L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat VaYigash, Juda, «je suis le garant de mon frère!»

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Joseph se fait reconnaître par ses frères, lauréat du deuxième prix de Rome 1863 Léon-Pierre-Urbain Bourgeois musée des Beaux-Arts de Nevers
Joseph se fait reconnaître par ses frères,
lauréat du deuxième prix de Rome 1863
Léon-Pierre-Urbain Bourgeois
musée des Beaux-Arts de Nevers

Dans notre parasha, YéHOuDaH  (Juda), fils de LéAH, se porte garant de son frère BéNyaMiN (Benjamin), fils de Ra’HeL, devant le vice-roi d’Egypte, ignorant encore qu’il s’agit de son frère Joseph.

לב כִּי עַבְדְּךָ עָרַב אֶת-הַנַּעַר מֵעִם אָבִי לֵאמֹר  אִם-לֹא אֲבִיאֶנּוּ אֵלֶיךָ וְחָטָאתִי לְאָבִי כָּל-הַיָּמִים. (בראשית מד: לב).ש

32 Car ton serviteur [YéHOuDaH] s’est porté garant de ce jeune adolescent à son père, en disant: ‘Si je ne te le ramène, je serai coupable à jamais envers mon père.’ (Genèse 44: 32).[1]

Effectivement, YéHOuDaH s’était présenté comme le garant de son frère BéNyaMiN  face à leur père YaAKoV (Jacob) qui s’était montré plus que réticent à voir BeNYaMiN s’éloigner de lui, lui qui restait le seul fils de Ra’HeL, la femme tant aimée. Pourtant, YaAKoV se laisse convaincre par YéHOuDaH qui lui assure de ramener BéNyaMiN, le fils de la femme aimée (et rivale de sa propre mère), sain et sauf:

ט אָנֹכִי אֶעֶרְבֶנּוּ מִיָּדִי תְּבַקְשֶׁנּוּ אִם-לֹא הֲבִיאֹתִיו אֵלֶיךָ וְהִצַּגְתִּיו לְפָנֶיךָ וְחָטָאתִי לְךָ כָּל-הַיָּמִים. (בראשית מג: ט).ש

9 C’est moi qui suis garant de lui, c’est à moi que tu le redemanderas: si je ne te le ramène et ne le remets en ta présence, je me déclare coupable à jamais envers toi. (Genèse 43: 9).

 

Or, pour achever de convaincre définitivement YaAKoV, YéHouDaH emploie l’expression: « מִיָּדִי תְּבַקְשֶׁנּוּ , c’est à moi que tu le redemanderas…». Ce n’est point la première fois que nous rencontrons la racine ב.ק.ש./B.Q.Sh. «demander». En effet, YoSePh, répondant à «un homme» (Genèse 37: 15), lui tient ces propos:

טז וַיֹּאמֶר אֶת-אַחַי אָנֹכִי מְבַקֵּשׁ הַגִּידָה-נָּא לִי אֵיפֹה הֵם רֹעִים. (בראשית לז: טז).ש

16 Il répondit: “Ce sont mes frères que je cherche. Veuille me dire où ils font paître leur bétail.” (Genèse 37: 16)

Cette racine ב.ק.ש. revêt également la signification de «re-chercher». De fait, il semble que YaAKoV «recherchera»  auprès de YéHouDaH son fils BéNYaMiN, exactement comme YoSePh a un jour «recherché» ses frères auprès de cet «homme» inconnu qui lui a montré le chemin vers ses frères, ce qui n’est point sans rappeler par la négative CaIN qui, outre le fait qu’il ment, puisqu’il sait très bien où est son frère, marque une profonde indifférence quant au sort de ce dernier:

ט וַיֹּאמֶר יְהוָה אֶל-קַיִן אֵי הֶבֶל אָחִיךָ וַיֹּאמֶר לֹא יָדַעְתִּי הֲשֹׁמֵר אָחִי אָנֹכִי. (בראשית ד: ט).ש

9 L’Éternel dit à Caïn: “Où est Abel ton frère?” Il répondit: “Je ne sais; suis-je le gardien de mon frère?”(Genèse 4: 9).

