L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Tétsavé, La couronne du bon renom

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La parashat Tétsavé[1], outre le fait qu’elle décrit les vêtements des Cohanim (des serviteurs de l’Eternel) et précise leur importance dans le culte en l’honneur de l’Eternel, explique également comment l’autel de l’encens doit être construit.

ג וְצִפִּיתָ אֹתוֹ זָהָב טָהוֹר אֶת-גַּגּוֹ וְאֶת-קִירֹתָיו סָבִיב וְאֶת-קַרְנֹתָיו וְעָשִׂיתָ לּוֹ זֵר זָהָב סָבִיב. (שמות ל: ג)3 Et tu le (l’autel de l’encens) recouvriras d’or pur, savoir : sa plateforme, ses parois tout autour et ses cornes ; et tu l’entoureras d’une bordure d’or. (Exode 30 : 3).

Les Sages d’Israël ont interprété le terme hébraïque זֵר/ ZeR, traduit par « bordure, limite » dans le texte biblique, par « couronne ». Cette bordure ou couronne d’or symbolise, selon les Sages, la couronne de la Kehouna, de la Prêtrise qui se transmet de père en fils.

A cette couronne de la Prêtrise les Sages rajoutent deux autres couronnes, celle de la Royauté et celle de la Torah.

La couronne de la Royauté fait référence à ce verset :

כד וְצִפִּיתָ אֹתוֹ זָהָב טָהוֹר וְעָשִׂיתָ לּוֹ זֵר זָהָב סָבִיב. (שמות כה: כד)24 Et tu la recouvriras [la Table des pains de proposition] d’or pur et tu l’entoureras d’une couronne d’or. (Exode 25 : 24).

Quant à la couronne de la Torah, elle est symbolisée par la bordure située sur l’Arche d’Alliance :

יא וְצִפִּיתָ אֹתוֹ זָהָב טָהוֹר מִבַּיִת וּמִחוּץ תְּצַפֶּנּוּ וְעָשִׂיתָ עָלָיו זֵר זָהָב סָבִיב. (שמות כה: יא)11 Et tu la revêtiras [l’Arche d’Alliance] d’or pur, intérieurement et extérieurement ; et tu l’entoureras d’une couronne d’or.” (Exode 25 : 11).

Les deux premières couronnes, à savoir celle de la prêtrise (Kehouna) et celle de la royauté (Malkhout) ne peuvent en aucune manière être octroyées au simple fils d’Israël par le fait qu’elles ne se transmettent que par héritage (Nombres 25 : 13 ; Psaume 89 : 37). Maïmonide (RaMBaM, 1138-1204) explique que la couronne de la Torah, à l’opposé des deux premières couronnes, est, quant à elle, abordable pour tous ceux qui s’efforcent d’y accéder[2].


ד תּוֹרָה צִוָּה-לָנוּ מֹשֶׁה מוֹרָשָׁה קְהִלַּת יַעֲקֹב. (דברים לג: ד)4 Moïse nous ordonna la Torah, héritage de la communauté de Jacob.” (Deutéronome 33 : 4).

L’on peut donc affirmer, si l’on s’en tient à la thèse du grand penseur Maïmonide, que le but est de démocratiser l’étude de la Torah et de permettre à tout un chacun d’y avoir accès librement. Cette liberté et ce refus d’élitisme tiennent probablement au fait que la Torah touche à tous les domaines de la Vie tant sociale, spirituelle que politique. La Torah est le Bien commun de toutes et de tous sans exception aucune !

L’on pourrait s’en tenir, comme le prétend Maïmonide, à la primauté de la couronne de la Torah qui englobe toutes les sphères de la Vie humaine.  La Torah est le point ultime de la Vie d’un homme !

Toutefois, Rabbi Shim’on Bar Yokhaï soutient l’idée qu’à ces trois couronnes, il faut en rajouter une quatrième :

« רַבִּי שִׁמְעוֹן אוֹמֵר: שְׁלֹשָׁה כְתָרִים הֵן: כֶּֽתֶר תּוֹרָה, וְכֶֽתֶר כְּהֻנָּה, וְכֶֽתֶר מַלְכוּת, וְכֶֽתֶר שֵׁם טוֹב עוֹלֶה עַל גַּבֵּיהֶן » (פרקי אבות ד: יג)

« Rabbi Shim’on dit : Il y a trois couronnes : la couronne de la Torah, la couronne de la prêtrise et la couronne de la royauté ; quant à la couronne de la bonne renommée, elle les surpasse toutes. » (Maximes des Pères 4 : 13).

Que cherche Rabbi Shim’on Bar Yokhaï à nous enseigner ? Pourquoi ne se suffit-il point de la troisième couronne de la Torah et trouve-t-il juste d’ajouter la couronne de la réputation, du « bon renom » ?

Rabbi Shim’on s’efforce d’enseigner que si les couronnes de la Torah, de la prêtrise et de la Kehounah honorent ceux qui la portent, la couronne de la réputation leur est de loin supérieure. Cette thèse se fonde sur l’expérience qu’offre la Vie elle-même. Ni Eliezer ni Guershom, les deux fils du Prophète Moïse qui a fait descendre la Torah du Sinaï pour le monde, n’ont succédé à leur père. Ils n’en étaient pas dignes et leur nom disparaît aussitôt qu’il apparaît. Ni ‘Hofni ni Pin’has non plus ne succèdent à leur père, le Grand-Prêtre Héli, en raison de leurs fautes graves (I Samuel 2 : 12- 17 ; 22). Et même si Salomon succède à son père le roi David, que dire de Roboam (רְחַבְעָם Re’hav’am) son fils, qui décide de se conduire en dictateur envers le peuple d’Israël (I Rois 12 : 11) ?

