L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Nasso: La Voie du juste Milieu

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Statue du philosophe et médecin Maïmonide (1138-1204) à Cordoue
Statue du philosophe et médecin Maïmonide (1138-1204) à Cordoue

La fête de Shavouot, le temps du Don de la Tora, que nous venons de commémorer, enjoint à Israël de suivre la voie de la Sainteté.

ש«וְאַתֶּם תִּהְיוּ-לִי מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים וְגוֹי קָדוֹשׁ: אֵלֶּה הַדְּבָרִים אֲשֶׁר תְּדַבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל» (שמות י”ט, ו’).ש

«Mais vous, vous serez pour moi un royaume de prêtres et une nation sainte. »’ (Ex. 19: 6)

Quelle est donc cette voie de Sainteté? Quelle attitude le peuple d’Israël se doit-il d’adopter afin d’accomplir sa mission de prêtre (Cohen) parmi les Nations et atteindre à l’Absolu divin?

La sainteté n’est-elle point retrait du monde? Israël doit-il se retirer du monde afin de se sanctifier?

L’histoire du Nazir enseigne la volonté d’atteindre au plus haut degré de sainteté par l’abstention totale de produits d’origine viticole et la double interdiction de se raser la chevelure et de se rendre impur au contact des morts (Nombres 6: 5-6-7):

ש« דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם: אִישׁ אוֹ-אִשָּׁה כִּי יַפְלִא לִנְדֹּר נֶדֶר נָזִיר-לְהַזִּיר לַיהוָה.  מִיַּיִן וְשֵׁכָר יַזִּיר חֹמֶץ יַיִן וְחֹמֶץ שֵׁכָר לֹא יִשְׁתֶּה וְכָל-מִשְׁרַת עֲנָבִים לֹא יִשְׁתֶּה וַעֲנָבִים לַחִים וִיבֵשִׁים לֹא יֹאכֵל.  כֹּל יְמֵי נִזְרוֹ מִכֹּל אֲשֶׁר יֵעָשֶׂה מִגֶּפֶן הַיַּיִן מֵחַרְצַנִּים וְעַד-זָג לֹא יֹאכֵל» (במדבר ו’, ב’-ד’).ש

 «Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: Si un homme ou une femme fait expressément vœu d’être abstème, voulant s’abstenir en l’honneur de l’Éternel, 3 il s’abstiendra de vin et de boisson enivrante, ne boira ni vinaigre de vin, ni vinaigre de liqueur, ni une infusion quelconque de raisins, et ne mangera point de raisins frais ni secs.4 Tout le temps de son abstinence, il ne mangera d’aucun produit de la vigne, depuis les pépins jusqu’à l’enveloppe» (Nombres 6: 2-4). [1]

La source biblique souligne explicitement le caractère noble et saint d’une telle attitude visant à s’écarter pleinement des plaisirs de la vie et échapper, ainsi, à la menace toujours présente des passions matérielle et sensuelle (la vigne est à l’origine de la chute de Noé et du rapport incestueux entre Lot et ses deux filles) :

ש«כֹּל יְמֵי נִזְרוֹ קָדֹשׁ הוּא לַיהוָה» (במדבר ו’, ח’).ש

 «Tant qu’il portera cette couronne, il est consacré au Seigneur» (Nombres 6: 8)

Toutefois, les Sages s’interrogent sur les cinq sacrifices  que devra amener le Nazir au Cohen,  à l’issue de sa période de naziréat. Quel est le sens de ces sacrifices (un agneau, une brebis, un bélier et une corbeille de galettes azymes: Nombres 6: 14-15)? Le TaNaKh ne répond pas explicitement à cette difficile question. Selon certains Sages du Talmud (Traité Nazir 3: a), le Nazir doit expier la faute de s’être totalement écarté du monde. Il aurait dû choisir non point la voie extrême du retrait total mais celle du milieu en dominant et modérant ses passions. Si certes, la vision biblique invite l’homme à l’idéal de retrait, de solitude et de contrition,  les Sages d’Israël de la Tradition orale modèrent cette vision en encourageant le peuple d’Israël et les hommes à vivre en société afin d’y construire un monde fondé sur l’équilibre des extrêmes.

