L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Noa’h, Entre Violence et Mesure

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La parashat Noa’h[1] relate deux évènements majeurs qui vont bouleverser le cours de l’Histoire humaine. Le Déluge (מַבּוּל MaBOuL) et l’édification de la Tour de Babel (מִגְדָּל בָּבֶל MiGDaL BaVeL). L’Eternel, déçu par Sa créature créée à son image – צֶלֶם -Tselem, décide d’effacer toute Sa Création (Genèse 6 : 17 ; 7 : 4). Le Déluge, l’une des plus grandes catastrophes écologiques causée par l’Homme lui-même, frappant la Planète Terre, a pour dessein de mettre un terme au chaos et au désordre moral qui recouvrent, alors, le monde :

יא וַתִּשָּׁחֵת הָאָרֶץ לִפְנֵי הָאֱלֹהִים וַתִּמָּלֵא הָאָרֶץ חָמָסיב וַיַּרְא אֱלֹהִים אֶת-הָאָרֶץ וְהִנֵּה נִשְׁחָתָה כִּי-הִשְׁחִית כָּל-בָּשָׂר אֶת-דַּרְכּוֹ עַל-הָאָרֶץ. יג וַיֹּאמֶר אֱלֹהִים לְנֹחַ קֵץ כָּל-בָּשָׂר בָּא לְפָנַי כִּי-מָלְאָה הָאָרֶץ חָמָס מִפְּנֵיהֶם וְהִנְנִי מַשְׁחִיתָם אֶת-הָאָרֶץ. (בראשית ו: יא-יג)11 Or, la terre s’était corrompue devant le Seigneur, et elle s’était remplie de violence. 12 Et le Seigneur vit que la terre était corrompue, toute créature ayant perverti sa voie sur la terre. 13 Et le Seigneur dit à Noé : “Le terme de toutes les créatures est arrivé à mes yeux, parce que la terre, à cause d’elles, est remplie de violence ; et je vais les détruire avec la terre. (Genèse 6 : 11-13).

En introduction à notre Parashah, figurent pour la première fois la racine récurrente Sh. ‘H. T./שׁ.ח.ת. signifiant « détruire, abîmer » et le terme חָמָס/ HaMaS signifiant « violence absolue ».

Que revêt véritablement le terme ‘HaMaS ?

Le terme חָמָס ‘HaMaS exprime la Violence dans ce qu’elle a de plus absolu : Le faux témoignage עֵד חָמָס (Exode 23 : 1 ; Deutéronome 19 : 16), la vengeance כְּלֵי חָמָס (Genèse 49 : 5), la spoliation de la veuve, de l’orphelin et de l’étranger אַל-תַּחְמֹסוּ (Jérémie 22 : 3), la corruption des dirigeants חָמָס וָשֹׁד (Ezéchiel 45 : 9), l’iniquité grandissante וּפֹעַל חָמָס (Isaïe 59 : 6), définissent la notion de ‘HaMaS חָמָס. Autrement dit, il n’y avait aucun espace sur Terre qui ne soit envahi par le חָמָס ‘HaMaS, la Violence et la mort (Genèse 6 : 11).

L’Homme, en transgressant les limites qu’il lui incombe de respecter, mène le monde et lui-même non seulement à sa décomposition mais à son effondrement total.

כג  תַּאֲוַת צַדִּיקִים אַךְ-טוֹב תִּקְוַת רְשָׁעִים עֶבְרָה. (משלי יא: כג)23 Le désir des justes ne vise qu’au bien ; l’espoir des méchants n’est que transgression. (Proverbes 11 : 23).

Le monde dans lequel évolue Noa’h est un monde où toutes les valeurs d’empathie et de justice sont bafouées et donc absentes. La violence absolue, la guerre et la corruption occupent l’intégralité de l’espace social où tout semble désormais permis. La Torah s’oppose avec véhémence à la théorie du « darwinisme social » développée par le philosophe et sociologue Herbert Spencer (1820-1903) selon laquelle les lois de la sélection naturelle s’appliqueraient à la société. Herbert Spencer, s’inspirant des thèses malthusiennes, adopte la thèse de Darwin d’après laquelle « les races inférieures » sont appelées à disparaître, théorie raciale et raciste dont s’inspirera Hitler.  