D’une certaine manière, CaIN (Caïn) reporte la responsabilité de la mort de son frère HéVeL (Abel) sur l’Eternel! En effet, il semble affirmer: «Si Toi, Tu n’as pas gardé mon frère, comment puis-je, moi, le garder?». Le gardien, le garant de la Vie d’autrui n’est-il point l’Eternel, qui a créé le monde et toutes ses créatures?

Contrairement à CaIN niant a posteriori son acte fratricide, YéHOuDaH  est, quant à lui, a priori disposé à se porter responsable de son frère BeNyaMiN. YéHOuDaH, l’antithèse de CaIN, s’oppose à la volonté de certains de ses frères d’assassiner YoSePh et leur rappelle qu’il est «leur frère, leur chair»:

כז לְכוּ וְנִמְכְּרֶנּוּ לַיִּשְׁמְעֵאלִים וְיָדֵנוּ אַל-תְּהִי-בוֹ כִּי-אָחִינוּ בְשָׂרֵנוּ הוּא וַיִּשְׁמְעוּ אֶחָיו. (בראשית לז: כז).ש

27 Venez, vendons-le aux Ismaélites et que notre main ne soit pas sur lui, car il est notre frère, notre chair!” Et ses frères consentirent. (Genèse 37: 27)

Les frères de YoSePh emploient le terme de « אָחִינוּ/ notre frère» de manière récurrente (Genèse 42: 21; 43: 4) à propos de YoSePh, mais aussi lorsque les frères, tous fils de Leah, Zilpa et Bilha, se tiennent face à leur père YaAKoV pour le convaincre de laisser BéNYiaMIN voyager avec eux (Genèse 44: 26 ).

Or, RéOuVeN avait été le premier, avant YéHouDaH, à essayer de persuader YaAKoV de lui confier BéNYaMiN (Genèse 42: 37). Pourquoi donc le Patriarche YaAKOV refuse-t-il à son fils RéOuVeN de prendre en charge BeNYaMiN, alors qu’il l’accepte de YéHOuDaH? Il faut préciser que RéOuVeN se propose tout de suite après le retour des frères au Pays, alors que les vivres sont encore en abondance et l’avenir, incertain mais prometteur (Genèse 42: 29-38), tandis que YéHouDaH s’est proposé au moment où il n’y avait plus de vivres et que la famine sévissait encore. YaAKoV a donc été, d’une certaine manière, face à un dilemme, sans possibilité de refuser (Genèse 43: 2-9).

Cependant, il se trouve que YéHouDaH a une conscience aigüe du lien fraternel noué par le père qui est le même (Genèse 37: 27), lien de chair plus fort que la différence amenée par des mères différentes. C’est cet argument du lien de chair qui décidera les frères à abandonner leur projet de meurtre de leur frère YoSePh.  Mais deux autres raisons pourraient expliquer la décision de YaAKOV de choisir YéHOuDaH et non point RéOuVeN:

לז וַיֹּאמֶר רְאוּבֵן אֶל-אָבִיו לֵאמֹר, אֶת-שְׁנֵי בָנַי תָּמִית אִם-לֹא אֲבִיאֶנּוּ אֵלֶיךָ תְּנָה אֹתוֹ עַל-יָדִי וַאֲנִי אֲשִׁיבֶנּוּ אֵלֶיךָ. (בראשית מב: לז).ש

37 Ruben dit à son père: “Tu feras mourir mes deux fils, si je ne te le ramène! Confie-le à mes mains et je le ramènerai près de toi.” (Genèse 42: 37)

Alors que YéHOuDaH se porte garant, lui-même, en sa propre personne, «אֶעֶרְבֶנּוּ je me porte garant de lui» (Genèse 43: 9) témoignant de sa responsabilité personnelle envers son frère cadet BéNyaMiN, RéOuVeN, quant à lui, prend ses propres enfants en tant que garants, et non point lui-même. De plus, il les ferait mourir! « שְׁנֵי בָנַי תָּמִית tu feras mourir mes deux fils». Autrement dit le poids de l’échec éventuel de RéOuVeN serait doublement, voire triplement porté par son père YaAKOV? En effet, non seulement il devrait faire le deuil de BéNYaMiN, mais en plus, il mettrait à mort ses deux petits-fils!? Par ailleurs, YéHouDaH prendrait le non retour de BéNYaMiN chez son père comme une grave faute envers son père  «  וְחָטָאתִי לְךָ, je me déclare coupable à jamais envers toi» (Genèse 43:9), ce qui n’apparaît point chez RéOuVeN. YéHOuDaH convainc définitivement YaAKoV en avançant comme argument que lui confier BeNYaMiN signifie la Vie pour lui et sa famille:

ח וַיֹּאמֶר יְהוּדָה אֶל-יִשְׂרָאֵל אָבִיו שִׁלְחָה הַנַּעַר אִתִּי וְנָקוּמָה וְנֵלֵכָה וְנִחְיֶה וְלֹא נָמוּת גַּם-אֲנַחְנוּ גַם-אַתָּה גַּם-טַפֵּנוּ. ש

8 Juda dit à Israël, son père: “Laisse aller le jeune homme avec moi, que nous puissions nous disposer au départ; et nous vivrons au lieu de mourir, nous et toi et nos familles.(Gen. 43: 8)

A cette notion fondamentale de Vie s’ajoute l’empathie, le pouvoir de ressentir en son for intérieur la souffrance d’autrui comme celle que dut endurer YoSePh, venant de ses propres frères. Ainsi, il ne peut imaginer la douleur de son père si BéNYaMiN en venait à rester en Egypte (Genèse 44: 34)!  Or, il se propose de remplacer BéNYaMiN pour permettre à son père de le revoir, au prix de ce que lui-même ne revoie jamais son père, sa famille, son Pays!

לג וְעַתָּה יֵשֶׁב-נָא עַבְדְּךָ תַּחַת הַנַּעַר עֶבֶד לַאדֹנִי וְהַנַּעַר יַעַל עִם-אֶחָיו. (בראשית מד: לג).ש

33 Donc, de grâce, que ton serviteur, à la place du jeune homme, reste esclave de mon seigneur et que le jeune homme reparte avec ses frères (Genèse 44: 33)

Le terme « תַּחַת/ à la place de…» littéralement: «sous» rappelle que SHeT – le Père de l’Humanité- a été conçu «à la place» de son frère HeVeL (Abel) prématurément disparu car assassiné:

כה וַיֵּדַע אָדָם עוֹד אֶת-אִשְׁתּוֹ וַתֵּלֶד בֵּן וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ שֵׁת כִּי שָׁת-לִי אֱלֹהִים זֶרַע אַחֵר תַּחַת הֶבֶל כִּי הֲרָגוֹ קָיִן. (בראשית ד: כה).ש

25 Adam connut de nouveau sa femme; elle enfanta un fils, et lui donna pour nom Seth: “Parce que Dieu m’a accordé une nouvelle postérité au lieu d’Abel, Caïn l’ayant tué.” (Genèse 4: 25).

Ainsi, YéHouDaH est prêt à mourir en quelque sorte, car emprisonné, son père et sa famille ne le revoyant plus, exactement comme le fut (et l’est encore, à ce moment précis de notre parasha) YoSePh aux yeux de son père et de ses frères. Il est prêt à «mourir» pour que son frère, fils d’une mère rivale de sa propre mère, et, par voie de conséquence, son père vivent.

C’est alors que YoSePh se fait reconnaître par ses frères:

א וְלֹא-יָכֹל יוֹסֵף לְהִתְאַפֵּק לְכֹל הַנִּצָּבִים עָלָיו וַיִּקְרָא הוֹצִיאוּ כָל-אִישׁ מֵעָלָי וְלֹא-עָמַד אִישׁ אִתּוֹ בְּהִתְוַדַּע יוֹסֵף אֶל-אֶחָיו. (בראשית מה: א). ש

1 Joseph ne put se contenir, malgré tous ceux qui l’entouraient. Il s’écria: “Faites sortir tout le monde d’ici!” Et nul homme ne fut présent lorsque Joseph se fit connaître à ses frères. (Genèse 45: 1)

