L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Lekh Lekha, Au-delà des étoiles !

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Dix générations séparent Noa’h du Patriarche Avraham. Après l’échec de l’Humanité à instaurer un monde meilleur, l’Eternel s’adresse à Avraham, qui, d’abord appelé Avram, s’inquiète de ne pas avoir de descendance pour lui succéder en raison de la stérilité de son épouse Sarah[1] :


ב וַיֹּאמֶר אַבְרָם, אֲדֹנָי יְהוִה מַה-תִּתֶּן-לִי וְאָנֹכִי הוֹלֵךְ עֲרִירִי וּבֶן-מֶשֶׁק בֵּיתִי הוּא דַּמֶּשֶׂק אֱלִיעֶזֶר. (בראשית טו: ב) 2 Et Abram répondit : ” Seigneur Éternel, que me donnerais-tu, alors que je m’en vais sans postérité et que le majordome de ma maison est le Damascène Eliézer ?” (Genèse 15 : 2).

Puis l’Eternel répond à Abram que son successeur ne sera point son majordome Eliezer mais son fils biologique :

ד וְהִנֵּה דְבַר-יְהוָה אֵלָיו לֵאמֹר לֹא יִירָשְׁךָ זֶה כִּי-אִם אֲשֶׁר יֵצֵא מִמֵּעֶיךָ הוּא יִירָשֶׁךָ. ה וַיּוֹצֵא אֹתוֹ הַחוּצָה וַיֹּאמֶר הַבֶּט-נָא הַשָּׁמַיְמָה וּסְפֹר הַכּוֹכָבִים אִם-תּוּכַל לִסְפֹּר אֹתָם וַיֹּאמֶר לוֹ כֹּה יִהְיֶה זַרְעֶךָ. (בראשית טו: ד-ה)4 Mais voici que la parole de l’Éternel vint à lui, disant :”Celui-ci n’héritera pas de toi; c’est bien un homme issu de tes entrailles qui sera ton héritier.” 5 Et il le fit sortir dehors, et dit: “Regarde vers le ciel et compte les étoiles : peux-tu en supputer le nombre? Ainsi reprit-il, sera ta descendance.” (Genèse 15 : 4-5).

Avram est appelé à regarder au-delà des étoiles et à ne point mettre sa confiance dans les horoscopes pour devenir Avraham :

«וַיּוֹצֵא אוֹתוֹ הַחוּצָה. לְפִי פְּשׁוּטוֹ הוֹצִיאוֹ מֵאָהָלוֹ לַחוּץ לִרְאוֹת הַכּוֹכָבִים. וּלְפִי מִדְרָשׁוֹ אָמַר לוֹ צֵא מֵאִצְטָגְנִינוּת שֶׁלְּךָ שֶׁרָאִיתָ בַּמַּזָּלוֹת שֶׁאֵינְךָ עָתִיד לְהַעֲמִיד בֵּן. אַבְרָם אֵין לוֹ בֵּן אֲבָל אַבְרָהָם יֵשׁ לוֹ בֵּן שָׂרַי לֹא תֵּלֶד אֲבָל שָׂרָה תֵּלֶד אֲנִי קוֹרֵא לָכֶם שֵׁם אַחֵר וְיִשְׁתַּנֶּה הַמַּזָּל דָּבָר אַחֵר הוֹצִיאוֹ מֵחֲלָלוֹ שֶׁל עוֹלָם וְהִגְבִּיהוֹ לְמַעְלָה מִן הַכּוֹכָבִים וְזֶהוּ לָשׁוֹן הַבָּטָה מִלְּמַעְלָה לְמַטָּה:» (רש”י על הפסוק בראשית טו: ה).

« Il le fit sortir dehors Littéralement : “Il le fit sortir hors de sa tente pour voir les étoiles”. Selon l’interprétation : Il lui a dit : “Sors de ton horoscope tel que tu l’as vu inscrit dans les astres, à savoir que tu n’auras pas de fils ! “Avram” n’aura pas de fils, mais “Avraham” aura un fils ! “Saraï” n’engendrera pas, mais “Sarah” engendrera ! Je vais vous donner un autre nom, et votre destinée va s’en trouver changée”. Autre explication : Il le fit sortir du globe terrestre et s’élever au-dessus des étoiles. D’où l’emploi du mot הַבֶּט habèt (“regarde”), qui exprime l’idée d’un regard jeté du haut vers le bas » (Rashi sur le verset Genèse 15 : 5).

