L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Shofétim, Souveraineté et absolutisme

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« La monarchie tyrannique est celle où le monarque, foulant aux pieds les lois de nature, abuse de la liberté des francs sujets comme de ses esclaves, et des biens d’autrui comme des siens. » (« Les Six Livres de la République », 1576, Jean Bodin)

La parashah Shofétim[1] évoque la possibilité qu’un roi puisse régner en Israël, non sans émettre de strictes conditions à ce sujet :

טז רַק לֹא-יַרְבֶּה-לּוֹ סוּסִים וְלֹא-יָשִׁיב אֶת-הָעָם מִצְרַיְמָה לְמַעַן הַרְבּוֹת סוּס וַיהוָה, אָמַר לָכֶם לֹא תֹסִפוּן לָשׁוּב בַּדֶּרֶךְ הַזֶּה עוֹד. יז וְלֹא יַרְבֶּה-לּוֹ נָשִׁים וְלֹא יָסוּר לְבָבוֹ וְכֶסֶף וְזָהָב לֹא יַרְבֶּה-לּוֹ מְאֹד. (דברים יז: טז-יז).ש16 Seulement, il doit se garder d’entretenir beaucoup de chevaux, et ne pas ramener le peuple en Egypte pour en augmenter le nombre, l’Éternel vous ayant déclaré que vous ne reprendrez plus ce chemin-là désormais. 17 Et il ne doit pas non plus avoir beaucoup de femmes, de crainte que son cœur ne s’égare ; même de l’argent et de l’or, il n’en amassera pas outre mesure. (Deutéronome 17 : 16-17).

Le roi en Israël doit se garder de multiplier les chevaux, d’épouser de nombreuses femmes et d’amasser une fortune personnelle.

Quel est le sens de ces trois interdits ?

Le cheval rappelle l’empire d’Egypte qui entretenait de nombreuses écuries. Le cheval, comme instrument de guerre, est utilisé par Pharaon pour ramener les Hébreux en Egypte (Exode 14 : 23). De plus, lorsque la source biblique fait mention de nombreuses femmes, elle entend mettre en garde contre les femmes païennes susceptibles de détourner le roi de l’Eternel. Quant à la richesse, elle tend à faire oublier au roi la condition des pauvres, du Lévi, de la veuve et de l’orphelin.

Le roi doit donc abandonner toute velléité guerrière, poursuivre la paix, maîtriser ses passions en servant l’Eternel et être incessamment en quête de Justice :

כ צֶדֶק צֶדֶק תִּרְדֹּף לְמַעַן תִּחְיֶה וְיָרַשְׁתָּ אֶת-הָאָרֶץ אֲשֶׁר-יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לָךְ. (דברים טז: כ).ש20 C’est la justice, la justice seule que tu poursuivras, si tu veux te maintenir en possession du pays que l’Éternel, ton Seigneur, te donne. (Deutéronome 16 : 20).

 Or comment pouvons-nous expliquer que le roi Salomon, le plus sage des hommes de son temps (I Rois 5 : 10), ait pu échouer sur ces trois plans ?

Les chevaux de Salomon en provenance d’Egypte :

ו וַיְהִי לִשְׁלֹמֹה אַרְבָּעִים אֶלֶף אֻרְוֺת סוּסִים לְמֶרְכָּבוֹ וּשְׁנֵים-עָשָׂר אֶלֶף פָּרָשִׁים. (מלכים א, ה: ו).ש6 Et Salomon avait quarante mille attelages de chevaux pour ses chars et douze mille chevaux de selle. (I Rois 5 : 6).

 Les femmes étrangères de Salomon :

א וְהַמֶּלֶךְ שְׁלֹמֹה אָהַב נָשִׁים נָכְרִיּוֹת רַבּוֹת וְאֶת-בַּת-פַּרְעֹה מוֹאֲבִיּוֹת עַמֳּנִיּוֹת אֲדֹמִיֹּת צֵדְנִיֹּת חִתִּיֹּת. (מלכים א, יא: א).ש1 Or, le roi Salomon aima, indépendamment de la fille de Pharaon, un grand nombre de femmes étrangères, Moabites, Ammonites, Iduméennes, Sidoniennes, Héthéennes (I Rois 11 : 1).

