
Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
En général, la Parashat Tsav[1] lue le Shabbat précédant Pessa’h, appelé Shabbat Hagadol, souligne le lien entre les lois des sacrifices et la fête de Pessa’h ainsi que l’importance de l’intention et de la précision dans le service divin lié aux sacrifices. Cette même parashah décrit les sept jours d’inauguration (מִילוּאִים milou’im), période préparatoire à la consécration du Tabernacle. Moïse rassemble les enfants d’Israël à l’entrée de la Tente du Rendez-Vous, purifie Aaron et ses fils, les habille avec les vêtements sacerdotaux et les oint avec l’huile d’onction.
יב וַיִּצֹק מִשֶּׁמֶן הַמִּשְׁחָה עַל רֹאשׁ אַהֲרֹן וַיִּמְשַׁח אֹתוֹ לְקַדְּשׁוֹ. (ויקרא ח: יב) | 12 et il versa de cette huile d’onction sur la tête d’Aaron, et il l’oignit pour le consacrer. (Lévitique 8:12) | ||
ל וַיִּקַּח מֹשֶׁה מִשֶּׁמֶן הַמִּשְׁחָה וּמִן-הַדָּם אֲשֶׁר עַל-הַמִּזְבֵּחַ וַיַּז עַל-אַהֲרֹן עַל-בְּגָדָיו וְעַל-בָּנָיו וְעַל-בִּגְדֵי בָנָיו אִתּוֹ וַיְקַדֵּשׁ אֶת-אַהֲרֹן אֶת-בְּגָדָיו וְאֶת-בָּנָיו וְאֶת-בִּגְדֵי בָנָיו אִתּוֹ. (ויקרא ח:ל) | 30 Alors Moïse prit de l’huile d’onction et du sang qui était près de l’autel et en fit aspersion sur Aaron, sur ses vêtements, puis sur ses fils et sur les vêtements de ses fils; il consacra ainsi Aaron, ses vêtements et avec lui ses fils et les vêtements de ses fils. (Lévitique 8:30) | ||
Les verbes לְקַדְּשׁוֹ/ LeQaDeSho et /וַיְקַדֵּשׁVaYeQaDeSh sont généralement traduits par les verbes “consacrer” (Samuel Cahen, André Chouraqui) ou “sanctifier” (Louis Segond, John Darby).
Or la racine Q.D.Sh. /ק.ד.ש. composant ces deux verbes signifie initialement “être séparé de…, mis à part” et apparaît pour la première fois dans le livre de la Genèse à propos du Jour du Shabbat:
ג וַיְבָרֶךְ אֱלֹהִים אֶת-יוֹם הַשְּׁבִיעִי וַיְקַדֵּשׁ אֹתוֹ כִּי בוֹ שָׁבַת מִכָּל-מְלַאכְתּוֹ אֲשֶׁר-בָּרָא אֱלֹהִים לַעֲשׂוֹת. (בראשית ב:ג) | 3 Et l’Eternel bénit le septième jour et le proclama saint, parce qu’en ce jour Il cessa Son œuvre qu’il avait créée pour la parfaire (Genèse 2:3) |
Au lieu de traduire “il le proclama saint”, il serait préférable de traduire “il le mit à part/ le sépara” [des autres jours profanes] comme l’enseigne le passage du Décalogue concernant le devoir impératif de se souvenir du Shabbat.
ז זָכוֹר אֶת-יוֹם הַשַּׁבָּת לְקַדְּשׁוֹ. (שמות כ:ז) | 7 “Tu dois te souvenir du jour du Shabbat pour le séparer [des autres jours profanes]. (Exode 20:7) |
Cette séparation des autres jours confère au Shabbat un caractère particulier de transcendance, dimension désignant l’indépendance du Divin par rapport au monde matériel, soulignant son caractère “radicalement autre”.
