L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Re’eh, Construire un monde d’indulgence

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La parashat Re’eh[1] se caractérise par la mention répétitive « כִּי תַעֲשֶׂה הַטּוֹב וְהַיָּשָׁר בְּעֵינֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ tu feras le bien et ce qui est droit aux yeux de l’Eternel ton Seigneur » :

כח שְׁמֹר וְשָׁמַעְתָּ אֵת כָּל-הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוֶּךָּ לְמַעַן יִיטַב לְךָ וּלְבָנֶיךָ אַחֲרֶיךָ עַד-עוֹלָם כִּי תַעֲשֶׂה הַטּוֹב וְהַיָּשָׁר בְּעֵינֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ.  (דברים יב: כח)28 Retiens et observe toutes ces paroles que je t’ordonne, afin que le bien soit sur toi et tes descendants à jamais, tu feras le bien et ce qui est droit aux yeux de l’Éternel, ton Seigneur (Deutéronome 12 : 28).

Que signifie donc cette expression ?

Le grand commentateur Rashi propose au moins deux explications.

En premier lieu, il s’agit de trouver un compromis dans un litige :

יח וְעָשִׂיתָ הַיָּשָׁר וְהַטּוֹב בְּעֵינֵי יְהוָה לְמַעַן יִיטַב לָךְ וּבָאתָ וְיָרַשְׁתָּ אֶת-הָאָרֶץ הַטֹּבָה אֲשֶׁר-נִשְׁבַּע יְהוָה לַאֲבֹתֶיךָ. (דברים ו: יח)18 Et tu feras ce qui est droit et bien aux yeux du Seigneur, afin que le bien te soit fait et afin d’arriver à posséder ce bon pays que le Seigneur a promis par serment à tes pères (Deutéronome 6 : 18).

Rashi :

ש « הַיָּשָׁר וְהַטּוֹב. זוֹ פְּשָׁרָה, לִפְנִים מִשּׁוּרַת הַדִּין:» (רש”י על הפסוק דברים ו: יח).

« Le droit et le bon Il s’agit d’un compromis [dans le règlement d’un litige], “en-deçà de la ligne du droit strict” [c’est-à-dire avec bienveillance et compréhension]. » (Rashi sur le verset Deutéronome 6 : 18).

Néanmoins comment le juge peut-il rendre un jugement avec bienveillance sans faire preuve de partialité ? Ne trahit-il point, alors, sa vocation de juge appelé à juger avec une stricte rigueur le pauvre comme le puissant ?

טו לֹא-תַעֲשׂוּ עָוֶל בַּמִּשְׁפָּט לֹא-תִשָּׂא פְנֵי-דָל וְלֹא תֶהְדַּר פְּנֵי גָדוֹל… (ויקרא יט: טו)15 Vous ne pratiquez point l’iniquité dans l’exercice de la justice ; n’élevez point la face du faible, n’embellissez point la face du puissant… (Lévitique 19 : 15).

L’expression hébraïque « לִפְנִים מִשּׁוּרַת הַדִּין Lifnim MiShourat HaDin », « en-deçà de la ligne du droit strict » prend tout son sens quand il est nécessaire de juger son prochain :

טו …  בְּצֶדֶק תִּשְׁפֹּט עֲמִיתֶךָ. (ויקרא יט: טו)  15 … juge ton semblable avec justice. (Lévitique 19 : 15).

De quelle justice est-il question dans ce verset ?

Rashi commente :

«בְּצֶדֶק תִּשְׁפֹּט עֲמִיתֶךָ. כְּמַשְׁמָעוֹ. דָּבָר אַחֵר: הֱוֵי דָּן אֶת חֲבֵרְךָ לְכַף זְכוּת:»

« Tu jugeras ton semblable avec justice :  À prendre au sens littéral. Autre explication : Juge ton semblable en lui accordant un préjugé indulgent ».

Le second sens que rapporte Rashi met l’accent sur la responsabilité de l’Homme envers son prochain :

ש «הַטּוֹב. בְּעֵינֵי הַשָּׁמַיִם: וְהַיָּשָׁר. בְּעֵינֵי אָדָם:» (רש”י על הפסוק דברים יב: כח)

« Le bon : Aux yeux du Ciel. Et le droit : Aux yeux de l’homme. » (Commentaire de Rashi sur le verset Deutéronome 12 : 28).

Ce commentaire n’est point sans susciter une interrogation, celle de savoir comment les œuvres des hommes trouvent grâce aux yeux de l’Eternel.

