
Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
La Parashat Nasso[1], la péricope biblique la plus longue de toute la Torah (176 versets), dénombre les fils d’Israël selon leurs tribus respectives, décrit la situation de la femme ‘Sota’ (soupçonnée d’adultère) et révèle la triple bénédiction des Cohanim.
A ces thèmes s’ajoute celui du nazir, de l’abstème :
| א וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה לֵּאמֹר. ב דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם אִישׁ אוֹ-אִשָּׁה כִּי יַפְלִא לִנְדֹּר נֶדֶר נָזִיר לְהַזִּיר לַיהוָה. (במדבר ו:א-ב) | 1 Et l’Éternel parla ainsi à Moïse: 2 “Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: Si un homme ou une femme fait expressément vœu d’être abstème, voulant s’abstenir en l’honneur de l’Éternel, (Nombres 6:1-2). |
Le verbe יַפְלִא (yafli) vient de la racine P.L.A./פ.ל.א. signifiant “être merveilleux, être extraordinaire, s’étonner ou être exceptionnel”.
Quand on ajoute le verbe יַפְלִא avant לִנְדֹּר (“faire un vœu”), cela souligne que le vœu est exceptionnel, particulier ou extraordinaire – c’est-à-dire qu’il s’agit d’un “vœu spécial” ou d’un “vœu extraordinaire”. יַפְלִא ajoute une notion de singularité, de merveille ou d’exception à l’action de faire un vœu.
Toutefois, à cette explication s’ajoute celle de la règle grammaticale selon laquelle la racine P.L.A./פ.ל.א. employée à la forme verbale du factitif (forme hif’hil) signifie “se séparer de…” dans le but de s’interdire volontairement des jouissances et plaisirs de ce monde et s’astreindre à une vie d’abstème, en l’occurrence, s’interdire tous produits dérivés de la vigne.
יַפְלִא. יַפְרִישׁ אוֹ יַעֲשֶׂה דָּבָר פֶּלֶא כִּי רֹב הָעוֹלָם הוֹלְכִים אַחַר תַּאֲוָתָם. (אברהם אבן עזרא)
“Yafli: il se séparera ou accomplira quelque chose d’extraordinaire, car la plupart des gens suivent leurs désirs.” (Avraham Ibn Ezra)
כִּי יַפְלִיא. יַפְרִישׁ עַצְמוֹ מִן הֶבְלֵי וְתַעֲנוּגוֹת בְּנֵי הָאָדָם. (ספורנו)
“Car il fera un acte exceptionnel: il se séparera des vanités et des plaisirs des hommes” (Sforno)
כִּי יַפְלִא. דְּאִתְפָּרֵשׁ מִשְּׁאָר בְּנֵי עָלְמָא לְאִתְקַדְּשָׁא וּלְאִשְׁתַּכְּחָא שָׁלוֹם (יעקב צבי מקלמבורג, כתב וקבלה)
“Car yafli (il se distinguera): cela signifie qu’il se séparera des autres gens du monde pour se sanctifier et pour qu’il soit trouvé en paix (Midrash de Rabbi Shimon bar Yohaï) (se mettre à part, se distinguer).” (Yaakov Tzvi Mecklenburg (Ketav VeHaKabbalah, 1785-1865)
Selon le plus grand talmudiste des XXe et XXIe siècle, le Rav Adin Steinzaltz (1937-2020):
דַּבֵּר אֶל בְּנֵי יִשְׂרָאֵל וְאָמַרְתָּ אֲלֵיהֶם: אִישׁ אוֹ אִשָּׁה כִּי יַפְלִא לִנְדֹּר נֶדֶר נָזִיר, יַצְהִיר בְּגָלוּי וּבְבֵרוּר שֶׁבְּכַוָּנָתוֹ לְהַזִּיר אֶת עַצְמוֹ, לְהִתְיַחֵד מִן הַבְּרִיּוֹת וּלְהִתְקָרֵב לַה’.