Ce caractère de séparation du monde physique est évoqué chez le prophète Isaïe:
ג וְקָרָא זֶה אֶל-זֶה וְאָמַר קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ יְהוָה צְבָאוֹת מְלֹא כָל-הָאָרֶץ כְּבוֹדוֹ. (ישעיהו ו:ח) | 3 S’adressant l’un à l’autre, ils s’écriaient [les anges séraphins]: “Saint , saint, saint est l’Eternel-des Armées! Toute la terre est pleine de sa gloire!” (Isaïe 6:3) |
La triple répétition קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ קָדוֹשׁ exprime le fait que les anges reconnaissent que l’Eternel est absolument et totalement transcendant, inaccessible et séparé du monde, “séparé, séparé, séparé”.
Dans des cas plus rares la racine Q.D.Sh. /ק.ד.ש. signifie “se purifier”.
ד וַיִּשְׁלַח דָּוִד מַלְאָכִים וַיִּקָּחֶהָ, וַתָּבוֹא אֵלָיו וַיִּשְׁכַּב עִמָּהּ, וְהִיא מִתְקַדֶּשֶׁת, מִטֻּמְאָתָהּ; וַתָּשָׁב, אֶל-בֵּיתָהּ. (שמואל ב’, יא:ד) | 4 Et David envoya des émissaires pour la chercher (BatSheva); elle se rendit auprès de lui, et il cohabita avec elle alors qu’elle venait de se purifier de son impureté, puis elle retourna dans sa maison. (II Samuel 11:4) |
Pourquoi donc est-il préférable de substituer au terme “saint” auquel nous avons toutes et tous été habitués, le terme de “séparation”?
“…du latin sanctus, qui est le participe passif de sancire, prescrire par loi, par précepte. Sancire est le dénominatif de sacer, sancus (semo sancus), dont l’étymologie est le radical sanscrit sac, suivre, et quelquefois, dans le Rigvéda, adorer”. (Le Littré)
Si en effet, la racine verbale Q.D.Sh. / ק.ד.ש.. induit la notion de précepte, de commandement et d’ordonnance relevant du Divin, elle dépasse toutefois l’unique cadre du religieux, de la pratique cultuelle et s’inscrit dans la prodigieuse dimension de l’Ethique comprise dans son acception de responsabilité et de vocation.
Jérusalem ne constitue point seulement la Cité du Temple (Beit HaMiQDaShבֵּית-הַמִּקְדָּשׁ ) et du culte divin mais la Cité appelée à devenir le centre mondial de l’étude de la Tora et de son Ethique. Le peuple hébreu est porteur d’une double vocation religieuse nationale et universelle éthique qui s’inscrit dans le temps et au-delà du temps.
ו כִּי עַם קָדוֹשׁ אַתָּה לַיהוָה אֱלֹהֶיךָ בְּךָ בָּחַר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ לִהְיוֹת לוֹ לְעַם סְגֻלָּה מִכֹּל הָעַמִּים אֲשֶׁר עַל-פְּנֵי הָאֲדָמָה. (דברים ז:ו) | 6 Car tu es un peuple mis à part pour l’Éternel, ton Seigneur: il t’a choisi, l’Éternel, ton Seigneur, pour lui être un peuple trésor entre tous les peuples qui sont sur la face de la terre. (Deutéronome 7:6) |
L’élection est toujours liée à la notion de séparation:
ה בְּטֶרֶם אצורך (אֶצָּרְךָ) בַבֶּטֶן יְדַעְתִּיךָ וּבְטֶרֶם תֵּצֵא מֵרֶחֶם הִקְדַּשְׁתִּיךָ נָבִיא לַגּוֹיִם נְתַתִּיךָ. (ירמיהו א:ה) | 5 “Avant que je t’eusse formé dans le sein de ta mère, je te connaissais; avant que tu fusses sorti de ses entrailles, je t’avais mis à part, je t’avais désigné comme prophète des nations.” (Jérémie 1:5) |