Le grand philosophe et médecin Maïmonide (1138-1204),  inspiré par les Sages d’Israël[2], et très probablement par la vision philosophique de la vertu chez Aristote, développe dans son œuvre «les Huit Chapitres», la thèse de la voie du milieu, dénommée en hébreu «le Chemin d’Or» (שְׁבִיל הַזָּהָב, SheViL HaZaHaV):

« Les bonnes actions sont celles qui, gardant le juste milieu, sont également éloignées des deux extrêmes, lesquels sont tous deux un mal, l’un penchant par excès et l’autre par défaut; et les vertus sont des dispositions de  l’âme et des habitudes acquises tenant le milieu entre deux dispositions mauvaises dont l’une pêche par excès et l’autre par défaut.» (Traité des Huit Chapitres, Collection Verdier “Les Dix paroles”, 1979. p. 651)

Comparons avec la notion de vertu chez Aristote:

«Ainsi, quiconque s’y connaît fuit alors l’excès et le défaut. Il cherche au contraire le milieu et c’est lui qu’il prend pour objectif… Dès lors, si c’est ainsi que toute connaissance réussit à remplir son office en gardant en vue le milieu et en œuvrant dans sa direction — d’où l’habitude de  déclarer, à propos des œuvres réussies, qu’on n’y peut ni retrancher, ni ajouter quoi que ce soit, dans l’idée que l’excès et le défaut ruinent la perfection, tandis que la moyenne la préserve —, et si de leur côté, les bons artisans, comme nous le disons, l’ont en point de mire lorsqu’ils travaillent, mais que la vertu, comme la nature, surclasse toute forme d’art en rigueur et en valeur, alors la vertu est propre à faire viser le milieu.» (Aristote, Éthique à Nicomaque, Livre II, 7, GF Flammarion © 2004, traduction Richard Bodéüs, pp. 110, 113, 114, 116-118).

Selon Maïmonide, la voie du juste milieu conduit à la sagesse. Est sage, non point celui qui «aime la philosophie» mais celui qui pratique les valeurs de modération au sein de la société. Le Judaïsme prôné par Maïmonide se fonde sur la notion d’orthopraxie selon laquelle notre attitude positive et nos gestes quotidiens détiennent le pouvoir de réparer le monde brisé par la haine des hommes: «Tu marcheras sur Ses voies», celles de miséricorde et d’amour (Deut. 28: 8; Mishneh Tora, Hilkhot Chapitre 2, halacha 2).

Le prophète Michée résume cette marche spirituelle vers la Sainteté par l’exigence éthique fondée sur la justice, l’amour d’autrui et la modestie de notre train de vie quotidienne:

ש«הִגִּיד לְךָ אָדָם מַה-טּוֹב וּמָה-יְהוָה דּוֹרֵשׁ מִמְּךָ כִּי אִם-עֲשׂוֹת מִשְׁפָּט וְאַהֲבַת חֶסֶד וְהַצְנֵעַ לֶכֶת עִם-אֱלֹהֶיךָ»(מיכה ו’, ח’).ש

 «Homme, on t’a dit ce qui est bien, ce que le Seigneur demande de toi: rien que de pratiquer la justice, d’aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu! » (Michée 6: 8)

Shabbat shalom,

Si l’étude du TaNaKh vous fait rêver, n’hésitez pas à me joindre:

[email protected]

Au plaisir de vous retrouver,

Haïm Ouizemann

[1] Parashat Nasso: Nombres 4: 21- 7: 89

[2] Mishneh Tora “Hilchot De’ot” Chap. 1 Halacha 4-7.

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11 réponses

  1. Ne pas boire d’alcool en tout genre, bon d’accord, ne pas consommer de raisins frais, quel dommage… c’est un peu excessif. Mais bon l’image est belle: s’écarter entièrement des plaisirs, des tentations de la vie.
    Quoique à cela ma mère répondrait “si Dieu permet qu’on ait de bonnes choses à manger, c’est lui rendre hommage que de les manger, avec modération, évidemment”
    Ce qui rejoint tout à fait la voie du juste milieu. Voie de la grande sagesse.

