L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Terouma, La Parole itinérante

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

L’Arche d’Alliance renfermant les Tables de pierre, où sont gravées les Dix Paroles, se distingue de deux autres ustensiles de la Tente du Rendez-Vous (Ohel Mo’ed/ אֹהֶל מוֹעֵד): la table des pains de proposition et l’autel de l’encens.  Alors que les barres transversales de ces deux derniers ustensiles peuvent être démontées et retirées, celles de l’Arche d’Alliance ne doivent en aucune façon être séparées des anneaux dans lesquels elles sont enserrées.

ש«בְּטַבְּעֹת הָאָרֹן יִהְיוּ הַבַּדִּים לֹא יָסֻרוּ מִמֶּנּוּ» (שמות כה: טו).ש

«Les barres, engagées dans les anneaux de l’arche, n’en seront point retirées» (Ex. 25: 15)[1]

Quel sens revêt cet interdit catégorique?

Symboles du temps, de l’inexorabilité du mouvement cyclique et de l’élan vital inhérent à toute forme de vie sur terre par leur forme ronde, les quatre anneaux de l’Arche sont traversés par les deux barres. Ces deux traverses de bois d’acacia recouvertes d’or (Exode 25: 13) réunissent le couple d’anneaux opposés. Ces deux barres transversales, par leur fixité intemporelle, permettent à la Parole résidant au cœur de l’Arche, symbole de la dimension spatiale de la Parole, de «voyager», de se trouver de fait là où se trouvent les fils d’Israël, qu’ils soient en exil ou en Erets Israël:

ש«וְעָשׂוּ לִי מִקְדָּשׁ וְשָׁכַנְתִּי בְּתוֹכָם» (שמות כה: ח).ש

«Et ils [les enfants d’Israël] me construiront un sanctuaire, et je résiderai au milieu d’eux» (Exode 25: 8).

Elles brisent et infléchissent ainsi le déterminisme caractérisant le monde de la nature et empêchent  la Parole de rester enfermée et figée dans les limites étroites de l’Arche. La Parole divine va s’ouvrir à l’infini en transcendant les dimensions du temps et de l’espace du Ohel Mo’ed. Le terme Ohel Mo’ed אֹהֶל מוֹעֵד signifie «אֹהֶל  Tente (le lieu) du Rendez-Vous מוֹעֵד (le temps)».

Le commentateur Rashi, fidèle à l’enseignement des Sages d’Israël (Yoma 54: a), rappelle l’apparente contradiction concernant la place des barres de l’Arche d’Alliance:

ש«וַיַּאֲרִכוּ הַבַּדִּים וַיֵּרָאוּ רָאשֵׁי הַבַּדִּים מִן-הַקֹּדֶשׁ עַל-פְּנֵי הַדְּבִיר וְלֹא יֵרָאוּ הַחוּצָה…» (מלכים א, ח: ח).ש

«On avait prolongé ces barres, de façon que leurs extrémités s’apercevaient de l’enceinte sacrée, à l’entrée du debir, mais n’étaient pas apparentes extérieurement…». (I Rois 8: 8)

Comment concilier le fait que ces barres semblant déchirer le Rideau séparant  le Saint des Saints (Devir/דְּבִיר/ le lieu de la Parole) du Saint (Qodesh/קֹדֶשׁ/ le lieu de la sainteté) ne s’aperçoivent point dans le Saint? Comment la source biblique peut-elle à la fois affirmer que les barres sont visibles et invisibles? Rashi, s’inspirant de la source talmudique, compare les deux extrémités de ces barres aux deux mamelons du sein d’une femme qui, sans être directement visibles, laissent apparaître leur protubérance:

ש«צְרוֹר הַמֹּר דּוֹדִי לִי בֵּין שָׁדַי יָלִין» (שיר השירים א: יג).ש

«Mon bien-aimé est pour moi un bouquet de myrrhe, qui repose entre mes seins» (Cantique des Cantiques 1: 13).

L’adhésion au divin est une délicate étreinte, une caresse, l’on pourrait même préférer le terme d’effleurement de la Parole mais jamais une fusion absolue. L’expérience visant à toucher à l’Essence même du Divin est vouée par avance à l’échec. La fin tragique des frères Nadav et Avihou (Lev. 10: 1-3) témoigne de cette aspiration destructrice à l’étreinte totale au Divin. Les barres de l’Arche faites de bois d’acacia, bois vivant du désert, rappelle  à l’Homme- ADaM- que, pour accéder à la sphère divine, il ne doit jamais quitter son origine première, la terre- ADaMaH. Le mythe d’Icare enseigne, à ce propos, la nécessité absolue pour l’Homme de se fixer des limites qui, si elles sont respectées, lui ouvriront paradoxalement les Portes de l’infini. Ainsi, contrairement à Icare qui, victime de son propre orgueil, verra ses ailes artificielles se détacher, le conduisant à sa chute fatale,  Moïse se cache la face devant l’Eternel (Exode 3: 6) qui, alors, se révèle à lui au buisson ardent. L’Eternel ne se révèle entre les deux anges d’or fabriqués d’une seule pièce (Exode 25: 18) qu’après l’injonction de ne point séparer les barres des anneaux de l’Arche du Témoignage (Exode 25, 12-15):