“Parle aux enfants d’Israël et tu leur diras: un homme ou une femme qui fera le vœu explicite de naziréat, déclarera ouvertement et clairement son intention de se consacrer, de se séparer des autres et de se rapprocher de l’Éternel.”
Ainsi, selon les commentateurs Avraham Ibn Ezra, Sforno, Ketav VeKabbalah, Rav Adin Steinzaltz, le verbe ” יַפְלִא Yafli” fait référence à la notion de séparation, de retrait du monde (Prishout/(פְּרִישׁוּת, au refus de se soumettre à l’emprise de la matière et à la volonté de se libérer des chaînes aliénantes des passions de ce monde riche en tentations.
En somme, le développement spirituel n’est possible que par le détachement du monde.
Ces commentaires constituent une aide précieuse permettant de revoir la traduction du verset:
| ב דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם אִישׁ אוֹ-אִשָּׁה כִּי יַפְלִא לִנְדֹּר נֶדֶר נָזִיר לְהַזִּיר לַיהוָה. (במדבר ו:א-ב) | 2 “Parle aux enfants d’Israël et dis-leur: Si un homme ou une femme aspire à se séparer [du monde] en exprimant le vœu particulier d’être abstème, voulant s’abstenir en l’honneur de l’Éternel, (Nombres 6:1-2) |
Cette séparation du monde signifie-elle pour autant se séparer de la vie?
Tout le temps de son naziréat, le nazir, l’abstème est placé au même niveau que le Grand-Cohen. Or, le Grand-Cohen ne doit en aucune manière se rendre impur au contact des morts, fussent-ils ses propres parents. De même, le nazir doit se tenir éloigné de tout contact avec la mort.
| יא וְעַל כָּל-נַפְשֹׁת מֵת לֹא יָבֹא לְאָבִיו וּלְאִמּוֹ לֹא יִטַּמָּא. יב וּמִן-הַמִּקְדָּשׁ לֹא יֵצֵא וְלֹא יְחַלֵּל אֵת מִקְדַּשׁ אֱלֹהָיו כִּי נֵזֶר שֶׁמֶן מִשְׁחַת אֱלֹהָיו עָלָיו אֲנִי יְהוָה. (ויקרא כא:יא-יב) | 11 il n’approchera d’aucun corps mort; pour son père même et pour sa mère il ne se souillera point; 12 et il ne quittera point le sanctuaire, pour ne pas ravaler le sanctuaire de son Seigneur, car il porte la couronne [Nezer] de l’huile d’onction de son Seigneur: Je suis l’Éternel. (Lévitique 21:11-12) |
Cette distinction fondamentale met en exergue le fait que le Grand-Cohen, comme le nazir, fait partie du monde de la Vie, la mort n’étant qu’une interruption de la chaîne ininterrompue de Vie qui constitue, pourrait-on dire, l’Eternité.
| ו כָּל-יְמֵי הַזִּירוֹ לַיהוָה עַל-נֶפֶשׁ מֵת לֹא יָבֹא. ז לְאָבִיו וּלְאִמּוֹ לְאָחִיו וּלְאַחֹתוֹ לֹא-יִטַּמָּא לָהֶם, בְּמֹתָם כִּי נֵזֶר אֱלֹהָיו עַל-רֹאשׁוֹ. ח כֹּל יְמֵי נִזְרוֹ קָדֹשׁ הוּא לַיהוָה. (במדבר ו:ו-ח) | 6 Tout le temps de cette abstinence en l’honneur de l’Éternel, il ne doit pas approcher d’un corps mort; 7 pour son père et sa mère, pour son frère et sa sœur, pour ceux-là même il ne se souillera point à leur mort, car la couronne de son Seigneur est sur sa tête. 8 Tant qu’il portera sa couronne, il est consacré [séparé] au Seigneur. (Nombres 6 : 6-8). |
[1] Parashat Nasso: Nombres 4:21-7:89.
Shabbat shalom!
Haïm Ouizemann