Un seul homme fait face à cette vision sociétale de la raison du plus fort. Il s’appelle Noa’h. Il est l’antinomie de cette violence sans limite, et est, à ce titre, appelé à sauver l’Humanité en en rappelant les limites :

ט אֵלֶּה תּוֹלְדֹת נֹחַ נֹחַ אִישׁ צַדִּיק תָּמִים הָיָה בְּדֹרֹתָיו אֶת-הָאֱלֹהִים הִתְהַלֶּךְ-נֹחַ. (בראשית ו: ט)9 Ce sont les engendrements de Noé. Noé fut un homme juste, parfait, entre ses contemporains, il marchait avec le Seigneur (Genèse 6 : 9).

Le juste -צַדִּיק – Tsadik est celui qui pratique la צְדָקָה Tsedaka compris dans son sens le plus large, à savoir la Justice, dont le dessein est de discerner le bon du mal, d’extirper le juste de l’iniquité afin de mettre en lumière le principe fondamental de Vérité sans lequel il ne saurait être de monde pacifié. Le monde de Noa’h ressemble à un monde où les hommes ne sont pas en mesure de distinguer le bon du mal et sont disposés à s’entretuer. L’arbre de la connaissance du bien et du mal est défini en hébreu עֵץ הַדַּעַת טוֹב וָרָע Ets HaDa’at Tov VaRa’, soit l’arbre de la Connaissance où le Bien et le Mal sont confondus en un amas inextricable. Ce sont les devoirs divins, מִצְווֹת Mitsvot pratiqués et mis en œuvre par l’Homme, qui visent à extraire l’Humanité de la spirale infernale dans laquelle se confondent Bien et Mal. La Torah d’une haute exigence éthique ne parle pas de droits de l’Homme mais avant tout et surtout des devoirs du genre humain. Du devoir des uns découlent les droits des autres !

Même si cela peut paraître paradoxal, la Torah enseigne que ce sont les contraintes ou le sens du devoir qui ouvrent la voie à la liberté. A l’opposé de cette vision, l’Humanité se détache finalement de ces contraintes au motif que celles-ci engendreraient une entrave à la liberté de l’individu. 

La parashat Noa’h pose des limites à l’action humaine. La source biblique insiste sur les mensurations de l’arche (Genèse 6 : 15-16), sur le nombre de jours durant lesquels les pluies et les sources inondent la Planète, sur le nombre d’espèces animales sauvées du Déluge (Genèse 6 : 19-20). Le monde créé par l’Eternel est un monde de mesures et de limites. La transgression de ces limites conduit au Déluge.

Que signifie le terme « מַּבּוּל MaBOuL, Déluge » ?

Une triple racine hébraïque est à l’origine du terme מַּבּוּל MaBOuL. La première racine N. B. [V]. L. /נ.ב.ל signifie « flétrir, s’épuiser, corrompre ». La deuxième י.ב.ל. /Y.B.[V].L. signifie « porter, conduire, couler, inonder ». La troisième ב.ל.י./ B.L.Y. signifie « vieillir, dépérir, s’user par le temps ». Ces trois racines témoignent du faible degré moral de la génération de Noa’h.

Au Déluge succède l’évènement de la Tour de Babel, lors duquel la langue unique parlée par tous les hommes est éclatée en plusieurs idiomes. Il nous faut remarquer l’étrange proximité linguistique des deux termes מַּבּוּל MaBOuL et בָּבֶל Babel.

Quel est le sens du terme BaVeL  בָּבֶל?

Le nom Bavel בָּבֶל -tire son origine de la racine ב.ל.ל. signifiant « confondre, mélanger, mêler, assimiler ». Cette racine, pour bon nombre de grammairiens, est également apparentée à celle entrant dans la composition du mot « מַבּוּל /MaBOuL, Déluge » :

ט עַל-כֵּן קָרָא שְׁמָהּ בָּבֶל כִּי-שָׁם בָּלַל יְהוָה שְׂפַת כָּל-הָאָרֶץ וּמִשָּׁם הֱפִיצָם יְהוָה עַל-פְּנֵי כָּל-הָאָרֶץ. (בראשית יא: ט; ראו גם בראשית יא: ז)9 C’est pourquoi on la nomma Babel, parce que là le Seigneur confondit le langage de tous les hommes et de là l’Éternel les dispersa sur toute la face de la terre. (Genèse 11 : 9 ; cf. également Genèse 11 : 7).