ש«וְנוֹעַדְתִּי לְךָ שָׁם וְדִבַּרְתִּי אִתְּךָ מֵעַל הַכַּפֹּרֶת מִבֵּין שְׁנֵי הַכְּרֻבִים אֲשֶׁר עַל-אֲרוֹן הָעֵדֻת אֵת כָּל-אֲשֶׁר אֲצַוֶּה אוֹתְךָ אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל» (שמות כה: כב).ש

«C’est là que je te donnerai rendez-vous; c’est de dessus le propitiatoire, entre les deux chérubins placés sur l’arche du Statut, que je te communiquerai tous mes ordres pour les enfants d’Israël» (Ex. 25: 22).

Le retrait possible des barres aurait conduit à rendre la Parole monolithique en la transformant en Pensée unique et totalitaire. Cette Parole n’est donc point la propriété d’une quelconque élite spirituelle mais appartient à tous les fils d’Israël, sans discrimination aucune!

ש «תּוֹרָה צִוָּה-לָנוּ מֹשֶׁה מוֹרָשָׁה קְהִלַּת יַעֲקֹב» (דברים לג: ד).ש

«C’est pour nous qu’il ordonna un Enseignement à Moïse; elle restera l’héritage de la communauté de Jacob» (Deutéronome 33: 4).

Le peuple d’Israël se trouve renouvelé à chaque instant grâce à sa faculté d’introduire un souffle novateur au sein de l’exigeante et rigoureuse Tradition ancestrale. L’amour indéfectible de l’Eternel à l’égard de son peuple dans ces diverses composantes répond à l’amour d’Israël qui demeura, durant son long exil, fidèle à Sa Parole,  seule garante de sa pérennité:

 ש«וַיֹּאמֶר אָנֹכִי הָאֵל אֱלֹהֵי אָבִיךָ אַל-תִּירָא מֵרְדָה מִצְרַיְמָה כִּי-לְגוֹי גָּדוֹל אֲשִׂימְךָ שָׁם. אָנֹכִי אֵרֵד עִמְּךָ מִצְרַיְמָה וְאָנֹכִי אַעַלְךָ גַם-עָלֹה» (בראשית מו: 3-4).ש

«Il poursuivit: “Je suis le Seigneur, Dieu de ton père: n’hésite point à descendre en Égypte car je t’y ferai devenir une grande nation. Moi-même, je descendrai avec toi en Égypte; moi-même aussi je t’en ferai remonter» (Gen. 46: 3-4)

[1] Parashat Terouma , Exode 25: 1-27: 19

Si l’étude du TaNaKh vous fait rêver, n’hésitez pas à me joindre:

[email protected]

Au plaisir de vous retrouver,

Shabbat shalom!

,Avec toutes mes amitiés

Haïm Ouizemann

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3 réponses

  1. Le Livre doit s’ouvrir, les feuilles s’envoler…. La parole divine n’est jamais fermée, elle n’est pas faite pour rester statique, inerte, bloquée.
    La parole divine appartient à tous, à chacun. Elle évolue au grès du vent qui la porte, en fonction du sol où elle se pose avant de reprendre son envol…. Mais toujours ramenée au sol, parce que c’est là qu’elle s’y nourrit, qu’elle s’y développe et qu’elle nous y trouve. Lien entre le Divin (le ciel, le souffle, l’air) et l’Humain (la terre)
    L’Arche des Hébreux est à l’image du Livre, les Barres à l’image de la Feuille (particularisme et universalisme). Aucun doute: on ne peut nier l’existence du judaïsme, on ne peut nier sa vigueur, on ne peut nier le respect que nous lui devons.

  2. בְּטַבְּעֹת est ce bien le terme qui désigne les anneaux ? Chouraki : les bagues.

    צְרוֹר הַמֹּר דּוֹדִי לִי בֵּין שָׁדַי יָלִין

    note de Chouraki: myrrhe;” les femmes en faisaient une grande consommation spécialement en en plaçant un sachet ente leur seins en guise de talisman.” j’ai pu le voir chez les bédouines en Tunisie……..

  3. Cher Haim, j’ai remarqué que le mot côté dans Ex. 25:24 pour l’arche et aussi utilisé pour le tabernacle dans Exode 26:26 est le même mot qui est utilisé pour le côté de l’homme qui a été utilisé pour former la femme.dans Genèse 2:22.

    C est ce qui m’a fait penser que ces anneaux et ces barres pourraient aussi être une mage de l’unité, l’union intime entre l’homme et la femme.

    L’image des deux barres qui sont à la fois visibles et invisible sont pour moi une chose qui irait dans le même sens.

    Les deux chérubins qui se contemplent le sont aussi je crois.

    amitiés,

    Jacqueline

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Quelques mots sur moi

J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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