Selon Rashi, la modification de nom d’Avram et de Saraï en AvraHam et en SaraH assurera leur postérité biologique et historique.  

L’un des principes de la Tradition hébraïque orale et écrite repose sur l’idée fondamentale que l’Homme détient la faculté de transcender l’influence des étoiles (Les כּוֹכָבִים kochavim sont les astres en eux-mêmes et les מַזָּלוֹת mazalot sont les astres en tant que principes d’influence zodiacale).

ש«וּמִדְּרַב נַחְמָן בַּר יִצְחָק נָמֵי אֵין מַזָּל לְיִשְׂרָאֵל.» (תלמוד בבלי, שבת קנו: ב)

« Et Rav Na’hman bar Its’hak enseigne : “il n’existe pas d’influence zodiacale pour Israël” » (Traité Shabbat 156 : b).

Cette faculté singulière de se libérer du déterminisme et de la fatalité, donc de se détacher du cycle infini de la nature, repose sur trois autres notions, outre le changement de nom. Ces trois autres notions énoncées dans le Traité Rosh HaShana 16 : b du Talmud de Babylone et le Midrash Bereshit rabba 44 : 12 sont la צְדָקָה Tsedaka (l’aide au prochain), la צְעָקָה Tse’akah (le cri [d’une prière jaillissant du cœur]) et la תְּשׁוּבָה Teshouva (volonté profonde et sincère d’améliorer nos faits et actions).

En quoi le fait de changer de nom permet-il à Avram et Saraï d’avoir un enfant, alors même que rien ne les y prédisposait auparavant ?

L’analyse du nom AVRaHaM en hébreu renferme la vocation future du premier Patriarche :

ד אֲנִי הִנֵּה בְרִיתִי אִתָּךְ וְהָיִיתָ לְאַב הֲמוֹן גּוֹיִםה וְלֹא-יִקָּרֵא עוֹד אֶת-שִׁמְךָ אַבְרָם וְהָיָה שִׁמְךָ אַבְרָהָם כִּי אַב-הֲמוֹן גּוֹיִם נְתַתִּיךָ. ו וְהִפְרֵתִי אֹתְךָ בִּמְאֹד מְאֹד וּנְתַתִּיךָ לְגוֹיִם וּמְלָכִים מִמְּךָ יֵצֵאוּ. (בראשית יז: ד-ו)4 “Et voici mon Alliance avec toi : tu seras le père d’une multitude de nations. 5 Et ton nom ne s’énoncera plus, désormais, Abram : ton nom sera Abraham, car je te fais le père d’une multitude de nations. 6 Et Je te ferai fructifier prodigieusement ; je ferai de toi des peuples, et des rois seront tes descendants. (Genèse 17 : 4-6).

L’expression « הֲמוֹן גּוֹיִם/ Hamon Goyim – Multitude de nations » répétée à deux reprises enseigne que la vocation d’Avraham, transcendant celle évoquée par son nom original אַבְרָם AVRaM signifiant « אַב אֲרָם AV ARaM -Père de la nation d’Aram », est de devenir une source de bénédictions pour l’ensemble d’Israël et de l’Humanité. La vocation nationale devient universelle, comme en témoigne la lettre ה’ -Hé, lettre du Nom divin, rajoutée au nom אַבְרָם Avram : אַבְרָהָם, Avraham.

Saraï, l’épouse d’Avraham, appelée à devenir la première Matriarche, voit également son nom original et originel transformé en SaraH, par le même processus que pour Avraham, le rajout de la lettre du Nom divin ה’ -Hé, changement à la suite duquel l’Eternel lui promet une descendance alors même que, stérile, rien ne permettait de prévoir un tel retournement positif :

טו וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים אֶל-אַבְרָהָם שָׂרַי אִשְׁתְּךָ לֹא-תִקְרָא אֶת-שְׁמָהּ שָׂרָי כִּי שָׂרָה שְׁמָהּ. טז וּבֵרַכְתִּי אֹתָהּ וְגַם נָתַתִּי מִמֶּנָּה לְךָ בֵּן וּבֵרַכְתִּיהָ וְהָיְתָה לְגוֹיִם מַלְכֵי עַמִּים מִמֶּנָּה יִהְיוּ. (בראשית יז: טו-טז)15 Et le Seigneur dit à Abraham : “Saraï, ton épouse, tu ne l’appelleras plus Saraï, mais bien Sarah. 16 Et Je la bénirai, en te donnant, par elle aussi, un fils ; je la bénirai, en ce qu’elle produira des nations et que des chefs de peuples naîtront d’elle.” (Genèse 17 : 15-16).