Les Sages d’Israël répondent :

ש «…הוּא הָיָה אוֹמֵר: כֹּל שֶׁרֽוּחַ הַבְּרִיּוֹת נוֹחָה הֵימֶֽנּוּ, רֽוּחַ הַמָּקוֹם נוֹחָה הֵימֶֽנּוּ. וְכֹל שֶׁאֵין רֽוּחַ הַבְּרִיּוֹת נוֹחָה הֵימֶֽנּוּ, אֵין רֽוּחַ הַמָּקוֹם נוֹחָה הֵימֶֽנּוּ…» (פרקי אבות ג: י)

« …Il avait coutume de dire [Rabbi ‘Hannina ben Dossa]: Celui que les créatures apprécient, est apprécié du Seigneur ; mais celui que les créatures n’apprécient pas, n’est pas apprécié du Seigneur…» (Maximes des Pères 3 : 10).

Selon cette réflexion de Rabbi ‘Hannina ben Dossa, l’on peut mesurer l’amour du Seigneur pour Ses créatures à l’amour que ces dernières portent envers leur prochain !

Certains Sages d’Israël soutiennent également la thèse selon laquelle Jérusalem aurait été détruite car ses juges rendaient leurs jugements sans tenir compte de cette règle de bienveillance fondée sur l’indulgence et les circonstances atténuantes :

ש «אָמַר רַבִּי יוֹחָנָן: לֹא חָרְבָה יְרוּשָׁלַיִם אֶלָּא… שֶׁהֶעֱמִידוּ דִּינֵיהֶם עַל דִּין תּוֹרָה, וְלֹא עֲבַדוּ [=עָשׂוּ] לִפְנִים מִשּׁוּרַת הַדִּין» (תלמוד בבלי, בבא מציעא ל: ב)

« Rabbi Yo’hannan enseignait : Jérusalem n’a été détruite que parce que ses juges ne rendaient leurs jugements que sur la base de la loi rigoureuse de la Tora et n’ont pas agi selon le principe d’indulgence. » (Talmud de Babylone, Traité Baba Metsi’a 30 : b).

L’un des exemples les plus éloquents d’un jugement rendu avec indulgence est celui de Caïn après qu’il ait assassiné son frère Abel :

ח וַיֹּאמֶר קַיִן אֶל-הֶבֶל אָחִיו וַיְהִי בִּהְיוֹתָם בַּשָּׂדֶה וַיָּקָם קַיִן אֶל-הֶבֶל אָחִיו וַיַּהַרְגֵהוּ. (בראשית ד: ח)8 Et Caïn parla à son frère Abel; mais il advint, comme ils étaient aux champs, que Caïn se leva contre Abel, son frère, et le tua. (Genèse 4 : 8).

Le texte biblique mentionne le verbe « tuer (וַיַּהַרְגֵהוּ) » et non point le verbe « assassiner (לִרְצֹחַ) » comme l’on aurait pu s’y attendre. Il est probable que le texte veuille nous enseigner que l’Eternel s’efforce d’amoindrir l’irréparable crime de Caïn en faisant intervenir en sa faveur le principe d’indulgence. En effet, comment Caïn était-il en état de comprendre la portée et l’ampleur de son geste fratricide alors même qu’aucun crime n’avait été commis auparavant ?

Le monde serait sans l’ombre d’un doute meilleur si tous les êtres s’engageaient à faire montre de plus d’indulgence, de bienveillance en développant un sincère sentiment d’empathie les uns envers les autres. Victor Hugo écrit : “l’amour c’est l’indulgence, c’est le pardon” (Marie Tudor, 1833). En toute femme et en tout homme réside une part de lumière qui, si nous faisions l’effort de la reconnaître, éclairerait alors notre être intérieur, entraînant la disparition de nos propres ombres.

יז וְאִישׁ אֶת-רָעַת רֵעֵהוּ אַל-תַּחְשְׁבוּ בִּלְבַבְכֶם… (זכריה ח: יז)17 Ne méditez dans votre cœur aucune méchanceté l’un contre l’autre… (Zacharie 8 : 17).

En définitive, voir le bien chez autrui conduit autrui à méditer le bien chez son prochain. Les cœurs se répondent par les intentions positives que nous projetons les uns sur les autres :

יט  כַּמַּיִם הַפָּנִים לַפָּנִים כֵּן לֵב-הָאָדָם לָאָדָם. (משלי כז: יט)19 Comme dans l’eau le visage répond au visage, ainsi chez les hommes les cœurs se répondent. (Proverbes 27 : 19).

[1]  Parashat Re’eh :  Deutéronome 11 : 26-16 : 17.

Shabbat shalom!

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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