 Ces femmes finissent par entraîner l’homme le plus sage à se détourner de l’Eternel :

ד וַיְהִי לְעֵת זִקְנַת שְׁלֹמֹה נָשָׁיו הִטּוּ אֶת-לְבָבוֹ אַחֲרֵי אֱלֹהִים אֲחֵרִים וְלֹא-הָיָה לְבָבוֹ שָׁלֵם עִם-יְהוָה אֱלֹהָיו כִּלְבַב דָּוִיד אָבִיו. (מלכים א, יא:א).ש4 C’est au temps de sa vieillesse que les femmes de Salomon entraînèrent son cœur vers des dieux étrangers, de sorte que son cœur n’appartint point sans réserve à l’Eternel, son Seigneur, comme le cœur de David, son père. (I Rois 11 : 4).

La fortune de Salomon :

כג וַיִּגְדַּל הַמֶּלֶךְ שְׁלֹמֹה מִכֹּל מַלְכֵי הָאָרֶץ לְעֹשֶׁר וּלְחָכְמָה. (מלכים א, י: כג).ש23 Et le roi Salomon surpassa tous les rois de la terre en opulence et en sagesse. (I Rois 10 : 23).

 Le roi Salomon ne savait-il donc point, en contrevenant à la Parole de l’Eternel, qu’il s’exposait à la vindicte divine (I Rois 11 : 9) et à la chute de son royaume (I Rois 11 : 11) ?

Le pouvoir absolu détenu par un homme est si enivrant qu’il fait perdre toute orientation à celui qui le détient.

Dans son livre majeur « Le sang de l’autre ou l’honneur de Dieu »[2], l’historien Henry Méchoulan écrit : « L’Espagne du Siècle d’Or, que l’on situe entre 1550 et 1650, a vécu une ferveur collective, une ivresse de grandeur… » (p. 9) « … L’Espagne, convaincue de son élection divine, est l’exceptionnel théâtre qui permet de voir comment l’Autre, qui est homme de chair et de sang, est transformé en sous-homme » (p. 10). La date de 1492 à laquelle sont expulsés tous des Juifs d’Espagne par l’infâme décret de l’Alhambra (31 mars 1492) correspond à celle de la découverte des Amériques et de ses richesses par Christophe Colomb. Il ne fait aucun doute, selon Isabelle Ie de Castille et Ferdinand II d’Aragon, que l’Espagne catholique des Conquistadors jouit d’une pleine et entière protection divine.

Le roi Salomon, en détournant le sens de sa richesse et de sa puissance, n’aurait-il point commis une erreur d’appréciation en pensant très probablement jouir de l’élection particulière divine et être au-dessus des lois humaines ? Aurait-il également omis le fait que le roi n’est que l’instrument du pouvoir divin sur terre ?

Le juge et prophète Samuel, partisan d’un régime théocratique, avait déjà averti Israël que le pouvoir d’un roi de chair et de sang ne pouvait être qu’absolu et inique. Ce roi, n’éprouvant aucune miséricorde envers son peuple, enverra les jeunes hommes à la guerre, s’emparera des jeunes femmes afin de les transformer en servantes, spoliera les terres ancestrales et n’hésitera pas à prélever de lourds impôts sur l’ensemble de la population (Samuel 8). Nombreux sont les rois d’Israël et de Juda qui chuteront en abusant de leur pouvoir absolu. David fait assassiner Ouria le Hittite afin de prendre Bat-Shéva. A’hav, roi du royaume du nord, s’empare sur les conseils de la reine Izevel de la vigne appartenant à Nevot d’Izre’ël qui est ensuite assassiné. Quant à Avimelekh, le frère du juge et gouvernant Guid’on refusant les rênes du pouvoir, il fait assassiner ses soixante dix autres frères pour s’emparer du pouvoir et diriger en maître totalitaire sur l’ensemble d’Israël. Tous ces royaumes fondés sur la force et la puissance armée sont voués à la destruction et à la disparition. 