Le Midrash Tan’houma établit un rapprochement sémantique entre le mot זֵר/ ZeR (« bordure, couronne ») et le terme זָר/ ZaR signifiant « étranger ».

« וְלָמָּה כָּתוּב זֵר וְקוֹרִין זָר. לְלַמֶּדְךָ, זָכָה אָדָם, נַעֲשָׂה לוֹ זֵר זָהָב. לֹא זָכָה, נַעֲשָׂה זָר בְּתוֹכָם מֵהֶם.» (מדרש תנחומא, ויקהל ח׳: ג׳).

« Et pourquoi est-il écrit ‘Zer’ et lit-on ‘Zar’? Pour t’enseigner que si l’homme en est digne, on lui tresse une couronne ‘Zer’ d’or ; si l’homme en est indigne, il devient un étranger ‘Zar’ au milieu d’eux » (Midrash Tan’houma, Parashat Vayak’hel, 8, 3).

Autrement dit si c’est une gloire d’hériter des couronnes de la prêtrise et de la royauté, ainsi que de la Torah, gloire pas toujours appréciée à sa juste valeur, l’essentiel n’est point tant de porter ces couronnes que de les honorer dignement. Si le roi, le prêtre ou l’érudit de la Torah ne remplissent point leur vocation de gouverner avec justice, de rendre le culte avec intégrité ou d’enseigner la Torah avec droiture et désintéressement, s’ils sont donc « étrangers » à leur vocation, ils ne méritent pas la couronne qu’ils portent. La gloire de leur couronne découle de leur renom et de leur réputation !

Il y a le nom que nous recevons à notre naissance. Il y a le renom que nous nous construisons !

Jonathan (יְהוֹנָתָן YeHoNathan), supposé succéder à son père Saül (שָׁאוּל Shaoul), renonce à la couronne de la royauté en faveur de son ami David dont la réputation allait devant lui :

יז …וְאַתָּה תִּמְלֹךְ עַל-יִשְׂרָאֵל וְאָנֹכִי אֶהְיֶה-לְּךָ לְמִשְׁנֶה וְגַם-שָׁאוּל אָבִי יֹדֵעַ כֵּן. (שמואל א, כג: יז)17 … Et tu règneras sur Israël et moi je serai ton second ; Saül, mon père, le sait bien aussi.” (I Samuel 23 : 17).

Quant à Samuel, appartenant à la famille des Lévi mais habitant dans les montagnes d’Ephraïm (I Samuel 1 : 1)[3], il est appelé par trois fois par l’Eternel pour remplacer le Grand-Prêtre,  הַכֹּהֵן הַגָּדוֹלHaCohen HaGadol, Héli, bien que n’étant point son fils biologique. Il est intéressant de noter que le terme זֵר/ ZeR fait également écho à la racine du naziréat נ.ז.ר./N. Z. R. signifiant « se séparer de, s’imposer des règles d’abstinence ». Le terme NeZeR /נֵזֶר  signifie, comme le mot  זֵר/ ZeR,  « couronne, diadème » :

ו וְשַׂמְתָּ הַמִּצְנֶפֶת עַל-רֹאשׁוֹ וְנָתַתָּ אֶת-נֵזֶר הַקֹּדֶשׁ עַל-הַמִּצְנָפֶת. (שמות כט: ו) 6 Puis tu placeras la tiare sur sa tête [du Grand-Prêtre] et tu assujettiras le diadème de sainteté sur la tiare. (Exode 29 : 6).

La Torah enseigne ici le principe du mérite et de l’effort. La Vie que nous vivons ne prend tout son sens que par les efforts et le fruit de notre travail intérieur.

Les grandes figures de l’Histoire ont été couronnées par les leurs grâce à leur mérite personnel, leur intégrité morale et leur contribution au bien-être du monde.

Mieux que tous les titres, tous les prix et toutes les décorations que peuvent offrir les institutions et les gouvernements, la plus grande des richesses d’un homme se mesure à la noblesse de son nom, noblesse qui demeure pérenne même après sa mort, dès lors que les actes de cet homme visent, de son vivant, au bonheur de l’Humanité :

א טוֹב שֵׁם מִשֶּׁמֶן טוֹב וְיוֹם הַמָּוֶת מִיּוֹם הִוָּלְדוֹ. (קהלת ז, א)1 Un bon renom est préférable à l’huile parfumée, et le jour de la mort au jour de la naissance. (Ecclésiaste 7 : 1).

[1] Parashat Tétsavé: Exode 27 : 20-30 :10.

[2] Hil’hot Talmud Tora Chap. 3, 1    הלכות תלמוד תורה פרק ג הלכה א.

[3]  Le livre des Chroniques semble contredire l’ascendance de Samuel, dont on pense généralement qu’il est fils de la tribu d’Ephraïm. Cependant, si l’on se rapporte au premier livre de Samuel 1 : 1, on observe que le père de celui qui est appelé à devenir juge et prophète, s’il habite à Ramataïm Tsophim dans les montagnes d’Ephraïm, vient en réalité d’Ephrat, c’est-à-dire de Bethléem, dans la tribu de Juda. Toutefois, une communauté de prêtres (Cohanim) y était présente, puisque cette ville était aussi une ville de Cohanim, d’où la lignée lévitique (I Chroniques 6 : 18-23) de Samuel. C’est pourquoi Samuel a pu accéder au service du Temple après la chute du Grand-Prêtre Héli.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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