Pouvons-nous expliquer l’octroi de la bénédiction divine à Avraham et à Sarah s’accompagnant de la promesse d’une grande postérité en Erets Israël par la simple grâce de l’élection divine, du choix divin ?

L’Alliance conclue avec Avraham n’est pas gratuite mais se fonde sur son attitude à l’égard de son neveu Lot, un choix de vie, alors même que ce dernier, avide d’honneurs et de richesses, aspire à occuper les meilleures terres proches de Sodome, la cité de toutes les corruptions, regardant seulement la richesse matérielle, sans se préoccuper davantage de morale ni d’éthique, ni de choix de vie.

ח וַיֹּאמֶר אַבְרָם אֶל-לוֹט אַל-נָא תְהִי מְרִיבָה בֵּינִי וּבֵינֶךָ וּבֵין רֹעַי וּבֵין רֹעֶיךָ כִּי-אֲנָשִׁים אַחִים אֲנָחְנוּ. ט הֲלֹא כָל-הָאָרֶץ לְפָנֶיךָ הִפָּרֶד נָא מֵעָלָי אִם-הַשְּׂמֹאל וְאֵימִנָה וְאִם-הַיָּמִין וְאַשְׂמְאִילָה. (בראשית יג: ח-ט)8 Et Abram dit à Loth : “Qu’il n’y ait donc point de querelle entre moi et toi, entre mes pasteurs et les tiens ; car nous sommes frères. 9 Toute la contrée n’est-elle pas devant toi ? De grâce, sépare-toi de moi : si tu vas à gauche, j’irai à droite ; si tu vas à droite, je prendrai la gauche.” (Genèse 13 : 8-9).

Cette attitude de Lot, très matérielle mais dénuée de toute éthique, correspond de fait à la signification araméenne de son nom : « malédiction » !

Avraham aspire à établir un lien de paix avec son neveu Lot qu’il considère comme son frère et de ce fait, n’hésite point à renoncer aux meilleures terres au détriment de sa propre personne. Ce renoncement est immédiatement récompensé par la promesse du don de la terre d’Israël aux enfants d’Avraham :

יד וַיהוָה אָמַר אֶל-אַבְרָם אַחֲרֵי הִפָּרֶד-לוֹט מֵעִמּוֹ שָׂא נָא עֵינֶיךָ וּרְאֵה מִן-הַמָּקוֹם אֲשֶׁר-אַתָּה שָׁם צָפֹנָה וָנֶגְבָּה וָקֵדְמָה וָיָמָּה. טו כִּי אֶת-כָּל-הָאָרֶץ אֲשֶׁר-אַתָּה רֹאֶה לְךָ אֶתְּנֶנָּה וּלְזַרְעֲךָ עַד-עוֹלָם. (בראשית יג: יד-טו)14 Et l’Éternel dit à Abram, après que Loth se fut séparé de lui : “Lève les yeux du point où tu es placé, et regarde au nord, au midi, à l’orient et à l’occident : 15 Car tout le pays que tu aperçois, Je le donne à toi et à ta descendance à perpétuité. (Genèse 13 : 14-15).

Si Avraham est béni en raison de son noble esprit de renoncement, comment expliquer que la bénédiction de la fécondité soit octroyée à Sarah (Genèse 21 : 1) malgré son état stérile (Genèse 11 : 30) ?

La réponse réside dans le midrash Genèse Raba (47 : 1) expliquant que l’Eternel a scindé la toute dernière lettre Yod, י du nom Saraï שָׂרָי en deux lettres distinctes He- ה, l’une entrant dans la composition du nom AvraHam/אַבְרָהָם, l’autre dans celle du nom SaraH/ שָׂרָה. Cette capacité à se séparer d’une part de soi et ce partage d’intimité sont tout à l’honneur de Sarah qui, ainsi, trouve grâce aux yeux de l’Eternel (Genèse 17 : 15). Et à l’inverse d’Eve, חַוָּה la première femme issue du côté de l’homme אָדָם, cette fois-ci, l’homme, אַבְרָהָם Avraham est issu de l’identité et du nom de sa femme, שָׂרָה Sarah.

