L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Toledot, Rivka, la sagesse féminine

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Gustave Doré
Gustave Doré

Rivka, appelée à devenir la seconde Matriarche d’Israël, se révèle posséder la forte personnalité d’une femme qui sait prendre la bonne décision au moment opportun:

ש«וְרִבְקָה שֹׁמַעַת בְּדַבֵּר יִצְחָק אֶל-עֵשָׂו בְּנוֹ וַיֵּלֶךְ עֵשָׂו הַשָּׂדֶה לָצוּד צַיִד לְהָבִיא. וְרִבְקָה אָמְרָה אֶל-יַעֲקֹב בְּנָהּ לֵאמֹר: הִנֵּה שָׁמַעְתִּי אֶת-אָבִיךָ מְדַבֵּר אֶל-עֵשָׂו אָחִיךָ» (בראשית כז, ה-ו).[1]ש

«Or Rébecca entend ce qu’Isaac dit à Ésaü son fils. Ésaü alla aux champs pour chasser du gibier et le rapporter. Cependant Rébecca dit à Jacob, son fils: Ecoute; j’ai entendu ton père parler ainsi à Ésaü, ton frère» (Gen. 27: 5-6)

Cette écoute au présent perdure dans le temps. Associée à la conjonction  ב-, cette écoute, loin d’être celle de l’ouïe physique, s’apparente plus tôt à celle de l’esprit de profonde sagesse qui anime le cœur de Rivka:

ש«וַיִּתְרֹצְצוּ הַבָּנִים בְּקִרְבָּהּ וַתֹּאמֶר אִם-כֵּן לָמָּה זֶּה אָנֹכִי וַתֵּלֶךְ לִדְרֹשׁ אֶת-יְהוָה» (בראשית כה, כב).ש

«Comme les enfants s’entre poussaient dans son sein, elle dit “Si cela est ainsi, à quoi suis-je destinée!” Et elle alla interroger le Seigneur.» (Gen. 25: 22)

Douée de cette faculté d’écoute intérieure et de discernement également présente chez la première Matriarche Sarah qui entend elle aussi au présent (Gen. 18: 10), Rivka ne demande point à son époux Its’hak d’interroger l’Eternel mais décide en toute indépendance de faire face au Divin. Forte de la réponse divine selon laquelle «l’aîné servira le plus jeune» (Gen. 25: 23) et sachant l’attachement d’Its’hak envers Essav (Esaü), elle conçoit une savante stratégie visant à «contraindre» son époux à bénir le fils cadet, à savoir faire passer Yaakov pour Essav:

ש«וַיֹּאמֶר לוֹ יִצְחָק אָבִיו מִי-אָתָּה וַיֹּאמֶר אֲנִי בִּנְךָ בְכֹרְךָ עֵשָׂו» (בראשית כז, לב).ש

«lsaac, son père, lui demanda [à Yaakov]: “Qui es-tu?” II répondit: “Je suis ton fils, ton premier-né, Ésaü.» (Gen. 27: 32)

Pouvons-nous, toutefois, affirmer que Jacob ait obtenu la bénédiction divine en trompant son père Its’hak et que de la sorte, il est devenu le troisième Patriarche d’Israël?

ש«וַיֹּאמֶר בָּא אָחִיךָ בְּמִרְמָה וַיִּקַּח בִּרְכָתֶךָ» (בראשית כז, לה).ש

«II [Its’hak] répondit: Ton frère a usé de ruse et il a pris ta bénédiction». (Gen. 27: 35)

Rashi, à la suite du commentateur Onkelos, réfute la traduction «ruse»  prêtée au  terme בְּמִרְמָה  [BeMiRMaH]. Il lui substitue le terme de «sagesse». Comment cette interprétation est-elle possible, alors qu’elle s’éloigne, semble-t-il, du sens littéral de la source biblique?

