L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Mishpatim, Le fœtus, un être à naître

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La parashat Mishpatim[1] constitue, après le don de la Constitution d’Israël par le biais des Dix Paroles au mont Sinaï, le code civil et pénal du peuple d’Israël. On relève de nombreuses lois (‘Houkim) visant à régir la vie sociale, telle la loi relative au statut du fœtus :

כב וְכִי-יִנָּצוּ אֲנָשִׁים וְנָגְפוּ אִשָּׁה הָרָה וְיָצְאוּ יְלָדֶיהָ וְלֹא יִהְיֶה אָסוֹן עָנוֹשׁ יֵעָנֵשׁ כַּאֲשֶׁר יָשִׁית עָלָיו בַּעַל הָאִשָּׁה וְנָתַן בִּפְלִלִים. כג וְאִם-אָסוֹן יִהְיֶה וְנָתַתָּה נֶפֶשׁ, תַּחַת נָפֶשׁ. כד עַיִן תַּחַת עַיִן שֵׁן תַּחַת שֵׁן, יָד תַּחַת יָד רֶגֶל תַּחַת רָגֶל. כה כְּוִיָּה תַּחַת כְּוִיָּה פֶּצַע תַּחַת פָּצַע חַבּוּרָה תַּחַת חַבּוּרָה. (שמות כא: כב-כה)22 “Si, des hommes ayant une rixe, l’un d’eux heurte une femme enceinte et la fait avorter sans autre malheur, il sera condamné à l’amende que lui fera infliger l’époux de cette femme et il la paiera à dire d’experts. 23 Mais si un malheur s’ensuit, tu feras payer corps pour corps ; 24 œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied pour pied ; 25 brûlure pour brûlure, plaie pour plaie, contusion pour contusion. (Exode 21 : 22-25).

Ce texte envisage deux éventualités dans le cadre d’un coup porté involontairement à l’encontre de la mère, la première au cours de laquelle le fœtus seul serait perdu, la seconde au cours de laquelle la mère viendrait à décéder, entraînant la mort de son fœtus.

Ce passage biblique pose la question complexe du statut du fœtus, à savoir, si la mère perd son bébé lors d’une rixe ou d’un accident causé par un tiers, celui-ci doit-il être considéré comme une personne à part entière, auquel cas la personne causant cette perte doit payer, ou bien doit-on estimer que le fœtus fait partie intégrante de la mère à laquelle il est rattaché par le cordon ombilical? En somme, à partir de quel moment doit-on évaluer le début de la Vie ?

En cas de mort accidentelle du fœtus, mort causée par un tiers, l’accusé a l’obligation de dédommager la mère et ne risque pas la peine de mort, comme l’enjoint la Torah quand une personne cause accidentellement une perte de vie humaine :

ו שֹׁפֵךְ דַּם הָאָדָם בָּאָדָם דָּמוֹ יִשָּׁפֵךְ כִּי בְּצֶלֶם אֱלֹהִים עָשָׂה אֶת-הָאָדָם. (בראשית ט: ו)6 Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé car l’homme a été fait à l’image du Seigneur. (Genèse 9 : 6).

La peine de mort n’est décrétée qu’à la condition que les juges reconnaissent l’accusé responsable du décès de la mère (Exode 21 : 23-25). Nous pouvons donc en déduire que, selon la Torah, le fœtus ne possède pas de statut juridique qui lui serait propre. Il est la chair de la chair de sa mère et ne constitue en aucune façon une entité autonome.  L’expression des Sages pour décrire le lien biologique inséparable du fœtus à sa mère est «  עוּבָּר יֶרֶךְ אִמּוֹ הוּא» (« Oubar Yerekh Imo Hou, Le fœtus fait partie intégrante de sa mère ») (Traité Guittin 23 : b ; Traité Baba Kama tossafot 47 : a). Le fœtus est considéré par la majorité des décisionnaires comme s’il était un organe de la femme. En droit romain, l’on retrouve cette même notion sous le nom de pars viscerum matris. Toutefois, les Sages d’Israël dépassent la littéralité du texte biblique et s’efforcent d’accorder un droit de Vie au fœtus. Ils s’accordent à penser qu’au quarantième jour de sa conception, il doit être reconnu comme un être à part entière.

