L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Mikets, Yossef,  la tunique de lumière

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

José Vergara "La tunique de Joseph", 1790
José Vergara “La tunique de Joseph”, 1790

La parasha Mikets est, selon la Tradition hébraïque,  toujours lue lors de la fête de Hanouccah, la fête des lumières commémorant la victoire spirituelle des Macchabées sur l’envahisseur grec en Israël. Pourquoi la tradition hébraïque attache-t-elle autant d’importance à  faire coïncider la lecture de cette parasha à l’histoire relatant le  miracle de la petite fiole d’huile qui, retrouvée parmi les ruines du Temple de Jérusalem, va permettre l’allumage de la Menorah?

Yosseph, dans la parasha précédente, est envoyé par son père depuis la vallée de Hébron auprès de ses frères qui, le voyant, décident de le jeter dans une citerne vide d’eau. C’est alors que des Midianites le font remonter de la citerne pour le vendre à une caravane d’Ismaélites qui le font descendre en Egypte et le vendent comme esclave. Or, qu’adviendra-t-il de Yosseph en Egypte? 

Après avoir, grâce à l’inspiration divine, décrypté les rêves de l’échanson et du panetier de Pharaon (Gen. 40: 5-21), celui-ci ordonne que Yossef soit immédiatement extrait de la fosse pour qu’il décrypte deux rêves qu’il vient de faire et qui le troublent:

ש«וַיִּשְׁלַח פַּרְעֹה וַיִּקְרָא אֶת-יוֹסֵף וַיְרִיצֻהוּ מִן-הַבּוֹר וַיְגַלַּח וַיְחַלֵּף שִׂמְלֹתָיו וַיָּבֹא אֶל-פַּרְעֹה» (בראשית מא: יד).ש

«Pharaon envoya quérir Joseph, qu’on fit sur le champ sortir de la geôle; il se rasa et changea de vêtements, puis il parut devant Pharaon» (Gen. 41: 14)[1]

L’expression «changer de vêtements» (וַיְחַלֵּף שִׂמְלֹתָו) se retrouve dans le livre de Samuel. Le roi David, après avoir perdu à la naissance le premier fils qu’il a eu de Bat Sheva,  «change d’habits»:

ש«וַיָּקָם דָּוִד מֵהָאָרֶץ וַיִּרְחַץ וַיָּסֶךְ וַיְחַלֵּף שִׂמְלֹתָו וַיָּבֹא בֵית-יְהוָה וַיִּשְׁתָּחוּ וַיָּבֹא אֶל-בֵּיתוֹ וַיִּשְׁאַל וַיָּשִׂימוּ לוֹ לֶחֶם וַיֹּאכַל» (שמואל ב, יב: כ).ש

«Alors David se releva de terre, prit un bain, se parfuma et changea de vêtements, puis se rendit à la maison de Dieu et se prosterna; il rentra chez lui, et, sur sa demande, on lui servit un repas qu’il mangea» (II Sam. 12: 20).

Qu’indique ce changement de vêtements?

La racine hébraïque H. L. Ph.  (ח. ל. פ.) exprime la mutation d’un état de brisure où règne l’obscurité vers un nouvel état de lumière, de réparation et d’élévation. Après avoir supplié pour la vie de son fils à naître, après le refus de l’Eternel d’accéder à sa demande, David finit par recouvrer son autorité royale. Le Psaume 51 décrit le processus de Teshouva- de Retour à l’Eternel – opéré par David. En Genèse  35: 2 la racine  H. L. Ph.  (ח. ל.פ) revêt, par ailleurs, un sens de purification. Yosseph, quant à lui, après avoir souffert la cruelle l’humiliation de ses propres frères et avoir été traité d’«esclave hébreu» (Gen. 39: 17), est élevé au rang de second de l’empire égyptien (Gen. 41: 39-41; 44). Cette même racine H. L. Ph.  (ח.ל.פ.) annonce également le renforcement du statut social et spirituel de Yosseph qui va, désormais, étendre son pouvoir  sur l’ensemble de l’Egypte et du  monde (Cf. Isaïe 40: 31).