Nous ne pouvons comprendre Rashi et Onkelos que si nous examinons le milieu familial dans lequel a évolué Rivka la mère de Ya’akov:

ש«וַיְהִי יִצְחָק בֶּן-אַרְבָּעִים שָׁנָה בְּקַחְתּוֹ אֶת-רִבְקָה בַּת-בְּתוּאֵל הָאֲרַמִּי מִפַּדַּן אֲרָם אֲחוֹת לָבָן הָאֲרַמִּי לוֹ לְאִשָּׁה» (בראשית כה, כ).ש

«Isaac avait quarante ans lorsqu’il prit pour épouse Rébecca, fille de Béthuel, l’Araméen, du territoire d’Aram, sœur de Laban, l’Araméen.» (Gen. 25: 20)

La double mention du terme הָאֲרַמִּי («l’Araméen»)  rappelle l’environnement spirituel trouble dans lequel a grandi Rivka[2]. En effet, l’anagramme du terme HaARaMi הָאֲרַמִּי, HaRaMaÏ הָרַמָּאִי signifie «le rusé». Autrement dit, Rivka, après avoir grandi dans une famille connaissant certes l’Eternel, mais ne suivant pas toujours Ses principes et Ses valeurs, acquerra malgré elle, l’expérience du mal et de l’usage de la ruse comme fin en soi. Rappelons que Ya’akov devra faire face à ce même type de ruse, lorsqu’il exprimera l’intention d’épouser Rachel. Ainsi, Lavan, père de Rachel, non seulement contraindra Ya’akov à offrir sept années de sa vie en échange de Rachel mais ne fera montre d’aucun scrupule  à remplacer celle-ci par sa sœur aînée Léa:

ש«וַיְהִי בַבֹּקֶר וְהִנֵּה-הִוא לֵאָה וַיֹּאמֶר אֶל-לָבָן מַה-זֹּאת עָשִׂיתָ לִּי הֲלֹא בְרָחֵל עָבַדְתִּי עִמָּךְ וְלָמָּה רִמִּיתָנִי» (בראשית כט, כה).שש

«Or, le matin, il se trouva que c’était Léa; et il dit à Laban: “Que m’as-tu fait là! N’est ce pas pour Rachel que j’ai servi chez toi? Et pourquoi m’as-tu trompé?» (Gen. 29: 25)

Il ne semble point que Ya’akov ait dû subir cette épreuve humiliante pour avoir acquis par «ruse» les bénédictions de son père Its’hak (ch. 27) mais au contraire que l’attitude de Rivka de convaincre son fils de «ruser» soit fondée sur une connaissance parfaite du caractère d’Essav (Esaü) qui n’était point sans lui rappeler sa propre histoire familiale.  De plus, Esaü se garde bien d’annoncer à son père Its’hak la vente de son droit d’aînesse à son frère Ya’akov:

ש«עֵשָׂו הִנֵּה אָנֹכִי הוֹלֵךְ לָמוּת וְלָמָּה-זֶּה לִי בְּכֹרָה. לג וַיֹּאמֶר יַעֲקֹב הִשָּׁבְעָה לִּי כַּיּוֹם וַיִּשָּׁבַע לוֹ וַיִּמְכֹּר אֶת-בְּכֹרָתוֹ לְיַעֲקֹב» (בראשית כה, לב).ש

«Ésaü répondit: “Certes! Je marche à la mort; à quoi me sert donc le droit d’aînesse?” 33 Jacob dit: “Jure-le moi dès à présent.” Et il lui fit serment et il vendit son droit d’aînesse à Jacob» (Gen. 25: 32).

Ya’akov ne travestit point non plus sa voix lorsqu’il s’approchera de son père (Gen. 27: 22). Comment, alors, pouvons-nous dire qu’il a fait preuve de «ruse»?

Ainsi, ce n’est point tant que Rivka ait cherché à protéger son fils Ya’akov qu’elle a craint un instant que la flamme divine demeurant dans cette contrée se disperse, se perde et s’éloigne de sa famille, si Essav «bénéficiait» de la transmission de la bénédiction ayant trait à la possession de la terre. Elle écoute si bien la voix de l’Eternel se révélant dans les moments les plus difficiles de la réalité que, pleinement confiante, elle rassure son fils Yaakov et lui affirme qu’aucune malédiction ne peut avoir un quelconque effet néfaste sur sa propre  personne (Gen. 27: 13). Comment cela serait-il possible? Bénie par les siens lors de son départ avec le serviteur d’Avraham, Rivka est pleinement consciente de la responsabilité qu’il lui incombe d’assumer, en tant que Matriarche. N’est-elle point la continuatrice de la vocation d’Avraham  (Gen. 22: 17)?