Le royaume unifié de Salomon s’effondre totalement quand son fils Roboam (Re’HaV’aM) refuse d’écouter les anciens conseillers de son père Salomon. Roboam applique un régime de dictature sur l’ensemble du peuple qui, lui, en appelle à la justice sociale :

יד וַיְדַבֵּר אֲלֵיהֶם כַּעֲצַת הַיְלָדִים לֵאמֹר אָבִי הִכְבִּיד אֶת-עֻלְּכֶם וַאֲנִי אֹסִיף עַל-עֻלְּכֶם אָבִי יִסַּר אֶתְכֶם בַּשּׁוֹטִים וַאֲנִי אֲיַסֵּר אֶתְכֶם בָּעַקְרַבִּים. (מלכים א, יב: יד).14 Suivant le conseil des jeunes gens, il s’exprima ainsi : « Mon père a fait peser le joug sur vous, moi je le rendrai encore plus lourd ; mon père vous a châtiés avec des verges, moi je vous châtierai avec des scorpions. » (I Rois 12 : 14).
  

Comment tempérer l’absolutisme du pouvoir royal ?

יט וְהָיְתָה עִמּוֹ וְקָרָא בוֹ כָּל-יְמֵי חַיָּיו לְמַעַן יִלְמַד לְיִרְאָה אֶת-יְהוָה אֱלֹהָיו לִשְׁמֹר אֶת-כָּל-דִּבְרֵי הַתּוֹרָה הַזֹּאת וְאֶת-הַחֻקִּים הָאֵלֶּה לַעֲשֹׂתָם. (דברים יז: יט).ש19 Elle [la Torah] restera par devers lui, car il doit y lire toute sa vie, afin qu’il s’habitue à révérer l’Éternel, son Seigneur, qu’il respecte et pratique tout le contenu de cet Enseignement et les présentes lois (Deutéronome 17 : 19)

En méditant constamment les lois de l’Eternel, Roi du monde, alors, le roi, toujours poussé vers l’absolutisme, accèdera à la conscience de sa petitesse. Le roi, loin d’être un tyran, se doit d’être avant tout serviteur du peuple. Nous devons, par ailleurs, le concept moderne de souveraineté absolue à Jean Bodin (1529-1596), juriste et économiste français, dont l’influence se fera sentir jusque dans l’œuvre de Hobbes, « le Léviathan ».  Jean Bodin développe l’idée de puissance souveraine « absolue, indivisible et perpétuelle ». Le souverain détient la « puissance de donner et de casser la loi ». Cette idée de la toute-puissance du monarque est celle que combat Samuel.

Le Rabbin Lord Jonathan Sacks enseigne :

« Ainsi, le Judaïsme établit clairement une distinction entre le leadership en tant qu’influence et le leadership qui se fonde sur le pouvoir. Il est sans réserve dans son approbation du premier et profondément ambivalent au sujet du second. Le Tanach polémique continuellement contre l’usage du pouvoir. Tout pouvoir, selon la Torah, appartient à juste titre à Dieu. La Torah reconnaît la nécessité, dans un monde imparfait, d’utiliser la force coercitive pour maintenir l’état de droit et la défense du royaume. D’où son approbation de la nomination d’un roi, si le peuple le désire. Mais c’est clairement une concession, pas un idéal. » (Power or Influence – Beha’halotecha, 5781).

ח  שָׁוְא וּדְבַר-כָּזָב הַרְחֵק מִמֶּנִּי רֵאשׁ וָעֹשֶׁר אַל-תִּתֶּן-לִי הַטְרִיפֵנִי לֶחֶם חֻקִּי. ט  פֶּן אֶשְׂבַּע וְכִחַשְׁתִּי וְאָמַרְתִּי מִי יְהוָה וּפֶן-אִוָּרֵשׁ וְגָנַבְתִּי וְתָפַשְׂתִּי שֵׁם אֱלֹהָי. (משלי ל: ח-ט).ש8 Eloigne de moi la vanité et la parole mensongère, ne me donne ni pauvreté ni richesse ; accorde-moi la part de nourriture qui m’est indispensable ; 9 car, vivant dans l’abondance, je pourrais te renier en disant : « Qui est l’Eternel ? » ou bien, poussé par la misère, je pourrais voler et offenser le nom de mon Seigneur (Proverbes 30 : 8-9).

[1] Parashat Shofétim : Deutéronome 16 : 18-21 : 9.

[2] »  Le sang de l’autre ou l’honneur de Dieu », Indiens, Juifs et Morisques dans l’Espagne du Siècle d’Or. Editions Fayard, 1979.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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