L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Mikets, Méditation sur la crise et la croissance

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Dans le cadre de la parasha Mikets[1], nous méditerons sur la racine verbale            ְ שִׁ.ב.ר./ Sh. B. R. signifiant « acquérir du blé, vendre du blé ».

נו וְהָרָעָב הָיָה עַל כָּל-פְּנֵי הָאָרֶץ וַיִּפְתַּח יוֹסֵף אֶת-כָּל-אֲשֶׁר בָּהֶם וַיִּשְׁבֹּר לְמִצְרַיִם וַיֶּחֱזַק הָרָעָב בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם. נז וְכָל-הָאָרֶץ בָּאוּ מִצְרַיְמָה לִשְׁבֹּר אֶל-יוֹסֵף כִּי-חָזַק הָרָעָב בְּכָל-הָאָרֶץ. (בראשית מא: נו-נז). ש

56 Et il advint que la famine régnait sur toute la contrée, c’est alors que Joseph ouvrit tous les greniers et vendit du blé aux Égyptiens. La famine persista dans le pays d’Égypte. 57 Et de tous les pays on venait en Égypte pour acheter à Joseph, car la famine était grande dans toute la contrée. (Genèse 41 : 56-57).

Cette même racine שִׁ.ב.ר./ Sh. B. R.  est rattachée, cette fois-ci, au Patriarche Ya’AQoV (Jacob) qui, en raison de la grave famine sévissant en Erets Canaan, ordonne à ses fils de descendre en Egypte afin d’y acquérir du blé et ainsi de sauver la famille d’Israël.

א וַיַּרְא יַעֲקֹב כִּי יֶשׁ-שֶׁבֶר בְּמִצְרָיִם וַיֹּאמֶר יַעֲקֹב לְבָנָיו לָמָּה תִּתְרָאוּ. ב וַיֹּאמֶר הִנֵּה שָׁמַעְתִּי כִּי יֶשׁ-שֶׁבֶר בְּמִצְרָיִם רְדוּ-שָׁמָּה וְשִׁבְרוּ-לָנוּ מִשָּׁם וְנִחְיֶה וְלֹא נָמוּת. ג וַיֵּרְדוּ אֲחֵי-יוֹסֵף עֲשָׂרָה לִשְׁבֹּר בָּר מִמִּצְרָיִם. (בראשיץ מב: א-ג).ש

1 Et Jacob, voyant qu’il y avait vente de blé en Égypte, dit à ses fils: “Pourquoi vous entre regarder?” 2 Et il ajouta “J’ai ouï dire qu’il y avait vente de blé en Égypte. Allez-y, achetez-y du blé pour nous et nous resterons en vie au lieu de mourir.” 3 Et les frères de Joseph partirent à dix, pour acheter du grain en Égypte. (Genèse 42 : 1-3).

L’on peut remarquer que le début du chapitre 42 débute là même où le chapitre précédent s’est arrêté : avec שֶׁבֶר l’achat/la vente du blé. Pourquoi cette reprise? Elle vise en premier lieu à tisser un lien étroit entre Ya’aQoV avec son fils éloigné et perdu YoSsePh, alors devenu l’homme le plus puissant d’Egypte après Pharaon. En second lieu, le rêve de YoSsePh relatif à la gerbe de blé qui lui vaudra d’être haï par ses frères (Genèse 37 : 5-11), non seulement commence à se réaliser, mais se révèle être identique à l’interprétation de Joseph voyant ses propres frères se prosterner devant lui (Genèse 42 : 6). Le terme שֶׁבֶר signifie également « interprétation » :

טו וַיְהִי כִשְׁמֹעַ גִּדְעוֹן אֶת-מִסְפַּר הַחֲלוֹם וְאֶת-שִׁבְרוֹ וַיִּשְׁתָּחוּ וַיָּשָׁב אֶל-מַחֲנֵה יִשְׂרָאֵל וַיֹּאמֶר קוּמוּ כִּי-נָתַן יְהוָה בְּיֶדְכֶם אֶת-מַחֲנֵה מִדְיָן. (שופטים ז: טו).ש

15 Et en entendant le récit de ce songe et son interprétation, Guid’on se prosterna ; puis il retourna au camp d’Israël et s’écria : “Marchez ! l’Eternel vous livre le camp de Midian !” (Juges 7 : 15).