    Parfois l’humain a besoin de s’isoler des autres pour mieux se retrouver
    Parfois l’humain a besoin de faire de sérieuses abstinences physiques, pour se purifier l’organisme, mais aussi l’esprit.
    Mais ce doit toujours être à court terme. L’humain est fait pour vivre en société, c’est donc au sein de la société et des bonnes nourritures qui l’entourent qu’il doit pouvoir vivre intensément, avec modération, sans excès. humblement, avec joie et amour tout simplement.

  2. Dorenavant , je vais essayer d’appliquer la voie du juste milieu, qui dès fois n’est pas facile à trouver . Toda Haiim

  3. Shalom ! À l’occasion de “Lecture hébraïque de l’Évangile” (besorah) nous avons vu cette notion de continuité par opposition au concept erroné Nouveau/Ancien, d’une part.
    Cette continuité va de Shavouot à la Bonne Nouvelle (ευαγγελιον) mais pas seulement, car d’autre part, jaillissait de cette étude la Justice. Or, il se trouve que cette continuité se perpétue depuis Aristote, passant par Albert le Grand et Thomas d’Aquin pour servir encore de fondement à la philosophie contemporaine. La Justice étant la première des vertus cardinales.
    Le don de la Torah (mais ses exigences) évoque la seconde; savoir : la Tempérance. L’orthopraxis entraînera vers les deux suivantes de Prudence et de Force avant que de parvenir aux trois théologales de foi, espérance et Amour (charité).
    Un joli symbolisme s’exprime par le carré des quatre cardinales que surmonte en chapiteau le triangle des trois théologales et qui forment ainsi… le Temple !
    La tempérance se reformule en Mt 5,37 : “Que votre parole soit : Oui, oui, non, non. Ce qui est en plus vient du criminel.” (Traduction A. Chouraqui)
    Amitiés.

  4. “Que personne ne vous juge au sujet du manger ou du boire, ou au sujet d’une fete, d’une nouvelle
    lune, ou des sabbats: c’était l’ombre des choses à venir, mais le corps est en JESUS-CHRIST”
    (COLOSSIENS 2: 16)
    La vraie sainteté est donnée lorsque nous recevons le messie, le Christ dans notre vie et que la puissance du Saint-Esprit, en nous remplissant commence son œuvre de sanctification.
    Du temps de l’ancienne alliance, la confession des péchés était relative à l’entrée du souverain sacrificateur dans “le Saint des Saint” une fois par an. La loi, n’était qu’un PEDAGOGUE.
    Aujourd’hui Jésus-Christ, notre Messie Bien-aimé, a accompli toute la loi , et à pris nos péchés sur la croix. La bonne conduite, la sainteté, la morale, l’éthique, les relations entre humains en découle.
    Si vous voulez en parler avec moi, vous pouvez m’écrire.
    Amitiés chrétienne

  5. Remarques techniques :
    Exode 19:6. La 2ème partie du verset n’est pas traduite.
    Telles sont les paroles que tu diras aux fils d’Israël.

    La traduction de Nombres 6:8 me semble très éloignée du texte.
    Chouraqui traduit
    :”tous les jours de nazirèat, il est consacré à Adonaï.
    D’où vient l’idée de couronne ou de auréole comme chez Memri ?

  6. Sur le fond. Toutes les religions tendent vers le juste milieu, même les musulmans :

    Dans ses orientations, le CTMF “exhorte les jeunes musulmans à suivre la voie du juste milieu, à affirmer avec fierté leur appartenance à l’islam et à servir la société”, et invite la femme musulmane à y “jouer pleinement son rôle, au même titre que l’homme”.

    Mais n’est ce pas la Raison des Philosophes et non la foi des croyants qui amène au juste milieu ?
    D’ailleurs où sont les limites entre la non observance et le fanatisme ?

  7. Le temps du nazirat est celui de la retraite, du retour vers la source de notre vie notre créateur; C’est un temps d’abstinence de ce qui nous éloigne de D’ et des hommes Le vin et le fruit de la vigne est un symbole fort dans la bible de l’alliance de D’ et de son peuple et pour les chrétiens du sang du Christ versé pour notre salut; Il ne s’agit donc pas de nous couper de Celui qui nous donne sa force mais bien au contraire de Le rencontrer dans ce temps de coupure du monde, de retrouver le sens de notre vie et continuer notre route avec Lui, heureux d’être et de partager
    avec tous ceux que nous côtoyons au cours de la journée dans les petits gestes de tous les jours; .Shalom.<3

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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