L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Nitsavim, Soigner le monde

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de le prévoir, mais de le rendre possible ». (Antoine de Saint Exupery)

La parashat Nitsavim[1] se tourne essentiellement vers la notion de Teshouvah, autrement dit de Retour vers l’Eternel. Cette Teshouvah a pour particularité de s’adresser à l’ensemble du peuple d’Israël par le biais de chacun des fils d’Israël.

ב וְשַׁבְתָּ עַד-יְהוָה אֱלֹהֶיךָ וְשָׁמַעְתָּ בְקֹלוֹ כְּכֹל אֲשֶׁר-אָנֹכִי מְצַוְּךָ הַיּוֹם אַתָּה וּבָנֶיךָ  בְּכָל-לְבָבְךָ  וּבְכָל-נַפְשֶׁךָ (דברים ל : ב)2 Et tu retourneras à l’Éternel, ton Seigneur et tu obéiras à sa voix en tout ce que je te recommande aujourd’hui, toi et tes enfants, de tout ton cœur et de toute ton âme (Deut. 30 : 2).

La racine du Retour, Sh. Ou. V [B] – ש.ו.ב.  constitue à n’en point douter la racine clé de cette péricope.

Qu’est-ce que la Teshouvah ?

Ce terme recouvrant maintes significations revêt le sens premier de prise de conscience au cours de laquelle le transgresseur reconnaît sincèrement avoir commis un manquement à la Volonté divine ou aux règles de la morale naturelle. L’homme, alors, en s’avouant sa faute, doit également faire vœu de ne plus la commettre. Mais est-ce le sens le plus profond et intime de ce processus de Teshouvah ?

Les Sages d’Israël avancent une idée très originale, révolutionnaire pourrions-nous même affirmer, selon laquelle la création de la Teshouvah aurait précédé l’avènement de la Création :

ש«(בראשית א: א) « בְּרֵאשִׁית בָּרָא אֱלֹהִים »: שִׁשָּׁה דְּבָרִים קָדְמוּ לִבְרִיאַת הָעוֹלָם… רַבִּי אַהֲבָה בְּרַבִּי זְעִירָא אָמַר: אַף הַתְּשׁוּבָה, שֶׁנֶּאֱמַר: (תהלים צ: ב) « בְּטֶרֶם, הָרִים יֻלָּדוּ », וְאוֹתָה הַשָּׁעָה: (תהלים צ: ג) « תָּשֵׁב אֱנוֹשׁ, עַד-דַּכָּא וגו… »» (בראשית רבה א: ד).ש

« »Au commencement, le Seigneur créa… » (Genèse 1 : 1) : Six choses ont précédé la Création du monde… Rabbi Ahavah dit au nom de Rabbi Zeïra : La Teshouvah aussi, car il est dit : « Avant que les montagnes fussent nées… » (Psaume 90 : 2) et au même moment : « Tu fais revenir l’Homme au bord du désespoir » (Psaume 90 : 3) » (Genèse Raba 1 : 4).

Que signifie cette idée ?

Cette idée, l’une des plus fortes qu’il soit possible d’imaginer, signifie premièrement que la Teshouvah située au-delà du monde ne dépend en rien des forces déterministes et des causalités agissant constamment dans la Nature. L’Homme, s’il se connecte à ce courant de la Teshouvah, cet inextinguible courant de Vie, prouve son pouvoir de dominer sa propre nature et, ainsi, par voie de conséquence la Nature elle-même, ainsi que l’affirme Sri Sri Ravi Shankar[2] : « Si tu peux dominer ton esprit, tu peux dominer le monde entier ». L’Homme avoue triompher du mouvement cyclique perpétuel l’enfermant à tout jamais dans sa condition humaine. Comme dans le livre d’Albert Camus, « le Mythe de Sisyphe » s’inspirant de la mythologie grecque, Sisyphe, condamné éternellement à porter le joug de sa tragique condition, à savoir remonter la pierre au sommet de la montagne, concentre en sa personne toute l’absurdité du monde. Par ailleurs, la Teshouvah constitue le remède absolu au mal perpétré par les humains. L’Eternel, selon les Anciens d’Israël, a donné au genre humain le plus importants des cadeaux, à savoir l’antidote contre les forces de l’obscurité.

Mais est-il possible de penser que la Teshouvah n’a été offerte qu’à Israël ?