C’est, en définitive, la pénurie de blé, de fait la crise économique, qui va déterminer la rencontre des fils de Ya’aQoV avec celui qu’ils ont haï au plus profond d’eux-mêmes, leur frère YoSsePh ! YoSsePh est surnommé « הַמַּשְׁבִּיר HaMaShBiR » (Genèse 42 : 6), terme traduit généralement par « celui qui achète/vend, distribue le blé », mais peut se traduire également par « celui qui cause la brisure » chez ses frères les contraignant, malgré eux, à avouer et à reconnaître leur crime d’antan :

כא וַיֹּאמְרוּ אִישׁ אֶל-אָחִיו אֲבָל אֲשֵׁמִים אֲנַחְנוּ עַל-אָחִינוּ אֲשֶׁר רָאִינוּ צָרַת נַפְשׁוֹ בְּהִתְחַנְנוֹ אֵלֵינוּ וְלֹא שָׁמָעְנוּ עַל-כֵּן בָּאָה אֵלֵינוּ הַצָּרָה הַזֹּאת. (בראשית מב: כא).ש

21 Et ils se dirent l’un à l’autre : “En vérité nous sommes punis à cause de notre frère ; nous avons vu son désespoir lorsqu’il nous criait de grâce et nous sommes demeurés sourds. Voilà pourquoi ce malheur nous est arrivé.” (Genèse 42 : 21).

Les moments les plus difficiles doivent être compris comme des opportunités à l’élévation et à l’accomplissement de notre vocation.  La racine שִׁ.ב.ר./ Sh.B.R. signifiant « acquérir/vendre du blé » a également le sens de « briser, fracturer »:

יא כָּלוּ בַדְּמָעוֹת עֵינַי חֳמַרְמְרוּ מֵעַי נִשְׁפַּךְ לָאָרֶץ כְּבֵדִי עַל-שֶׁבֶר בַּת-עַמִּי בֵּעָטֵף עוֹלֵל וְיוֹנֵק בִּרְחֹבוֹת קִרְיָה.  (איכה ב: יא).ש

11 Mes yeux se consument dans les larmes, mes entrailles sont brûlantes, mon cœur se fond en moi à cause du désastre [brisure] de la fille de mon peuple, car enfants et nourrissons sont tombés en défaillance sur les places de la cité. (Lamentations 2 : 11).

Toute souffrance, toute crise peuvent conduire au renouvellement de soi. La femme enceinte, après les douleurs de l’accouchement, met au monde sa progéniture sur le lit de misère, de douleurs ou de « brisure » :

ג וַיֹּאמְרוּ אֵלָיו כֹּה אָמַר חִזְקִיָּהוּ יוֹם-צָרָה וְתוֹכֵחָה וּנְאָצָה הַיּוֹם הַזֶּה  כִּי בָאוּ בָנִים עַד-מַשְׁבֵּר וְכֹחַ אַיִן לְלֵדָה. (ישעיהו לז: ג).ש

3 …avec ce message : “Ainsi parle Ezéchias : C’est aujourd’hui un jour d’angoisse, de châtiment et d’humiliation ; les enfants sont près de naître, mais point de force pour enfanter ! (Isaïe 37 : 3).

Pour Osée, c’est l’enfant à naître qui est prêt, mais ne veut point voir le jour :

יג חֶבְלֵי יוֹלֵדָה יָבֹאוּ לוֹ הוּא-בֵן לֹא חָכָם כִּי-עֵת לֹא-יַעֲמֹד בְּמִשְׁבַּר בָּנִים. (הושע יג: יג).ש

13 Les douleurs d’une femme en travail lui arrivent ; enfant qu’il est, il n’a point de raison, autrement il ne resterait pas attaché au siège de l’enfantement. (Osée 13 : 13)

Ainsi, ce terme est associé à la douleur, à la brisure, mais annonce le renouveau :

א וַיַּרְא יַעֲקֹב כִּי יֶשׁ-שֶׁבֶר בְּמִצְרָיִם וַיֹּאמֶר יַעֲקֹב לְבָנָיו לָמָּה תִּתְרָאוּ. (בראשית מב: א).ש

1 Et Jacob, voyant qu’il y avait vente de blé en Égypte, dit à ses fils : “Pourquoi vous entre regarder ?” (Genèse 42 : 1).

