L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Yitro, tu n’assassineras point

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La parashat Yitro[1] est probablement la plus célèbre des péricopes bibliques. Les Dix Paroles – plus communément connues comme les Dix Commandements – y sont évoquées. Ces Dix Paroles rapportées par le Prophète des prophètes Moïse constitue la Constitution spirituelle et sociale du peuple d’Israël, le fondement même de la Maison d’Israël et d’une grande partie de l’Humanité.

La sixième Parole retiendra notre attention dans cette étude :

יב לֹא תִרְצָח (שמות כ: יב)12 (6) Tu n’assassineras point (Exode 20 : 12).


Le plus grand des défis auquel se trouve confrontée l’Humanité est celui du meurtre. En effet, la Tora débute par un fratricide, celui d’Abel par Caïn, qui conditionnera la suite de l’Histoire biblique. Ishmaël tente de tuer son frère Its’hak, Esaü promet de verser les sangs de son frère Ya’akov puis les frères de Yoseph pensent initialement faire disparaître ce dernier.

Le livre de l’Exode, à son tour, relate l’assassinat des premiers-nés hébreux et la persécution des fils d’Israël qui, réduits à la condition d’esclaves par la puissance pharaonique, peuvent à tout moment disparaître de l’Histoire humaine. Il semble que l’Histoire des hommes, depuis la nuit des temps, n’est constituée que de guerres, de génocides et de crimes de guerre.

Les Sages d’Israël enseignent, néanmoins, que l’assassinat n’est pas toujours nécessairement le fait de supprimer des vies humaines.

D’autres cas peuvent être interprétés comme des actes d’assassinat.

Quels sont-ils ?

Les Sages d’Israël s’accordent sur l’idée que l’humiliation d’autrui commise en public équivaut à un crime :

«רַבִּי אֶלְעָזָר הַמּוּדָעִי אוֹמֵר… וְהַמַּלְבִּין פְּנֵי חֲבֵרוֹ בָּרַבִּים… אֵין לוֹ חֵֽלֶק לָעוֹלָם הַבָּא.» (פרקי אבות ג: יא)

« Rabbi Eléazar de Modi’ine dit : « Celui …qui humilie son prochain en public… n’a pas de part au Monde Futur. » (Maximes des Pères 3 : 11).

La traduction littérale de ce passage des Maximes des Pères est : « celui qui conduit le visage de son prochain à devenir blanc (par la honte causée) ». Autrement dit, humilier son prochain en public est l’équivalent de verser son sang au point de rendre le visage de ce dernier blanc comme pourrait l’être un corps dénué de vie :

«הַמַּלְבִּין פְּנֵי חֲבֵרוֹ בָּרַבִּים כְּאִילּוּ שֹׁפֵךְ דָּמִים»

“Celui qui humilie son prochain en public, c’est comme s’il avait versé les sangs” (Talmud de Babylone, Traité Baba Metsia 58 : b).

Pour les Sages, l’humiliation publique n’est autre qu’un assassinat d’ordre social. Cette humiliation dans nos sociétés est loin d’être rare. Nous la retrouvons dans le milieu du travail où des employeurs autoritaires et cruels n’hésitent point à humilier leurs subalternes, dans les media et les réseaux sociaux qui, transformés en « tribunaux publics », sont susceptibles, sur le fait de rumeurs ou d’informations tronquées et biaisées, de briser l’honneur d’autrui.

Si la parole a le pouvoir de construire, elle peut être aussi meurtrière :

ד  מַרְפֵּא לָשׁוֹן עֵץ חַיִּים וְסֶלֶף בָּהּ שֶׁבֶר בְּרוּחַ. (משלי טו: ד)4 Une langue bienveillante est un arbre de vie ; mais perfide, elle brise le cœur. (Proverbes 15 : 4).