La civilisation babylonienne assimilatrice efface toutes les particularités et identités respectives des nations environnantes au nom d’une idéologie globalisante d’uniformisation :

א וַיְהִי כָל-הָאָרֶץ שָׂפָה אֶחָת וּדְבָרִים אֲחָדִים. (בראשית יא: א)1 Et toute la terre avait une même langue et des paroles uniques. (Genèse 11 : 1).

L’arche de Noa’h constitue, au contraire de la Tour de Babel, l’espace intégrant la diversité et la distinction entre les espèces. Les animaux qui entrent dans l’arche sont nommés selon leur genre respectif masculin et féminin sur le modèle du premier couple :

יט וּמִכָּל-הָחַי מִכָּל-בָּשָׂר שְׁנַיִם מִכֹּל תָּבִיא אֶל-הַתֵּבָה לְהַחֲיֹת אִתָּךְ זָכָר וּנְקֵבָה יִהְיוּ. כ מֵהָעוֹף לְמִינֵהוּ וּמִן-הַבְּהֵמָה לְמִינָהּ מִכֹּל רֶמֶשׂ הָאֲדָמָה לְמִינֵהוּ שְׁנַיִם מִכֹּל יָבֹאוּ אֵלֶיךָ לְהַחֲיוֹת. (בראשית ו: יט-כ)19 Et de tous les êtres vivants, de chaque espèce, tu en recueilleras deux dans l’arche pour les conserver avec toi : ce sera un mâle et une femelle. 20 Des oiseaux selon leur espèce; des quadrupèdes selon leur espèce; de tout ce qui rampe sur la terre, selon son espèce, qu’un couple vienne auprès de toi pour conserver la vie.(Genèse 6 : 19-20).

La conservation de la Vie et la perpétuation de l’espèce animale et même humaine sont la résultante de la différenciation et de la distinction des genres. Cette distinction sera dans le texte biblique rendue par la notion de Quesdousha, qui, généralement traduite par « sainteté », signifie toutefois « séparation ».

L’Eternel ordonne cette notion de séparation et de limite avec l’interdiction de consommer le sang animal :

ג כָּל-רֶמֶשׂ אֲשֶׁר הוּא-חַי לָכֶם יִהְיֶה לְאָכְלָה כְּיֶרֶק עֵשֶׂב נָתַתִּי לָכֶם אֶת-כֹּל. ד אַךְ-בָּשָׂר בְּנַפְשׁוֹ דָמוֹ לֹא תֹאכֵלוּ. (בראשית ט: ג-ד)3 Tout ce qui se meut, tout ce qui vit, servira à votre nourriture ; de même que les végétaux, je vous livre tout. 4 Toutefois aucune créature, tant que son sang maintient sa vie, vous n’en mangerez. (Genèse 9 : 3-4).

Alors que le Premier Homme, Adam, était végétalien, l’Eternel autorise désormais la génération de Noa’h et ses descendants à consommer de la nourriture carnée. Toutefois, cette consommation est soumise à la condition que le sang de l’animal, lui, ne soit point ingurgité mais rendu à l’Eternel. Le principe de Vie que renferme le sang animal constitue la propriété exclusive du Créateur.

יב  לְךָ שָׁמַיִם אַף-לְךָ אָרֶץ תֵּבֵל וּמְלֹאָהּ אַתָּה יְסַדְתָּם. (תהלים פט: יב)12 A Toi le ciel ! à Toi aussi la terre ! L’univers et ce qu’il renferme, c’est toi qui as tout fondé. (Psaume 89 : 12).

Le Créateur se rapproche de Sa créature en établissant un compromis avec elle, compromis de partage qui ne sera finalement jamais respecté par l’Humanité. Les hommes, faisant fi de leur devoir de respect de la Vie, continuent de consommer l’animal dans son sang. Une fois de plus, l’Homme avide de s’imposer en maître sur l’ensemble de l’Univers, outrepasse les limites qui lui sont imposées.

ו שֹׁפֵךְ דַּם הָאָדָם בָּאָדָם דָּמוֹ יִשָּׁפֵךְ כִּי בְּצֶלֶם אֱלֹהִים עָשָׂה אֶת-הָאָדָם. (בראשית ט: ו)6 Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé car l’homme a été fait à l’image du Seigneur. (Genèse 9 : 6).