Le Midrash Rabba, sur ce verset, observe, à juste titre, que Jacob ne pouvait point « voir » ce qu’il se passait en Egypte, mais seulement « l’entendre ». Il en déduit :

«וַיַּרְא יַעֲקֹב כִּי יֵשׁ שֶׁבֶר בְּמִצְרַיִם, וְכִי בְּמִצְרַיִם הָיָה יַעֲקֹב שֶׁרָאָה תְּבוּאָה בְּמִצְרַיִם… וַהֲלוֹא אָמַר לְבָנָיו “וַיֹּאמֶר הִנֵּה שָׁמַעְתִּי” (בראשית מב : ב), אֶלָּא מִיּוֹם שֶׁנִּגְנַב יוֹסֵף נִסְתַּלְּקָה רוּחַ הַקֹּדֶשׁ מִמֶּנּוּ … וּמִפְּנֵי מָה לֹא נֶאֱמַר: “יֶשׁ אֹכֶל בְּמִצְרָיִם”? וַהֲלוֹא כְּבָר נֶאֱמַר: “וַתִּרְעַב כָּל אֶרֶץ מִצְרַיִם” (בראשית מא: נה)?, וּמַה תַּלְמוּד לוֹמַר: “יֶשׁ שֶׁבֶר”? אֶלָא אַל תְּהִי קוֹרֵא יֵשׁ שֶׁבֶר, אֶלָּא יֵשׁ סֵבֶר, שֶׁרָאָה בָּאַסְפַּקְלַרְיָא שֶׁסִּבְרוֹ בְּמִצְרַיִם, וְאֵיזֶה זֶה, זֶה יוֹסֵף».

« “Ya’aqov vit qu’il y avait du blé (ShéVeR) en Egypte” Est-ce que Jacob était en Egypte, pour « voir » la récolte en Egypte… alors qu’il a dit à ses fils : « voici que j’ai entendu » (Genèse 42 : 2) ? Mais du jour où Joseph a été volé, l’Esprit de Sainteté l’a quitté… Et pourquoi n’est-il point dit : “Il y a de la nourriture en Egypte” ? N’est-il point déjà dit : “Et toute l’Egypte eut faim” (Genèse 41 : 55) ? Et pourquoi est-il enseigné : “Il y a שֶׁבֶר du blé” ? Mais il ne faut point lire :  “Il y a שֶׁבֶר du blé”, mais “Il y a סֵבֶר de l’espoir”. Il a vu par une vision inspirée que son espoir perdu (סֵבֶר SéVeR) était en Egypte, et qui était cet espoir ? C’était Joseph » (Beréchith raba 91, 6).

Rashi, s’inspirant du Midrash Raba, explique que le Patriarche Jacob, lors d’une vision, aussi fulgurante soit-elle, est conduit à mentionner son fils par allusion, par le biais du terme שֶׁבֶר SheVeR lu סֵבֶר SéVer, terme tiré de la racine ס.ב.ר.  signifiant « espérer ». Ainsi celui qui sustente son prochain, celui qui interprète les rêves est aussi celui par lequel s’accomplira l’espoir de réconciliation entre tous les frères, à savoir YoSsePh en vertu de la mission qui lui fut confiée par son père Ya’AQoV :

יד וַיֹּאמֶר לוֹ לֶךְ נָא רְאֵה אֶת שְׁלוֹם אַחֶיךָ וְאֶת-שְׁלוֹם הַצֹּאן וַהֲשִׁבֵנִי דָּבָר וַיִּשְׁלָחֵהוּ מֵעֵמֶק חֶבְרוֹן וַיָּבֹא שְׁכֶמָה. (בראשית לז: יד). ש

14 Et il dit : “Va voir, je te prie, si tes frères sont en paix, comment se porte le bétail et rapporte-m’en des nouvelles.” Il l’envoya ainsi de la vallée de Hébron et Joseph se rendit à Shekhem. (Genèse 37 : 14).

