Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
Jacob, sur les conseils de sa mère bienveillante Rivka (Rebecca)[1], quitte Erets Israël, la terre d’Israël afin de se rendre à ‘Haran (Genèse 28: 10).
יא וַיִּפְגַּע בַּמָּקוֹם וַיָּלֶן שָׁם כִּי-בָא הַשֶּׁמֶשׁ וַיִּקַּח מֵאַבְנֵי הַמָּקוֹם וַיָּשֶׂם מְרַאֲשֹׁתָיו וַיִּשְׁכַּב בַּמָּקוֹם הַהוּא. (בראשית כח: יא) | 11 Puis il [Jacob] arriva dans un endroit où il établit son gîte, parce que le soleil était couché. Il prit une des pierres de l’endroit, en fit son chevet et passa la nuit dans ce lieu. (Genèse 28: 11) |
La majorité des traductions classiques traduisent littéralement le verbe וַיִּפְגַּע “et il arriva à un endroit” (Samuel Cahen), “et il arriva dans un lieu” (Louis Second), “et il se rencontra en un lieu” (John Darby), “il atteint le lieu” (André Chouraqui).
La racine verbale P. G. Ayin / פ.ג.ע. suivie de la préposition Beit / ב… du verbe וַיִּפְגַּע/ VaYiPhGa renferme de nombreuses significations, tant positives que négatives: “arriver à, venir à”, “rencontrer” (Nombres 35: 19), “tuer, frapper” (I Samuel 22: 18).
Parmi ces multiples sens, il en est deux autres qui seraient susceptibles de correspondre à l’esprit du texte, à savoir: “toucher”, comme Ya’aqov (Jacob) lors du rêve de l’échelle:
יא וַיִּפְגַּע בַּמָּקוֹם וַיָּלֶן שָׁם כִּי-בָא הַשֶּׁמֶשׁ וַיִּקַּח מֵאַבְנֵי הַמָּקוֹם וַיָּשֶׂם מְרַאֲשֹׁתָיו וַיִּשְׁכַּב בַּמָּקוֹם הַהוּא. (בראשית כח: יא) | 11 Puis il [Jacob] toucha subitement le lieu où il établit son gîte, parce que le soleil était couché. Il prit une des pierres de l’endroit, en fit son chevet et passa la nuit dans ce lieu. (Genèse 28 : 11) |
Le deuxième sens serait “prier avec insistance” comme dans Jérémie 27: 18:
יא וַיִּפְגַּע בַּמָּקוֹם וַיָּלֶן שָׁם כִּי-בָא הַשֶּׁמֶשׁ וַיִּקַּח מֵאַבְנֵי הַמָּקוֹם וַיָּשֶׂם מְרַאֲשֹׁתָיו וַיִּשְׁכַּב בַּמָּקוֹם הַהוּא. (בראשית כח: יא) | 11 Puis il [Jacob] pria au lieu où il établit son gîte, parce que le soleil était couché. Il prit une des pierres de l’endroit, en fit son chevet et passa la nuit dans ce lieu. (Genèse 28: 11) |
C’est ainsi que les Sages ont enseigné:
“וַיִּפְגַּע בַּמָּקוֹם וַיָּלֶן שָׁם” (בראשית כח: יא) וְאֵין פְּגִיעָה אֶלָּא תְּּפִלָּה, שֶׁנֶּאֱמַר: “וְאַתָּה אַל-תִּתְפַּלֵּל בְּעַד-הָעָם הַזֶּה, וְאַל-תִּשָּׂא בַעֲדָם רִנָּה וּתְפִלָּה וְאַל-תִּפְגַּע-בִּי” (ירמיהו ז: טז) (תלמוד בבלי ברכות כו: ב).
“Puis il [Jacob] arriva dans un endroit où il établit son gîte” (Genèse 28: 11), Il n’y a pas d’atteinte sinon par la prière, car il est dit: “Quant à toi, n’intercède pas pour ce peuple, ne profère en sa faveur ni supplication ni prière, ne cherche pas à me fléchir” (Jérémie 7: 16) (Talmud de Babylone Berakhot 26: b).
En effet, le terme הַמָּקוֹם / MaQoM- “lieu” évoque selon la Tradition orale le Nom divin.
“ר’ הוֹשַׁעְיָא בְּשֵׁם ר’ אַמֵּי אָמַר: מִפְּנֵי מָה מְכַנִּין שְׁמוֹ שֶׁל הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא וְקוֹרְאִין אוֹתוֹ “מָקוֹם”? שֶׁהוּא מְקוֹמוֹ שֶׁל עוֹלָם וְאֵין עוֹלָמוֹ מְקוֹמוֹ. מִן מָה דִּכְתִיב: “הִנֵּה מָקוֹם אִתִּי” (שמות לג, כא) הֱוֵי הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא מְקוֹמוֹ שֶׁל עוֹלָם וְאֵין עוֹלָמוֹ מְקוֹמוֹ.” (בראשית רבה, סח: ט).