Ainsi, Yoseph est paré d’habits royaux et se voit offrir la bague- le sceau personnel- de Pharaon!

ש«וַיָּסַר פַּרְעֹה אֶת-טַבַּעְתּוֹ מֵעַל יָדוֹ וַיִּתֵּן אֹתָהּ עַל-יַד יוֹסֵף וַיַּלְבֵּשׁ אֹתוֹ בִּגְדֵי-שֵׁשׁ וַיָּשֶׂם רְבִד הַזָּהָב עַל-צַוָּארוֹ. מג וַיַּרְכֵּב אֹתוֹ בְּמִרְכֶּבֶת הַמִּשְׁנֶה אֲשֶׁר-לוֹ וַיִּקְרְאוּ לְפָנָיו אַבְרֵךְ וְנָתוֹן אֹתוֹ עַל כָּל-אֶרֶץ מִצְרָיִם» (בראשית מא: מב-מג).ש

«Et Pharaon ôta son anneau de sa main et le passa à celle de Joseph; il le fit habiller de byssus et suspendit le collier d’or de son cou. 43 Il le fit monter sur son second char; on cria devant lui: Avrêkh  (A genoux!) et il fut installé chef de tout le pays d’Égypte». (Gen. 41: 42-43).

Le descendant de Benjamin, frère de Yosseph, Mordechaï (Mardochée) sera, lui aussi, revêtu de l’habit royal après avoir déchiré ses vêtements et porté le joug du deuil (Esther 4: 1-3):

 ש«וּמָרְדֳּכַי יָצָא מִלִּפְנֵי הַמֶּלֶךְ בִּלְבוּשׁ מַלְכוּת תְּכֵלֶת וָחוּר וַעֲטֶרֶת זָהָב גְּדוֹלָה וְתַכְרִיךְ בּוּץ וְאַרְגָּמָן וְהָעִיר שׁוּשָׁן צָהֲלָה וְשָׂמֵחָה» (אסתר ח: טו).ש

«Cependant Mordechaï sortit de chez le roi en costume royal, bleu d’azur et blanc, avec une grande couronne d’or et un manteau de byssus et de pourpre, et la ville de Suse fut dans la jubilation et dans la joie» (Esther 8: 15).

L’habit royal porté par Mordechaï témoigne d’un retournement miraculeux de situation laissant apparaître la joie et la lumière parmi les fils d’Israël, après l’angoisse et le deuil d’un prochain immense pogrom prévu par Haman:

ש«לַיְּהוּדִים הָיְתָה אוֹרָה וְשִׂמְחָה וְשָׂשֹׂן, וִיקָר» (אסתר ח: טז).ש

«Pour les Juifs, ce n’étaient que lumière et  joie rayonnante, contentement, allégresse et marques d’honneur» (Esther 8: 16).

Comment expliquer que Yosseph, celui dont le vêtement, une tunique, «Ketonet Passim»  (Gen. 37: 3) généreusement offerte par son père Yaakov et trempée dans le sang par ses frères (Gen. 37: 31) accède du statut officiel d’esclave hébreu au plus haut niveau du pouvoir de l’Egypte?

Les frères ayant eu connaissance du courant de l’histoire par les rêves de Yosseph, tentent de le contrecarrer, de le détourner:

ש«וְעַתָּה לְכוּ וְנַהַרְגֵהוּ וְנַשְׁלִכֵהוּ בְּאַחַד הַבֹּרוֹת וְאָמַרְנוּ חַיָּה רָעָה אֲכָלָתְהוּ וְנִרְאֶה מַה-יִּהְיוּ חֲלֹמֹתָיו».  (בראשית לז: כ).ש

«Or çà, venez, tuons le, jetons le dans quelque citerne, puis nous dirons qu’une bête féroce l’a dévoré. Nous verrons alors ce qui adviendra de ses rêves!»  (Gen. 37: 20).