Enfin, le commentateur Onkelos nous aide à jeter un nouveau regard sur ce verset :

ש«וַחֲזָא יַעֲקֹב אֲרֵי אִית עִיבוּרָא מִזְדַּבַּן בְּמִצְרָיִם וַאֲמַר יַעֲקֹב לִבְנוֹהִי לְמָא תִּתַּחְזוֹן׃» (בראשית מב: א).ש

« Et Jacob vit qu’il y avait du produit de la récolte qui se vendait en Egypte et il dit à ses fils : Pourquoi vous regardez-vous ? ». (Genèse 42 : 1).

En effet, Onkelos traduit le terme « שֶׁבֶר/ ShéVeR , blé » en araméen par עִיבוּרָא . Or, la racine de ce mot ע.ב.ר. est la même que pour « עֻבָּר, OuBaR, fœtus » et aussi «מְעֻבֶּרֶת , MéOuBéReT, enceinte ». La terre d’Egypte semble être enceinte, préparée pour la venue des Hébreux, comme le sera plus tard la terre d’Erets Israël :

יא וַיֹּאכְלוּ מֵעֲבוּר הָאָרֶץ מִמָּחֳרַת הַפֶּסַח מַצּוֹת וְקָלוּי בְּעֶצֶם הַיּוֹם הַזֶּה. יב וַיִּשְׁבֹּת הַמָּן מִמָּחֳרָת בְּאָכְלָם מֵעֲבוּר הָאָרֶץ וְלֹא-הָיָה עוֹד לִבְנֵי יִשְׂרָאֵל מָן וַיֹּאכְלוּ מִתְּבוּאַת אֶרֶץ כְּנַעַן בַּשָּׁנָה הַהִיא.  (יהושע ה: יא-יב).ש

11 Et le lendemain de la Pâque, ce même jour, ils mangèrent de la récolte du pays, en pains azymes et en grains torréfiés. 12 La manne cessa de tomber le lendemain, parce qu’ils avaient à manger de la récolte du pays, et les enfants d’Israël n’eurent plus de manne, mais ils se nourrirent, dès cette année, des produits du pays de Canaan. (Josué 5 : 11-12).

L’espérance d’Israël réside dans sa propre brisure. Ainsi Israël, aussi paradoxal que cela puisse paraître, n’a jamais été aussi fort et créatif qu’en période de crise et d’humiliation. L’œuvre du Talmud n’aurait jamais vu le jour sans la destruction du Temple par Titus. La pensée des Sages d’Israël et l’accès de celle-ci au plus grand nombre n’a été rendue possible qu’à la suite de la fin de l’ère prophétique. Alors, au moment même où l’Occident traverse une importante crise socio-économique, pourquoi ne point rêver de la transformer en opportunité de renouveau pour le bien-être, le Shalom, la Paix de tous ? Si l’on permute les trois radicales du verbe « espérer » ְ ס.ב.ר.qui peut s’écrire avec un sin : שִׂ.ב.ר. / S. B. R., l’on obtient la racine ְב.שִׁ.ר./ B. S. R. signifiant « apporter une bonne nouvelle, annoncer un message de paix » :

ז מַה-נָּאווּ עַל-הֶהָרִים רַגְלֵי מְבַשֵּׂר מַשְׁמִיעַ שָׁלוֹם מְבַשֵּׂר טוֹב מַשְׁמִיעַ יְשׁוּעָה אֹמֵר לְצִיּוֹן מָלַךְ אֱלֹהָיִךְ. (ישעיהו נב: ז).ש

7 Qu’ils sont gracieux sur les montagnes les pieds du messager qui annonce la paix, du messager de bonnes nouvelles, qui annonce la délivrance, qui dit à Sion : “Ton Dieu est roi !” (Isaïe 52 : 7).

[1] Parashat Mikets: Genèse 41 : 1-44 : 17.

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Shabbat shalom !

Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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