L’Eternel, et seulement Lui qui a créé la Vie, est à même de la reprendre :

כב כֹּל אֲשֶׁר נִשְׁמַת-רוּחַ חַיִּים בְּאַפָּיו, מִכֹּל אֲשֶׁר בֶּחָרָבָה מֵתוּ. כג וַיִּמַח אֶת-כָּל-הַיְקוּם אֲשֶׁר עַל-פְּנֵי הָאֲדָמָה מֵאָדָם עַד-בְּהֵמָה עַד-רֶמֶשׂ וְעַד-עוֹף הַשָּׁמַיִם וַיִּמָּחוּ מִן-הָאָרֶץ וַיִּשָּׁאֶר אַךְ-נֹחַ וַאֲשֶׁר אִתּוֹ בַּתֵּבָה 22 Tout ce qui était animé du souffle de la vie, tout ce qui peuplait le sol, expira. 23 Et le Seigneur effaça toutes les créatures qui étaient sur la face de la terre, depuis l’homme jusqu’à la bête des champs, jusqu’au reptile, jusqu’à l’oiseau du ciel et ils furent effacés de la terre. Il ne resta que Noé et ce qui était avec lui dans l’arche. (Genèse 7 : 22-23).

L’épisode de la Tour de Babel n’est point sans rappeler la théorie du « positivisme » développée par Auguste Comte (1798-1857). Selon Auguste Comte, l’Humanité doit traverser trois grandes étapes fondamentales lui permettant d’accéder au progrès. Aux deux premières étapes respectivement théologique et métaphysique doit succéder la troisième et ultime étape positive. Le « pourquoi » devient « comment ». Le positivisme, théorie évolutionniste de la science, efface la question du « pourquoi » du sens de la Création et du Divin en mettant en avant la question du « comment ». Si la Science a contribué et contribue encore grandement au progrès de l’Humanité dans les domaines de la médecine, des transports, des télécommunications et de l’« intelligence artificielle », la Torah nous rappelle que la Source de ce progrès s’enracine dans le צֶלֶם – Tselem -l’image divine en l’Homme. L’édification de la Tour de Babel met en lumière la menace qui guette l’Humanité, de faire montre d’un orgueil démesuré de l’Homme qui n’œuvre qu’en son nom et pour son nom. (Genèse 11 : 4).

En quoi Noa’h, en sortant de l’arche, a-t-il donc fauté en s’enivrant du produit de sa vigne ?

La consommation abusive de vin par Noa’h conduit au trouble de son esprit et à la confusion des sens. Il n’a donc pas pu saisir la gravité de l’acte commis par son fils חָם ‘HaM :

כב וַיַּרְא חָם אֲבִי כְנַעַן אֵת עֶרְוַת אָבִיו וַיַּגֵּד לִשְׁנֵי-אֶחָיו בַּחוּץ. (בראשית ט: כב)22 Et ‘Ham, père de Canaan, vit la nudité de son père, et alla dehors l’annoncer à ses deux frères. (Genèse 9 : 22).

Que signifie l’expression « voir la nudité de son père » ?

L’expression «  וַיַּרְא … עֶרְוָה- VaYar… ERVaH -voir la nudité » relative au fils de Noa’h prend au chapitre de Lévitique 20 verset 17 le sens d’inceste. Selon cette lecture חָם ‘Ham aurait eu une relation homosexuelle avec son propre père Noa’h (Traité Sanhédrin 70 : a). La source biblique voit en toute relation incestueuse une abominationתֶּבֶל  (Lévitique 20 : 12) car la confusion des genres érigée en institution légitimée et officialisée ne peut conduire qu’à la fin d’une civilisation. La racine  ב.ל.ל « confondre » à l’origine du terme TeVeL-תֶּ֥בֶל  est celle-là même qui compose le nom בָּבֶל BaVeL, BaBel. Autrement dit, une société favorable à la confusion des genres et à la relativisation de la binarité sexuelle à laquelle s’ajouterait une permissivité extrême sur le plan social subirait un sort identique à l’Egypte, Babylone, la Grèce, Rome…

ט לֹא-יָרֵעוּ וְלֹא-יַשְׁחִיתוּ בְּכָל-הַר קָדְשִׁי כִּי-מָלְאָה הָאָרֶץ דֵּעָה אֶת-יְהוָה כַּמַּיִם לַיָּם מְכַסִּים. (ישעיהו יא: ט)9 Plus de méfaits, plus de violences sur toute la montagne de ma sainteté ; car la terre sera pleine de la connaissance du Seigneur, comme l’eau abonde dans le lit des mers. (Isaïe 11 : 9).

[1] Parashat Noa’h : Genèse 6 : 9-11 : 32.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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