C’est le courage de renoncer aux idoles et aux fausses idéologies ainsi que le détachement de certaines normes sociales et d’éducation, comme en témoigne l’exemple du Patriarche Avraham, qui ouvrent au bonheur et au renouveau. Aurions-nous toutes et tous le courage de renoncer à notre zone de confort personnel pour une destination inconnue ?

Ainsi, les Sages (Genèse Raba 39 : 8) rajoutent que la volonté personnelle de changer de lieu (שִׁנוּי מָקוֹם Shinoui Makom) est source de bénédictions :

א וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-אַבְרָם לֶךְ-לְךָ מֵאַרְצְךָ וּמִמּוֹלַדְתְּךָ וּמִבֵּית אָבִיךָ אֶל-הָאָרֶץ אֲשֶׁר אַרְאֶךָּ. (בראשית יב: א)1 Et l’Éternel avait dit à Abram : “Éloigne-toi de ton pays, de ton lieu natal et de la maison de ton père, et va au pays que je t’indiquerai. (Genèse 12 : 1).

En effet, il est écrit : «לֶךְ-לְךָ», «Va pour toi». Si tu pars, ce départ sera un Bien pour toi, et par voie de conséquence, pour l’Humanité.   

Puis, au départ d’Avram de Haran en Padan-Aram, dans l’actuelle Turquie, pour la terre de Cana’an succède la promesse de devenir une grande nation :

ב וְאֶעֶשְׂךָ לְגוֹי גָּדוֹל וַאֲבָרֶכְךָ וַאֲגַדְּלָה שְׁמֶךָ וֶהְיֵה בְּרָכָה. (בראשית יב: ב)2 Et Je te ferai devenir une grande nation ; je te bénirai, je grandirai ton nom, et toi, sois une bénédiction. (Genèse 12 : 2).

Le verset-clé, voûte sur laquelle repose l’ensemble de la parashah Lekh Lekha est :

ו וְהֶאֱמִן בַּיהוָה וַיַּחְשְׁבֶהָ לּוֹ צְדָקָה. (בראשית טו: ו)6 Et il [Avraham] eut foi en l’Éternel, et l’Éternel le lui compta comme justice. (Genèse 15 : 6).

Sisyphe, personnage de la mythologie grecque revisité par Albert Camus, atteint au bonheur dès lors que, perdant toute forme d’espoir car condamné par les dieux à remonter indéfiniment la pierre à son sommet, prend conscience de son pouvoir à vaincre ces dieux qui l’ont condamné par son combat incessant pour supporter le poids tragique de sa malédiction. A l’opposé, l’épreuve divine de la stérilité n’a en rien entamé l’espoir du Patriarche Avraham de voir l’avènement de meilleurs jours. Là où Sisyphe tente de donner du sens à l’absurdité de sa destinée irréversible, Avraham donne du sens à sa vie en se projetant au-delà de l’impossible et du déterminé. Au contraire de la résignation de Sisyphe, l’inébranlable confiance d’Avraham est enracinée profondément en la promesse divine, source inégalable et inextinguible de Vie et d’Espoir. Cette source de Vie et d’Espoir accompagne Israël à travers toute sa destinée, aussi bien aux jours glorieux de l’installation des Hébreux, puis de la royauté en Erets Israël, que durant la longue nuit de l’exil qui sera la sienne, durant la Shoah. C’est ce lien intrinsèque existant entre le peuple d’Israël, descendant des Patriarches, et son Créateur, cette même source de Vie et d’Espoir, qui a vocation de servir de modèle à toutes les Familles de la Terre :

י  נְדִיבֵי עַמִּים נֶאֱסָפוּ עַם אֱלֹהֵי אַבְרָהָם כִּי לֵאלֹהִים מָגִנֵּי-אֶרֶץ מְאֹד נַעֲלָה. (תהלים מז: י)10 Que les plus nobles d’entre les nations s’assemblent, le peuple du Seigneur d’Abraham ! Car du Seigneur relèvent ceux qui sont les boucliers de la terre : il est souverainement élevé. (Psaume 47 : 10).  

[1] Parashat Lekh Lekha, Genèse 12 : 1; 17: 27

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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