Le Rav Avraham Its’hak HaCohen Kook répond longuement à cette question et développe la thèse selon laquelle la Teshouvah, loin de ne constituer qu’un Retour particulier ou national, constitue un long processus cosmique à l’issue duquel l’harmonie règnera entre les peuples[3]:

ש«הַתְּשׁוּבָה הַכְּלָלִית, שֶׁהִיא עִלּוּי הָעוֹלָם וְתִקּוּנוֹ, וְהַתְּשׁוּבָה הַפְּרָטִית, הַנּוֹגַעַת לָאִישִׁיּוּת הַפְּרָטִית שֶׁל כָּל אֶחָד וְאֶחָד, עַד כְּדֵי דַּקּוּת הַפְּרָטִים שֶׁל תִּקּוּנֵי הַתְּשׁוּבָה הַמְיֻחָדִים, שֶׁרוּחַ–הַקֹּדֶשׁ יוֹדֵעַ לְפָרְטָם לִפְרָטִים הַיּוֹתֵר בּוֹדְדִים, הֵן בְּיַחַד תֹּכֶן אֶחָד. וְכֵן כָּל אוֹתָם תִּקּוּנֵי הַתַּרְבּוּת, שֶׁעַל יָדָם הָעוֹלָם יוֹצֵא מֵחֻרְבָּנוֹ, סִדְרֵי הַחַיִּים הַחֶבְרָתִיִּים וְהַכַּלְכָּלִיִּים, הַהוֹלְכִים וּמִשְׁתַּכְלְלִים עִם תִּקּוּנֵי כָּל חֵטְא וְעָווֹן מֵחֲמוּרִים שֶׁבַּחֲמוּרִים עַד דִּקְדּוּקֵי סוֹפְרִים וּמִדּוֹת חֲסִידוּת הַיּוֹתֵר מֻפְלָגוֹת – כֻּלָּם הֵם חֲטִיבָה אַחַת, וְאֵינָם מְנֻתָּקִים זֶה מִזֶּה, « וְכֻלְּהוֹ לְחַד אֲתָר סְלִיקִין».ש

« La Teshouvah collective est l’élévation du monde, sa restauration. La Teshouvah individuelle concerne la personnalité privée de chacun. Elle s’entend jusqu’au détail le plus infime des moyens particuliers de régénération, que seul l’esprit saint peut saisir dans toute sa complexité. Les deux, collective et individuelle, ont même contenu et obéissent au même but. Ainsi toutes les réformes culturelles à travers lesquelles le monde émerge de sa confusion, l’organisation de la vie sociale et de la vie économique qui s’améliore constamment grâce au redressement des fautes et des injustices – des préceptes les plus impératifs jusqu’aux règles précises d’application édictées par les Sages et les recommandations de piété les plus exigeantes – toutes ces tendances constituent un tout inséparable, « tout s’élève vers un unique lieu » (Zohar 1 : 3a ; 2 : 162b) ».

L’idée novatrice énoncée par le Rav Kook évacue sciemment tout signifiant religieux national de la Teshouvah et révèle sa dimension universelle. La Teshouvah inscrite au cœur même du programme divin doit conduire le monde vers de plus beaux horizons.

ט לֹא-יָרֵעוּ וְלֹא-יַשְׁחִיתוּ בְּכָל-הַר קָדְשִׁי כִּי-מָלְאָה הָאָרֶץ דֵּעָה אֶת-יְהוָה  כַּמַּיִם לַיָּם מְכַסִּים. (ישעיהו יא: ט).ש9 Plus de méfaits, plus de violences sur toute ma sainte montagne ; car la terre sera pleine de la connaissance du Seigneur, comme l’eau abonde dans le lit des mers. (Isaïe 11 : 9).

Le Rav Kook enseigne que cette paix s’étendant à toutes les familles de la Terre trouve sa source dans la résurrection de la Nation :

ש«תְּחִיַּת הָאוּמָּה הִיא הַיְּסוֹד שֶׁל בִּנְיַן הַתְּשׁוּבָה הַגְּדוֹלָה, תְּשׁוּבַת יִשְׂרָאֵל הָעֶלְיוֹנָה וּתְשׁוּבַת הָעוֹלָם כֻּלּוֹ שֶׁתָּבוֹא אַחֲרֶיהָ.»ש

La résurrection de la nation est le fondement de l’établissement de la grande Teshouvah, la Teshouvah suprême d’Israël et la Teshouvah du monde entier qu’elle suscitera »[4].