“Rabbi Hoshaya au nom de Rabbi Ami a dit: Pourquoi surnomme-t-on le Saint, béni soit-Il, et l’appelle-t-on “Lieu”? Parce qu’Il est le lieu du monde, et Son monde n’est pas Son lieu. D’où le savons-nous? De ce qui est écrit: “Voici un lieu près de Moi” (Exode 33:21). Il en résulte que le Saint, béni soit-Il, est le lieu du monde, et Son monde n’est pas Son lieu.” (Bereshit Rabba 68: 9).
Cette explication rabbinique explore la raison pour laquelle la Divinité est parfois appelée ” מָקוֹםMaqom” (lieu) dans la tradition juive. Elle souligne l’idée que la Divinité contient le monde plutôt que d’être contenue par lui, mettant en évidence Sa nature infinie et omniprésente. Cette vision des Sages d’Israël a pour but de réfuter toute thèse panthéiste du Divin.
En quoi ces deux nouvelles traductions correspondent-elle à l’esprit et à la lettre du texte ?
Il nous faut remarquer -et le célèbre traducteur André Chouraqui y a été sensible- que le substantif הַמָּקוֹם /HaMaQoM- “le lieu” qui succède au verbe “וַיִּפְגַּע/ VaYiPhGa” est défini. Autrement dit, si le verbe “וַיִּפְגַּע/ VaYiPhGa” exprime un choc, une surprise, un évènement inattendu hors du commun, cela suppose que la source biblique veut éveiller chez le lecteur l’attention sur le fait que ce lieu est connu. Le terme הַמָּקוֹם / HaMaQoM- “lieu” qui n’apparaît pas moins de trois fois dans ce verset est fondamental pour comprendre son esprit. Ce terme fait allusion à Jérusalem qui n’est jamais citée explicitement dans la Torah (le Pentateuque) mais toujours implicitement. Le terme הַמָּקוֹם / HaMaQoM – “lieu” qui fait allusion à Jérusalem est mentionné dans de nombreux textes prophétiques (Jérémie 29: 10 ; Ezéchiel 42: 13; Tsefania 1: 4; Néhémie 1: 9).
La source biblique aspire non point à évoquer le déplacement physique de Jacob comme la traduction classique pourrait le laisser penser, déplacement déjà indiqué par ailleurs au verset précédent (Genèse 28: 10) mais aspire à révéler l’intention cachée de l’Eternel de conduire Jacob en ce lieu connu déjà de son grand-père Avraham, alors qu’il rencontrait Melchitsedeq, “roi de Shalem” (Genèse 14: 18) qui, selon Rashi sur ce verset, deviendra Jérusalem, aussi bien que de son père Its’hak, lorsqu’il accompagnait Avraham (Genèse 22: 4). En ce lieu, le mont Moriah (Jérusalem), L’Eternel conduit Jacob afin qu’il s’y recueille!
ד בַּיּוֹם הַשְּׁלִישִׁי וַיִּשָּׂא אַבְרָהָם אֶת-עֵינָיו וַיַּרְא אֶת-הַמָּקוֹם מֵרָחֹק (בראשית כב: ד) | 4 Le troisième jour, Abraham, levant les yeux, aperçut l’endroit dans le lointain. (Genèse 22: 4) |
La Providence divine guide Jacob appelé à devenir le troisième Patriarche de la Maison d’Israël afin de lui procurer de nouvelles forces spirituelles face aux obstacles et aux nombreux défis qui l’attendent en exil.
טז וַיִּיקַץ יַעֲקֹב מִשְּׁנָתוֹ וַיֹּאמֶר אָכֵן יֵשׁ יְהוָה בַּמָּקוֹם הַזֶּה וְאָנֹכִי לֹא יָדָעְתִּי. יז וַיִּירָא וַיֹּאמַר מַה-נּוֹרָא הַמָּקוֹם הַזֶּה אֵין זֶה כִּי אִם-בֵּית אֱלֹהִים וְזֶה שַׁעַר הַשָּׁמָיִם. (בראשית כח: טז-יז) | 16 Et Jacob, s’étant réveillé, s’écria: “Assurément, l’Éternel est présent en ce lieu et moi je l’ignorais.” 17 Et, saisi de crainte, il ajouta: “Comme ce lieu suscite la crainte [révérencielle]! ceci n’est autre que la maison du Seigneur et c’est ici la porte du ciel.” (Genèse 28: 16-17). |
Contrairement à son père Isaac (Its’hak) qui alla consciemment prier en s’isolant de tous (Genèse 24: 63), Jacob (Ya’akov) est touché et saisi par le Divin[2]:
יא וַיִּפְגַּע בַּמָּקוֹם וַיָּלֶן שָׁם כִּי-בָא הַשֶּׁמֶשׁ וַיִּקַּח מֵאַבְנֵי הַמָּקוֹם וַיָּשֶׂם מְרַאֲשֹׁתָיו וַיִּשְׁכַּב בַּמָּקוֹם הַהוּא. (בראשית כח: יא) | 11 Puis il [Jacob] s’unit au lieu où il établit son gîte, parce que le soleil était couché. Il prit une des pierres de l’endroit, en fit son chevet et passa la nuit dans ce lieu. (Genèse 28 : 11) |
[1] Parashat VaYetse: Genèse 8: 10-32: 3.
Shabbat shalom !
Haïm Ouizemann