Pour ce faire, ils s’emparent du vêtement de Yoseph, symbole de l’amour paternel qu’ils lui envient:

ש«וְיִשְׂרָאֵל אָהַב אֶת-יוֹסֵף מִכָּל-בָּנָיו כִּי-בֶן-זְקֻנִים הוּא, לוֹ וְעָשָׂה לוֹ כְּתֹנֶת פַּסִּים» (בראשית לז:ג).ש

«Or Israël préférait Joseph à ses autres enfants parce qu’il était le fils de sa vieillesse; et il lui avait fait une tunique à rayures». (Gen. 37: 3)

La traduction généralement admise de «כְּתֹנֶת פַּסִּים» est «tunique à rayures». Or, quelle est véritablement la signification de ce terme?

L’association de ces deux termes ne réapparaît qu’une seule fois, dans le livre de Samuel. L’on y rapporte la brisure de Thamar qui, violée par son propre frère Amnon et privée de son honneur le plus précieux, sa virginité (II Sam. 13: 18), déchire sa tunique «à manches»:

ש«וַתִּקַּח תָּמָר אֵפֶר עַל-רֹאשָׁהּ וּכְתֹנֶת הַפַּסִּים אֲשֶׁר עָלֶיהָ קָרָעָה וַתָּשֶׂם יָדָהּ עַל-רֹאשָׁהּ וַתֵּלֶךְ הָלוֹךְ וְזָעָקָה» (שמואל ב, יג:יט).ש

«Thamar se couvrit la tête de cendres, déchira la tunique à manches qu’elle portait, puis, les mains jointes sur sa tête, s’en alla en poussant des cris» (II Sam. 13: 19).

Le terme araméen פַּס («Pass») extrait du verset «פַּס יְדָא דִּי כָתְבָה  » (Daniel 5:5) signifiant «la paume de la main» viendrait corroborer la thèse selon laquelle la tunique de Yoseph portait de longues manches se prolongeant jusqu’aux doigts. Cette tunique qui n’est point sans rappeler celle des Cohanim (prêtres, Exode 28: 4), symbolise le pouvoir spirituel. Yoseph, le juste sur lequel se fonde le monde (Prov. 10: 25) se caractérise par sa très haute exigence de moralité, tel que nous l’enseigne le port de la tunique aux longues manches (II Sam. 13: 18) mais surtout, comme nous le voyons dans ses rapports avec la femme de Putiphar, dont il refuse les avances répétées avec force (Gen. 39: 7-12).

Yosseph accède à la gloire en Egypte car il vit en totale adhésion avec le Seigneur Tout-Puissant  dont il ne cesse de mentionner le Nom. Il s’attache avec force et foi à la haute lumière divine:

ש«בָּרְכִי נַפְשִׁי אֶת-יְהוָה יְהוָה אֱלֹהַי גָּדַלְתָּ מְּאֹד הוֹד וְהָדָר לָבָשְׁתָּב עֹטֶה-אוֹר כַּשַּׂלְמָה נוֹטֶה שָׁמַיִם כַּיְרִיעָה» (תהלים קד: א-ב).ש

«Bénis, mon âme, l’Eternel! Eternel, mon Dieu, tu es infiniment grand; tu es vêtu de splendeur et de majesté. 2 Tu t’enveloppes de lumière comme d’un manteau, tu déploies les cieux comme une tenture» (Psaumes 104: 1-2).

Ainsi, le terme שַּׂלְמָה (SaLMaH) signifiant «manteau, robe», dont Yosseph change en sortant de s prison et en arrivant devant Pharaon, peut être également lu שְׁלֹמֹה, Salomon (ShLoMoH), le roi qui, vêtu de majesté, instaure la paix (ShaLOM) en son royaume (M.Sh.L, racine signifiant “gouverner”, מֹשֵׁל/ MoSheL: Gen. 45: 26) .

