 3 Et le Seigneur dit: “Que la lumière soit!” Et la lumière fut. (Genèse 1:3) |
Les deux “vav” de ce verset concernant la création de la lumière n’indiquent pas nécessairement une succession – à la Parole divine succède l’apparition de la lumière – mais très probablement une simultanéité entre la Parole divine et la création de la lumière. Cette notion de simultanéité n’est propre qu’à l’Eternel.
Le commentateur Malbim (1809-1879)
“רַק שֶׁהָיָה בָּזֶה נֵס …, שֶׁדֶּרֶךְ הָאִילָנוֹת שֶׁבְּעֵת הַנֵּץ כְּבָר נָפַל הַפֶּרַח, וּבְעֵת שֶׁגָּמַל הַפְּרִי לֹא נִמְצָא הַנֵּץ עוֹד, וּבַמַּטֶּה זֶה הָיָה הַנֵּס שֶׁלֹּא נָפַל הַפֶּרַח וְלֹא הַנֵּץ וְהָיָה נִמְצָא עָלָיו הַפֶּרַח כְּמוֹ שֶׁהִתְחִיל לִפְרֹחַ שֶׁעַל כֵּן נֶאֱמַר “וְהִנֵּה פָּרַח” וְעוֹד פְּרָחִים שֶׁנִּגְמְרָה פְּרִיחָתָן שֶׁעַל כֵּן נֶאֱמַר “וַיֹּצֵא פֶרַח”, וְגַם נִמְצָא עָלָיו הַנֵּץ וְגַם הַפְּרִי שֶׁנִּגְמְרָה, וְנֵס זֶה הָיָה מֻכְרָח לְהֵעָשׂוֹת, שֶׁאִם הָיְתָה פְּרִיחָה לְבַדָּהּ הָיָה אוֹמֵר שֶׁמֹּשֶׁה כָּרַת בַּד שֶׁל אִילָן שְׁקֵדִים בְּעֵת שֶׁהַפֶּרַח עָלָיו, וּבַד זֶה הָיָה דּוֹמֶה עִם מַטֵּה אַהֲרֹן וְכָתַב עָלָיו שֵׁם אַהֲרֹן, אֲבָל דָּבָר זֶה שֶׁיִּמָּצֵא הַפֶּרַח וְהַצִּיץ וְהַפְּרִי לֹא נִמְצָא בַּמְּצִיאוּת.”
“Mais il y a ici un miracle… : d’ordinaire, chez les arbres, au moment de la pousse, la fleur est déjà tombée, et lorsque le fruit mûrit, il n’y a plus de pousse. Mais dans ce bâton, le miracle était que ni la fleur ni la pousse ne sont tombées, et qu’on trouvait sur lui la fleur comme au début de la floraison, comme il est dit: “et voici que le bâton d’Aaron avait fleuri”, et aussi d’autres fleurs dont la floraison était achevée, comme il est dit: “et il a produit une fleur » ; et on trouvait aussi sur lui la pousse, ainsi que le fruit qui avait mûri. Ce miracle devait nécessairement se produire, car s’il n’y avait eu que la floraison, on aurait pu dire que Moïse avait coupé une branche d’amandier au moment où la fleur était dessus, et cette branche ressemblait au bâton d’Aaron, et il y avait écrit dessus le nom d’Aaron. Mais le fait qu’on trouve la fleur, la pousse et le fruit ensemble, cela ne se trouve pas dans la réalité”.
Selon le contexte biblique, “צִיץ”/ Tsits peut signifier “bouton” (précurseur du fruit), “corolle” (partie de la fleur), ou simplement “fleur épanouie” (cette dernière acception est celle adoptée par la traduction du Rabbinat). Dans la tradition rabbinique, il est souvent compris comme le stade immédiatement après la fleur, avant la formation du fruit.
Quant au grand commentateur Rabbi Adin Steinsaltz, très proche du Malbim, il explique :
“וַיְהִי מִמָּחֳרָת, וַיָּבֹא מֹשֶׁה אֶל־אֹהֶל הָעֵדוּת – וְהִנֵּה פָּרַח מַטֵּה אַהֲרֹן לְבֵית לֵוִי, וַיּוֹצֵא פֶרַח וַיָּצֵץ צִיץ, רֵאשִׁית הִיוּצְרוּת הַפְּרִי מִן הַפֶּרַח לְאַחַר שֶׁעָלֵי הַכּוֹתֶרֶת נוֹשְׁרִים, וַיִּגְמֹל שְׁקֵדִים. שֶׁלֹּא כְּמוֹ בְּאֹפֶן הַהַדְרָגָתִי שֶׁהַדְּבָרִים מִתְרַחֲשִׁים בַּטֶּבַע, בַּנֵּס זֶה הוֹפִיעוּ הַפֶּרַח, הַצִּיץ וְהַשְּׁקֵדִים בְּבַת אַחַת.”
“Et il arriva le lendemain, et Moïse entra dans la tente du témoignage. Et voici que le bâton d’Aaron, de la maison de Lévi, avait fleuri ; il avait produit une fleur, puis un bouton (ou : une corolle, selon le sens de צִיץ), marquant le début de la formation du fruit à partir de la fleur, après la chute des pétales, et il avait porté des amandes. Contrairement à la manière progressive dont ces choses se produisent dans la nature, dans ce miracle, la fleur, le bouton (ou la corolle) et les amandes sont apparus en même temps”, autrement dit simultanément!
Cette idée rare de simultanéité relevant de l’ordre du miracle est renforcée par la mention de l’adverbe de temps וְהִנֵּה/ VeHiNeH (Nombres 17:23) indiquant l’extrême vitesse d’exécution de ce miracle botanique visant à témoigner définitivement de l’élection d’Aaron et de ses deux fils, El’azar et Itamar à la fonction de Kehouna (service au Mishkan et au Temple) – les deux autres fils sont morts foudroyés par l’Eternel pour avoir offert “un feu étranger”.
Kora’h, pourtant apparenté à la famille de Kehat de la tribu de Levi, ne se satisfait point de sa vocation lévitique, à savoir porter sur ses épaules l’Arche d’Alliance. Pendant l’offrande de l’encens, la terre engloutit Kora’h et son assemblée et un feu sort de devant l’Éternel et consume les deux cent cinquante hommes qui ont offert l’encens. A en vouloir trop, l’Homme est susceptible de tout perdre. En somme, chacun doit reconnaître sa place en ce monde, y voir le meilleur et remplir sa vocation du mieux possible sans pour autant envier la place d’autrui.
[1] Parashat Kora’h: Nombres 16:1-18:32.
Shabbat shalom!
Haïm Ouizemann




