
Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
La parashat VaYshla’h[1] doit sa célébrité à au moins deux évènements majeurs: le premier, le combat de Jacob contre l’homme de la nuit au passage du Yabok et les retrouvailles fraternelles entre Jacob et son frère Esaü. A ces deux épisodes s’ajoute celui de Dina, la seule fille issue du lien entre Jacob et Léa, violée par le fils d’un notable de Shekhem (Sichem).
Dina se singularise d’entre ses frères par le fait que pour Léa sa mère son nom est insignifiant, alors qu’elle avait donné un sens à chacun des noms de ses fils.
כא וְאַחַר יָלְדָה בַּת וַתִּקְרָא אֶת-שְׁמָהּ דִּינָה. (בראשית ל: כא) | 21 Et plus tard elle [Léa] enfanta une fille et elle la nomma Dina. (Genèse 30: 21) |
Le sens du nom Dina ne nous est donné qu’ultérieurement par le biais du contexte biblique:
ב וַיַּרְא אֹתָהּ שְׁכֶם בֶּן-חֲמוֹר הַחִוִּי נְשִׂיא הָאָרֶץ וַיִּקַּח אֹתָהּ וַיִּשְׁכַּב אֹתָהּ וַיְעַנֶּהָ. (בראשית לד: ב) | 2 Et elle fut remarquée de Sichem, fils de ‘Hamor le Hévéen, gouverneur du pays; il la prit et la coucha et lui fit violence. (Genèse 34: 2). |
De nombreux traducteurs, dont Samuel Cahen et André Chouraqui, traduisent le verbe וַיְעַנֶּהָ/ VaYe’aNeHa par “faire violence”. Quant à Louis Second et John Darby, ils ont rendu ce verbe respectivement par “il la déshonora”, “il l’humilia”.
Si ces deux dernières traductions se rapprochent du sens que ce verbe וַיְעַנֶּהָ/ VaYe’aNeHa sous-entend, le verbe “violer” paraît plus fort que “violenter” (même si ce verbe peut signifier “violer”). En effet, la racine ע.נ.י./ Ayin.N.Y. du verbe וַיְעַנֶּהָ/ VaYe’aNeHa signifie à la forme verbale intensive du piel “abuser, torturer, violer” lorsqu’il s’agit d’une femme.
Deux sources bibliques confirment cette traduction :
ה וְיַעֲקֹב שָׁמַע כִּי טִמֵּא אֶת-דִּינָה בִתּוֹ וּבָנָיו הָיוּ אֶת-מִקְנֵהוּ בַּשָּׂדֶה וְהֶחֱרִשׁ יַעֲקֹב עַד-בֹּאָם. (בראשית לד: ה) | 5 Et Jacob apprit qu’on avait souillé Dina, sa fille. Ses fils étaient avec son bétail, dans les champs; Jacob se tut jusqu’à leur retour. (Genèse 34: 5) |
“Souiller une femme” dans la Bible signifie la violer, et cela implique l’extinction de l’âme de celle qui a été violée, sachant qu’autrefois, une femme violée n’avait plus aucune chance d’avoir un avenir et qu’elle était condamnée à rester cloîtrée chez elle pour le restant de sa vie.
Guy de Maupassant a écrit sa nouvelle “Madame Baptiste” sur la base d’un fait divers réel qui s’est déroulé au XIXe siècle en Normandie. Une petite fille de 11 ans a été violée par un domestique, Baptiste. Le domestique a fini au bagne, mais les gens des environs ont surnommé cette petite fille “Madame Baptiste”. Un fonctionnaire de la préfecture l’a pourtant épousée, mais à la première cérémonie officielle à laquelle elle a participé, son passé l’a rattrapée, les gens la surnommant toujours “Madame Baptiste” par dérision. Elle s’est suicidée. Cette nouvelle montre avec acuité ce que violer une femme voulait dire, il n’y a pas si longtemps encore.
La seconde référence fait mention de l’épisode tragique lors duquel Tamar, la fille de David supplie son propre frère Amnon de ne pas la violer, de ne surtout pas abuser d’elle. Rien n’y fait:
יא וַתַּגֵּשׁ אֵלָיו לֶאֱכֹל וַיַּחֲזֶק-בָּהּ וַיֹּאמֶר לָהּ בּוֹאִי שִׁכְבִי עִמִּי אֲחוֹתִי. יב וַתֹּאמֶר לוֹ אַל-אָחִי אַל–תְּעַנֵּנִי כִּי לֹא-יֵעָשֶׂה כֵן בְּיִשְׂרָאֵל אַל-תַּעֲשֵׂה אֶת- הַנְּבָלָה הַזֹּאת. (שמואל ב, יג: יא-יב) | 11 Comme elle lui présentait à manger, il la saisit en lui disant: “Viens coucher avec moi, ma sœur. 12 Non, mon frère, dit-elle, ne me viole pas, ce n’est pas ainsi qu’on agit en Israël. Ne commets pas une telle indignité! (II Samuel 13: 11-12). |
Le viol constitue un crime impardonnable dénommé / הַנְּבָלָה HaNeVaLah signifiant “l’infamie, l’indignité”. Ce même terme recouvre également le sens de “cadavre”. Tamar tente éperdument de dissuader Amnon de passer à l’acte du viol qui équivaut non seulement au déshonneur de la femme (חֶרְפָּתִי “ma honte” II Samuel 13: 13) mais aussi à l’extinction de son âme.