Le terrible accident de voiture survenu en France, causé selon toute vraisemblance par l’humoriste Pierre Palmade, accident entraînant la perte du fœtus de six mois et demi que portait sa mère de vingt-sept ans, suscite une nouvelle fois l’interrogation sur le statut du fœtus. Les médecins ont tenté une césarienne sur la jeune mère blessée, pour essayer de sauver l’enfant. S’ils déclarent l’avoir mis au monde vivant et viable, Pierre Palmade, s’il est reconnu responsable de l’accident par la Justice française, pourrait être accusé d’homicide involontaire. Dans le cas contraire, il est probable que l’homicide involontaire ne sera pas retenu contre lui, comme l’explique Jean-René Binet, professeur de droit à l’université Rennes II, auteur d’un manuel de droit de la bioéthique : « Si l’enfant est né vivant et viable, il accède à la personnalité juridique. S’il vient à décéder peu de temps après, on peut retenir une incrimination d’homicide. En revanche, si le fœtus décède in utero, il n’a pas accédé à la personnalité juridique et la jurisprudence de la Cour de cassation ne retient pas alors l’homicide sur ce petit être »[2].

Pourtant, les juristes, aujourd’hui, comme les Sages d’Israël, ne peuvent en aucune manière faire abstraction de la dimension morale qui constitue de fait le socle d’une société stable et équilibrée. Dans quelle société souhaitons-nous évoluer ? Si les Sages d’Israël octroient un statut ambivalent au fœtus adopté en grande partie par la justice moderne israélienne, la plus haute juridiction française, la Cour de Cassation ne reconnaît point d’homicide involontaire sur « autrui » dès lors que le fœtus est resté dans la matrice de sa mère au moment de l’accident de voiture. 

Le fœtus n’est reconnu comme personnalité juridique autonome que lorsque les médecins le mettent au monde vivant et viable.    

Cette question du statut du fœtus fait émerger d’autres questions nombreuses et complexes, auxquelles nous n’avons pas, il nous le faut reconnaître, de réponses précises et tranchées. La vie est-elle le fruit de la rencontre des gamètes mâle et femelle comme le prétendent les biologistes ? La vie est-elle d’ordre mesurable ? Si tant est que cela est possible, à quel stade pourrions-nous la définir ? Le stade premier serait-il celui de la conscience et de la sentience ? Nous savons aujourd’hui que le fœtus est capable de ressentir des douleurs et du plaisir. Mais comment évaluer précisément le stade de cette conscience, notion complexe qui reste elle-même à définir concernant le fœtus ? De plus, le fait de reconnaître une forme de conscience à un stade précoce chez le fœtus obligerait très probablement à réviser pour bon nombre de pays la notion d’avortement que le droit pénal en France par exemple, depuis la loi de Simone Veil, autorise sous certaines conditions. La Torah et les Sages d’Israël, plutôt que d’octroyer des droits précis au fœtus, préfèrent mettre l’Homme face à sa conscience et à son devoir de responsabilité individuelle.

Concernant la question du statut juridique du fœtus, la parashat Mishpatim laisse une grande latitude de réflexion et, bien au-delà du devoir de dédommagement dû à la mère ayant perdu son fœtus lors d’un accident, défie l’Humanité de mieux appréhender la valeur intrinsèque et inestimable de la Vie pour mieux la respecter. L’embryon et le fœtus ne sont pas des choses ou de simples cellules assemblées par le fruit du hasard les unes aux autres mais porteurs du plus grand mystère pour l’Humanité, la Vie elle-même. C’est ce mystère de la Vie, d’ailleurs, qui conduit à un étrange paradoxe, celui de ne point reconnaître le fœtus comme une personnalité juridique dans le cas d’accident mortel causé par une partie tierce, alors que dans le cas d’avortement, la loi française énonce le principe de « la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie »[3] afin de rappeler que le droit à l’interruption de grossesse reste l’exception.

י  הֲלֹא כֶחָלָב תַּתִּיכֵנִי וְכַגְּבִנָּה תַּקְפִּיאֵנִי. יא  עוֹר וּבָשָׂר תַּלְבִּישֵׁנִי וּבַעֲצָמוֹת וְגִידִים תְּשֹׂכְכֵנִי. יב  חַיִּים וָחֶסֶד עָשִׂיתָ עִמָּדִי וּפְקֻדָּתְךָ שָׁמְרָה רוּחִי. (איוב י: י-יב)10 Ne m’as-tu pas rendu liquide comme le lait, puis affermi comme le fromage ? 11 Tu m’as revêtu de peau et de chair, tu m’as entrelacé d’os et de nerfs. 12 Tu m’as octroyé vie et bonté, et tes soins vigilants ont préservé mon souffle. (Job 10 : 10-12).

[1] Parashat Mishpatim : Exode 21 : 1-24 : 18.

[2] https://www.radioclassique.fr/societe/accident-de-pierre-palmade-le-statut-juridique-du-foetus-en-question/.

[3] Article 16 du Code civil, par la loi du 29 juillet 1994 relative au corps humain (Loi n° 94-653 du 29 juillet 1994, relative au respect du corps humain, JO 30 juillet 1994, p.11056).

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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