La racine verbale Q.D.Sh. / ק.ד.ש. renvoie à la solitude d’Israël dans l’accomplissement de sa double vocation historique et métahistorique:
ט כִּי-מֵרֹאשׁ צֻרִים אֶרְאֶנּוּ וּמִגְּבָעוֹת אֲשׁוּרֶנּוּ הֶן-עָם לְבָדָד יִשְׁכֹּן וּבַגּוֹיִם לֹא יִתְחַשָּׁב. (במדבר כג:ט) | 9 Car je le vois de la cime des rochers, et du haut des collines, je le découvre: ce peuple demeure solitaire, il ne se confondra point avec les nations. (Nombres 23:9) |
Cette solitude est la résultante d’une exigence divine absolue à l’adresse d’Israël, exigence s’exprimant par de nombreuses limites tant sur le plan religieux qu’éthique:
ב דַּבֵּר אֶל-כָּל-עֲדַת בְּנֵי-יִשְׂרָאֵל, וְאָמַרְתָּ אֲלֵהֶם קְדֹשִׁים תִּהְיוּ: כִּי קָדוֹשׁ, אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם. (ויקרא יט:ב) | 2 “Parle [Moïse] à toute la communauté des enfants d’Israël et dis-leur: Soyez détachés! Car Moi [l’Eternel] Je suis détaché [de ce monde], moi l’Éternel, votre Seigneur” (Lévitique 19:2) |
Rashi commente:
“קְדֹשִׁים תִּהְיוּ. הֱווּ פְּרוּשִׁים מִן הָעֲרָיוֹת וּמִן הָעֲבֵרָה, שֶׁכָּל מָקוֹם שֶׁאַתָּה מוֹצֵא גֶּדֶר עֶרְוָה, אַתָּה מוֹצֵא קְדֻשָּׁה: “אִשָּׁה זֹנָה וַחֲלָלָה וְגוֹ'” _ “אֲנִי ה’ מְקַדִּשְׁכֶם”. (ויקרא, כא:ח); “וְלֹא יְחַלֵּל זַרְעוֹ… אֲנִי ה’ מְקַדְּשׁוֹ” (ויקרא, כא:טו); “קְדֹשִׁים יִהְיוּ… אִשָּׁה זֹנָה וַחֲלָלָה וְגוֹ’ ” (ויקרא כא:ו-ז)
Soyez saints [séparés] Tenez-vous complètement à l’écart de la débauche et des péchés! Car toutes les fois que l’on trouve une mise en garde contre la débauche, on trouve mention de la sainteté: “Ils ne prendront pas une femme prostituée ou profanée […] je suis HaShem qui vous sanctifie [sépare]” (Lévitique 21:7-8), “et il ne profanera pas sa descendance dans son peuple, car je suis Hachem qui le sanctifie [sépare]” (Lévitique 21:15), “ils seront saints [séparés][…] ils ne prendront pas une femme prostituée ou profanée” (Lévitique 21:6-7).
Aussi, toutes les fois où la racine Q.D.Sh. /ק.ד.ש. est associée à Jérusalem, à la partie singulière du Temple קֹדֶשׁ הַקֳּדָשִׁים QoDeSH HaQoDaShiM (“Le Saint des Saints”), au peuple d’Israël ou à un prophète, elle leur octroie une dimension transcendantale porteuse de sens pour Israël et les Nations.
C’est pourquoi cette séparation se reflète aussi sur Jérusalem, bâtie sur “la montagne de sainteté”, la montagne de “séparation” entre le sacré et le profane, de laquelle s’étendra une ère de Paix:
כה זְאֵב וְטָלֶה יִרְעוּ כְאֶחָד וְאַרְיֵה כַּבָּקָר יֹאכַל-תֶּבֶן וְנָחָשׁ, עָפָר לַחְמוֹ לֹא-יָרֵעוּ וְלֹא-יַשְׁחִיתוּ בְּכָל-הַר קָדְשִׁי אָמַר יְהוָה. (ישיעהו סה:כה) | 25 Le loup et l’agneau paîtront côte à côte, le lion comme le bœuf mangera de la paille et le serpent se nourrira de poussière; plus de méfaits, plus de violence sur toute la montagne de ma séparation: c’est l’Eternel qui a parlé.” (Isaïe 65:25) |
[1] Parashat Tsav: Lévitique 6:1-8:36.
Shabbat shalom!
Haïm Ouizemann