Le grand philosophe juif Henri Bergson, lauréat du prix Nobel de Littérature, développe dans un de ses livres majeurs « L’Evolution créatrice » (1907) la thèse de « l’élan vital » qui réfute aussi bien la vision « mécaniste » ou déterministe défendue par Aristote, Darwin, Descartes que la vision « finaliste » ou téléologique telle qu’elle est énoncée par les philosophes Christian Wolff (1679-1754), Emmanuel Kant et Spinoza. Selon Henri Bergson, l’Evolution est le produit de cet « élan vital », intention créatrice mue par le principe d’indétermination et de liberté.

L’élan vital bergsonien semblant s’opposer à la thèse téléologiste biblique converge, toutefois, avec cette dernière sur la notion de progrès de l’Humanité et la notion de victoire de « l’énergie spirituelle » sur la force entropique agissant partout dans l’univers. Notre monde n’a jamais rencontré autant d’opportunités de progrès et ce dans tous les domaines, médical, scientifique, moyens rapides de transports et de communication numérique.  De surcroît, l’on ne peut point contester, malgré les nombreuses lacunes socio-économiques encore présentes, le fait même qu’en Occident, les droits sociaux élargis au plus grand nombre de défavorisés leur permettent de vivre de manière décente. La condition féminine n’est en rien identique à ce qu’elle fut encore au milieu du 2Oe siècle. Nous pouvons en dire de même pour le droit des enfants mineurs qui, il n’y a pas si longtemps asservis encore dans des mines, ne recevaient qu’une somme dérisoire. Quant aux animaux voués à la consommation humaine, il reste beaucoup à faire pour tout d’abord éradiquer les conditions infamantes d’élevage et de transports pour ensuite abolir absolument toute forme d’abattage :

יט הַעִדֹתִי בָכֶם הַיּוֹם אֶת-הַשָּׁמַיִם וְאֶת-הָאָרֶץ הַחַיִּים וְהַמָּוֶת נָתַתִּי לְפָנֶיךָ הַבְּרָכָה וְהַקְּלָלָה וּבָחַרְתָּ בַּחַיִּים לְמַעַן תִּחְיֶה אַתָּה וְזַרְעֶךָ. (דברים ל: יט).ש19 J’en atteste sur vous, en ce jour, le ciel et la terre : j’ai placé devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction ; et tu choisiras la Vie ! Et tu vivras alors, toi et ta descendance. (Deutéronome 30 : 19).

Rabbi Lord Jonathan Sacks enseigne :

« Il peut y avoir de la pauvreté à chaque époque, mais cela n’en fait pas la volonté de Dieu pour le monde. Il peut y avoir injustice, mais nous ne pouvons pas rester silencieux face à cela… Tikkun olam implique la reconnaissance que le monde a vraiment besoin d’être réparé, plutôt que l’acceptation stoïcienne ou le déni ascétique… Tant qu’il y aura de la faim, de la pauvreté et des maladies traitables dans le monde, nous avons du travail. Tant que les Nations se battent, que les hommes se haïssent et que la corruption rôde dans les couloirs du pouvoir ; tant qu’il y aura du chômage et des sans-abris, de la dépression et du désespoir, notre tâche n’est pas encore achevée… » ( To Heal a Fractured World).

Rabbi Na’hman de Breslev enseigne que si l’on a brisé, l’on peut toujours réparer. Cela ne dépend que de notre propre volonté.

«אִם אַתָּה מַאֲמִין, שֶׁיְּכוֹלִין לְקַלְקֵל, תַּאֲמִין שֶׁיְּכוֹלִין לְתַקֵּן»

« Si tu crois que l’on peut détériorer, alors crois que l’on peut réparer» (LiKoutei Moharan Partie 2 Tanina : 112).

[1] Parashat Nitsavim : Deutéronome 29 : 9-30 : 20.

[2]  Leader spirituel hindou (1956).

[3] « Orot HaTeshouvah » (« Les lumières du Retour »), chapitre 4, 3. (Traduction : Benjamin Gross).

[4] « Les lumières du Retour », Chap. 17, 1. Traduit par Benjamin Gross, Albin Michel, 1998.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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