Jusqu’à présent, ni les traits physiques (l’on pourrait supposer un certain «air de famille») ni même la voix de YoSePh n’ont permis aux frères de YoSePh de le reconnaître.  Ses frères sont bien loin de l’imaginer se tenant devant eux, car ils sont intimement persuadés qu’ayant disparu depuis plus de vingt ans, il est mort.  C’est donc YoSePh qui se révèle à eux (Genèse 45: 4)! Or, cette révélation inattendue laisse les frères bouche bée d’incrédulité. Cette réapparition subite de YoSePh rappelle leur propre culpabilité: ils sont la cause de la disparition de YoSePh pour l’avoir dépouillé de sa tunique et mis dans le puits! Or, ce dernier efface immédiatement cette culpabilité en leur affirmant qu’il devait absolument descendre en Egypte pour la sauvegarde des Hébreux ses frères:

ה וְעַתָּה אַל-תֵּעָצְבוּ וְאַל-יִחַר בְּעֵינֵיכֶם כִּי-מְכַרְתֶּם אֹתִי הֵנָּה  כִּי לְמִחְיָה שְׁלָחַנִי אֱלֹהִים לִפְנֵיכֶם. (בראשית מה: ה).ש

5 Et maintenant, ne vous affligez point, ne soyez pas irrités contre vous-mêmes de m’avoir vendu pour ce pays; car c’est pour la sauvegarde que le Seigneur m’y a envoyé avant vous. (Genèse 45: 5)

De fait, YoSePh suggère qu’en le jetant dans le puits, ses frères lui ont rendu service, et non seulement à lui, mais aussi à eux-mêmes et à toute leur famille! YoSePh voit donc son séjour en Egypte comme une mission («שְׁלָחַנִי, il m’a envoyé») pour la survie («לְמִחְיָה, pour la survie») de son peuple, tout comme YéHouDaH voit sa mission de rapporter du blé au Pays pour survivre («וְנִחְיֶה, et nous vivrons») à la famine comme une mission («שִׁלְחָה, envoie»):

ח וַיֹּאמֶר יְהוּדָה אֶל-יִשְׂרָאֵל אָבִיו שִׁלְחָה הַנַּעַר אִתִּי וְנָקוּמָה וְנֵלֵכָה וְנִחְיֶה וְלֹא נָמוּת גַּם-אֲנַחְנוּ גַם-אַתָּה גַּם-טַפֵּנוּ. (בראשית מג: ח).ש

8 Juda dit à Israël, son père: “Laisse aller le jeune homme avec moi, que nous puissions nous disposer au départ; et nous vivrons au lieu de mourir, nous et toi et nos familles. (Genèse 43: 8)

Ces deux dénominateurs communs (la mission et la survie) dévoilent ainsi la vocation commune de YoSePh et YeHouDah (« ח.י.י. / vivre et ש.ל.ח.   / envoyer») qui, pourtant issus des deux Matriarches, au départ rivales, LéAH et Ra’HeL,  finissent par se rencontrer en mettant l’accent sur leur origine paternelle commune: YaAKoV. La vocation des fils de YA’aKoV est de transformer la mort en vie, la haine en amour et l’hostilité en fraternité.

Après  que YéHOuDaH se soit porté garant de son frère BéNYiaMiN, après que YoSePh se soit révélé à ses frères afin de reconstruire le tissu familial, l’âme de YaAKoV peut revivre:

כז וַתְּחִי רוּחַ יַעֲקֹב אֲבִיהֶם. (בראשית מה: כז).ש

27 et la vie revint au cœur de Jacob leur père. (Genèse 45: 27).

Il s’appelle alors Israël (Genèse 45: 28).   YaAKoV est maintenant prêt à bénir Pharaon, l’ensemble de l’Egypte et l’Humanité:

ז וַיָּבֵא יוֹסֵף אֶת-יַעֲקֹב אָבִיו וַיַּעֲמִדֵהוּ לִפְנֵי פַרְעֹה וַיְבָרֶךְ יַעֲקֹב אֶת-פַּרְעֹה. (בראשית מז: ז).ש

7 Joseph introduisit Jacob son père et le présenta à Pharaon; et Jacob bénit Pharaon. (Genèse 47: 7)

 

[1] Parashat VaYigash, Genèse 44: 18- 47: 27

 

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Shabbat shalom !

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Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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