ש«וַיְבָרְכוּ אֶת רִבְקָה וַיֹּאמְרוּ לָהּ אֲחֹתֵנוּ אַתְּ הֲיִי לְאַלְפֵי רְבָבָה וְיִירַשׁ זַרְעֵךְ אֵת שַׁעַר שֹׂנְאָיו» (בראשית כד, ס).ש

Et ils bénirent Rébecca en lui disant “Notre sœur! Puisses-tu devenir des milliers de myriades! Et puisse ta postérité conquérir la porte de ses ennemis! (Gen. 24: 60).

Sarah et Rivka possèdent la Bina, force de discernement intérieur, d’esprit prophétique qui manque à Avraham et à Its’hak.

L’Histoire de l’Humanité, loin d’être écrite par une suite de lignes parfaites, se compose de discontinuités, de courbes, de profondes brisures et souvent de mensonges et de ruses. C’est la raison pour laquelle, aussi paradoxal que cela puisse paraître, Rivka, éprouvée par son expérience de jeune fille parmi ses frères à Padan-Aram, recourt au subterfuge qu’elle juge totalement légitime pour la transmission de la tradition spirituelle de la fidélité en un seul Dieu, sans syncrétisme avec d’autres déités, comme c’est le cas avec Lavan qui reconnaît l’autorité de l’Eternel:

ש«וַיַּעַן לָבָן וּבְתוּאֵל וַיֹּאמְרוּ מֵיְהוָה יָצָא הַדָּבָר לֹא נוּכַל דַּבֵּר אֵלֶיךָ רַע אוֹ-טוֹב» (בראשית כד. נ).ש

«Pour réponse, Lavan et Béthuel dirent: “La chose émane de Dieu même! Nous ne pouvons te répondre ni en mal ni en bien». (Gen. 24, 50).

Pourtant, comme nous le verrons par la suite, il met sa confiance… dans ses dieux lares et poursuit Yaakov pour les récupérer!

ש«וְעַתָּה הָלֹךְ הָלַכְתָּ, כִּי-נִכְסֹף נִכְסַפְתָּה לְבֵית אָבִיךָ; לָמָּה גָנַבְתָּ, אֶת-אֱלֹהָי» (בראשית לא, ל)ש

«Et maintenant que tu t’en vas, parce que tu soupires après la maison de ton père, pourquoi as-tu dérobé mes dieux?» (Gen. 31, 30).

Ce bouleversement  spirituel ne se fera qu’au prix d’un combat même non violent! Rivka, sans même blesser son époux Its’hak, réussit à infléchir le cours des événements et par là même à aider Ya’akov à devenir par la suite le troisième Patriarche d’Israël!

 

[1] Parashat Toledot, Genèse 25: 19- 28: 9

[2] «Femmes dans la Bible» (Rav Adin Steinsaltz, Nashim BaMikra, Ed.  Misrad HaBita’hon, p. 26).

 

Si l’étude du TaNaKh vous fait rêver, n’hésitez pas à me joindre:

[email protected]

Au plaisir de vous retrouver,

Shabbat shalom!

,Avec toutes mes amitiés

Haïm Ouizemann

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Une réponse

  1. Ah la femme!!
    Le pouvoir de la femme est grand, les capacités des femmes sont immenses, d’ailleurs tant pour détruire que pour construire ou protéger.
    La femme, la Mère: pilier de la famille, pilier de la transmission spirituelle, pilier de la transmission de la vie.
    La mère est, peut-être, le symbole du combat permanent, souvent sans violences physiques de la force en action, par sa parole forte et/ou apaisante.
    C’est peut-être aussi le symbole le plus apparent, de la brisure. Tout au long de sa vie la femme doit faire face à des fins:
    fin de l’enfance pour devenir mère, responsable en son sein d’une vie
    fin de 9 mois de grossesse, séparation physique d’avec l’enfant qu’elle porte.
    brisures répétées à chaque étape de maturité de son enfant, qui a chaque fois dévoile une nouvelle étape, une nouvelle responsabilité, un renouveau auquel il lui faut faire face, s’adapter.

    D’ailleurs, fait curieux, Jésus né d’un homme Joseph et d’une femme Marie…. C’est vers Marie que les prières se tournent, pas vers Joseph. vers la mère, vers la femme.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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