En vain :
יד וְלֹא אָבָה לִשְׁמֹעַ בְּקוֹלָהּ וַיֶּחֱזַק מִמֶּנָּה וַיְעַנֶּהָ וַיִּשְׁכַּב אֹתָהּ. (שמואל ב, יג: יד) | 14 Mais il ne voulut pas écouter sa voix, il la tint de force, la viola et coucha avec elle. (II Samuel 13: 14) |
Si le meurtre constitue une atteinte à la vie physique d’une personne, le viol, quant à lui, porte atteinte à la source même de la Vie et provoque l’extinction de l’âme. Par ailleurs, il est toujours lié dans le texte biblique au fait de faire taire la femme. Cette notion de mutisme forcé se retrouve dans l’un des passages les plus sordides du TaNaKh, le passage de la פִילֶגֶשׁ בַּגִּבְעָה/ la concubine de Guiv’ah mentionnant l’horrible viol se terminant par l’assassinat de la concubine d’un Levi.
כה וְלֹא-אָבוּ הָאֲנָשִׁים לִשְׁמֹעַ לוֹ וַיַּחֲזֵק הָאִישׁ בְּפִילַגְשׁוֹ וַיֹּצֵא אֲלֵיהֶם הַחוּץ וַיֵּדְעוּ אוֹתָהּ וַיִּתְעַלְּלוּ-בָהּ כָּל-הַלַּיְלָה עַד-הַבֹּקֶר וַיְשַׁלְּחוּהָ בעלות (כַּעֲלוֹת) הַשָּׁחַר. (שופטים יט: כה) | 25 Mais on ne voulut pas l’écouter. Alors le voyageur prit sa concubine et la leur abandonna dans la rue. Et eux ils la connurent et abusèrent d’elle toute la nuit et ne la lâchèrent que le matin, comme l’aube se levait. (Juges 19: 25) |
Cet épisode provoque la guerre fratricide entre toutes les tribus d’Israël et la tribu de Benjamin, d’où sont originaires ceux qui ont commis ce crime. Le nom de Dina signifie “Justice, Rigueur” (Racine ד.י.נ./ D.I.N.) car toutes les fois où une femme est cruellement abusée, les forces de rigueur et de destruction s’abattent sur le monde.
En somme, la femme devrait pouvoir détenir un droit absolu sur son corps car nul n’est en droit d’atteindre un tant soit peu à son intégrité physique et morale. La matrice féminine constitue le Saint des saints dans lequel s’élabore et se forme mystérieusement la Vie. La matrice Re’HeM/ רֶחֶם est à la source du mot “Ra’HaMiM” רַחֲמִים signifiant “Miséricordes, Amours”.
Effectivement, à l’origine, Adam le premier Homme nomme sa femme ‘Hava (Eve) car elle est “la mère de tous les Vivants”.
כ וַיִּקְרָא הָאָדָם שֵׁם אִשְׁתּוֹ, חַוָּה: כִּי הִוא הָיְתָה, אֵם כָּל-חָי. (בראשית ג: כ) | 20 L’homme appela sa compagne “Ève” parce qu’elle fut la mère de tous les vivants. (Genèse 3: 20) |
De plus, dans le texte biblique, chaque fois qu’une femme apparaît, c’est l’Histoire qui est engendrée, entrecoupée par les laconiques listes de générations où rien ne se passe car aucune femme n’est active dans l’Histoire en marche.
Le viol est considéré par les violeurs comme un pouvoir absolu sur la femme comme en témoignent les évènements du 7 octobre 2023 lorsque les terroristes du Hamas ont violé systématiquement de nombreuses femmes juives dans les localités et les kibboutzim du Sud d’Israel. C’est la consécration de la “malédiction” qui règne entre l’Homme et la femme depuis qu’ils ont enfreint la Loi éternelle qui faisait d’eux des êtres égaux au Gan Eden, non seulement devant l’Eternel, mais aussi entre eux, dans le respect et l’amour mutuels.
טז אֶל-הָאִשָּׁה אָמַר הַרְבָּה אַרְבֶּה עִצְּבוֹנֵךְ וְהֵרֹנֵךְ בְּעֶצֶב תֵּלְדִי בָנִים וְאֶל-אִישֵׁךְ תְּשׁוּקָתֵךְ וְהוּא יִמְשָׁל-בָּךְ. (בראשית ג: טז) | 16 A la femme il dit: “J’aggraverai tes labeurs et ta grossesse; tu enfanteras avec douleur; la passion t’attirera, vers ton époux, et lui te dominera.” (Genèse 3: 16) |
C’est seulement ensemble, main dans la main, dans l’écoute et le respect, dans la complicité et la joie, et non point sous l’emprise de la force et de la violence que la femme peut réellement être “une aide pour l’homme” (ou a contrario “une aide contre l’homme”) et amener l’Homme à réaliser sa vocation de faire de la Terre un “gan Eden”:
יח וַיֹּאמֶר יְהוָה אֱלֹהִים לֹא-טוֹב הֱיוֹת הָאָדָם לְבַדּוֹ אֶעֱשֶׂה-לּוֹ עֵזֶר כְּנֶגְדּוֹ. (בראשית ב: יח) | 18 Et l’Éternel-Seigneur dit: “Il n’est pas bon que l’homme soit isolé; je lui ferai une aide face à lui.” (Genèse 2: 18) |
[1] Parashat VaYshla’h: Genèse 32: 4-36: 43.
Shabbat shalom !
Haïm Ouizemann
Une réponse
Gratitude pour cet enseignement tellement minutieux Haïm Ouizemann.
Shabbat Shalom pour vous et les vôtres .
Martine Ravasini.