A la recherche de réconciliation et de paix avec ses frères, Yosseph, de fait désigné par Pharaon ordonnant de le vêtir de vêtements royaux, brise l’épaisse obscurité de l’Egypte pharaonique d’où émergent les premiers rayons de lumière de la Rédemption:

ש«הַבֹּקֶר אוֹר וְהָאֲנָשִׁים שֻׁלְּחוּ הֵמָּה וַחֲמֹרֵיהֶם» (בראשית מד: ג; יב-יג).ש

«Le jour pointa, on laissa repartir ces hommes, eux et leurs ânes». (Gen. 44: 3; 12-13)

Les deux vêtements de gloire de Yossef, le «Ketonet Passim» et l’habit donné par Pharaon, constituent deux étapes vers la réconciliation des frères et s’avèrent nécessaires à la délivrance finale:

ש«וַיֹּאמֶר יוֹסֵף אֶל-אֶחָיו אֲנִי יוֹסֵף, הַעוֹד אָבִי חָי; וְלֹא-יָכְלוּ אֶחָיו לַעֲנוֹת אֹתוֹ, כִּי נִבְהֲלוּ מִפָּנָיו».(בראשית מה:א-ד).ש

«…et il dit à ses frères: “Je suis Joseph; mon père vit-il encore?” Mais ses frères ne purent lui répondre, car il les avait frappés de stupeur» (Gen. 45, 1-4).

C’est ainsi que cette parasha, passant des moments de dépression de Yoseph (à l’occasion de sa mise en prison injustifiée) à ses moments de gloire (quand il devient l’intendant de Putiphar puis le second de Pharaon), met en lumière le dur combat qu’eurent à mener les Maccabées (famille de prêtres) contre la grande puissance de l’époque, la Grèce, qui imposa des lois pour éradiquer jusqu’en son fondement la foi hébraïque. Ainsi, la petite fiole d’huile trouvée dans le Temple chasse symboliquement les ténèbres spirituelles imposées par la Grèce après sa défaite.

La pureté d’un simple rayon de lumière détient le pouvoir de repousser les plus profondes ténèbres!

[1] Parashat Mikets, Genèse 41:1 – 44: 17

 

Si l’étude du TaNaKh vous fait rêver, n’hésitez pas à me joindre:

[email protected]

Au plaisir de vous retrouver,

Shabbat shalom!

,Avec toutes mes amitiés

Haïm Ouizemann

Partager sur email
Partager sur whatsapp
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur print
Souscription au Blog par Email

Entrez votre adresse mail pour suivre ce blog et être notifié par email des nouvelles publications.
Rejoignez les 770 autres abonnés

4 réponses

  1. Merci pour cette parashat. Elle a la force de redonner l’espoir dans les périodes obscures de la vie. Alors qu’on pourrait croire que tout est fini, une lueur même infime peut faire basculer les situations.
    Merci

  2. Merci beaucoup Haïm, excellente nourriture pour mon âme.
    Sabbat Shalom.
    Myriam Leclercq Gaul

  3. J’ai encore qq articles de retard.
    Il va falloir que je lise et relise plus sérieusement.
    Les rayures, dans le monde occidental, du moins jusqu’à la Renaissance ont une signification particulière: sont vêtus de vêtements à rayures les prostituées, les bouffons, les condamnés et toutes personnes à éviter.
    Vêtement dit “du diable”

    J’ignore si cette symbolique existe dans le récit biblique, sinon on pourrait dire que dès le début Joseph est placé sous le signe de la différence avec cette tunique à rayures donnée par son père.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

Quelques mots sur moi

J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
A propos…

Souscription au Blog par Email

Entrez votre adresse mail pour suivre ce blog et être notifié par email des nouvelles publications.
Rejoignez les 770 autres abonnés

Archives