Ainsi Yoseph prend-il le plus grand soin, si tant est qu’il ait raison, de ne jamais humilier ses propres frères publiquement, dès lors qu’il juge le moment opportun de se révéler à eux :

א וְלֹא-יָכֹל יוֹסֵף לְהִתְאַפֵּק לְכֹל הַנִּצָּבִים עָלָיו וַיִּקְרָא הוֹצִיאוּ כָל-אִישׁ מֵעָלָי וְלֹא-עָמַד אִישׁ אִתּוֹ בְּהִתְוַדַּע יוֹסֵף אֶל-אֶחָיו. (בראשית מה: א)1 Et Joseph ne put se contenir, face à tous ceux qui l’entouraient. Il s’écria : “Faites sortir tout le monde hors de ma vue !” Et nul homme ne fut présent lorsque Joseph se fit connaître à ses frères. (Genèse 45 : 1).

A cette notion d’humiliation s’ajoute la notion de faux témoignage. Le roi Achav fait assassiner Navot HaYizraeli sur un faux témoignage, pour prendre possession de son terrain qu’il refusait de lui vendre :

י וְהוֹשִׁיבוּ שְׁנַיִם אֲנָשִׁים בְּנֵי-בְלִיַּעַל נֶגְדּוֹ וִיעִדֻהוּ לֵאמֹר בֵּרַכְתָּ אֱלֹהִים וָמֶלֶךְ וְהוֹצִיאֻהוּ וְסִקְלֻהוּ וְיָמֹת. (מלכים א, כא: י)10 Et placez en face de lui deux individus sans scrupules, qui déposeront contre lui, en disant : Tu as outragé le Seigneur et le Roi. Puis on le fera sortir, et on le tuera à coups de pierres.” (I Rois 21 : 10).

C’est ce même faux témoignage contre les plus démunis de la société que dénonce le prophète Isaïe :

יז לִמְדוּ הֵיטֵב דִּרְשׁוּ מִשְׁפָּט אַשְּׁרוּ חָמוֹץ שִׁפְטוּ יָתוֹם רִיבוּ אַלְמָנָה. (ישעיהו א: יז)17 Apprenez à bien agir, recherchez la justice ; rendez le bonheur à l’opprimé, faites droit à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. (Isaïe 1 : 17).

Le déni de justice équivaut à verser le sang d’innocents !

טו וּבְפָרִשְׂכֶם כַּפֵּיכֶם אַעְלִים עֵינַי מִכֶּם גַּם כִּי-תַרְבּוּ תְפִלָּה אֵינֶנִּי שֹׁמֵעַ יְדֵיכֶם דָּמִים מָלֵאוּ. (ישעיהו א: טו)15 Quand vous étendez les mains, je détourne de vous mes regards ; dussiez-vous accumuler les prières, j’y resterais sourd : vos mains sont pleines de sangs. (Isaïe 1 : 15).

Puis les Sages d’Israël ajoutent aux notions d’humiliation publique et de faux témoignage l’idée que refuser de mettre au monde des enfants équivaut à verser volontairement le sang :

«תַּנְיָא, רַבִּי אֱלִיעֶזֶר אוֹמֵר: כׇּל מִי שֶׁאֵין עוֹסֵק בִּפְרִיָּה וּרְבִיָּה — כְּאִילּוּ שׁוֹפֵךְ דָּמִים, שֶׁנֶּאֱמַר: ״שׁוֹפֵךְ דַּם הָאָדָם בָּאָדָם דָּמוֹ יִשָּׁפֵךְ״, וּכְתִיב בָּתְרֵיהּ: ״וְאַתֶּם פְּרוּ וּרְבוּ״. רַבִּי יַעֲקֹב אוֹמֵר: כְּאִילּוּ מְמַעֵט הַדְּמוּת, שֶׁנֶּאֱמַר: ״כִּי בְּצֶלֶם אֱלֹהִים עָשָׂה אֶת הָאָדָם״, וּכְתִיב בָּתְרֵיהּ: ״וְאַתֶּם פְּרוּ וְגוֹ׳״. בֶּן עַזַּאי אוֹמֵר: כְּאִילּוּ שׁוֹפֵךְ דָּמִים וּמְמַעֵט הַדְּמוּת, שֶׁנֶּאֱמַר: ״וְאַתֶּם פְּרוּ וּרְבוּ״»

« Il est rapporté que Rabbi Eliezer enseigne : celui qui refuse de mettre des enfants au monde, c’est comme s’il versait les sangs, comme il est dit :  “Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé” (Genèse 9 : 6) et juste après : “vous, fructifiez et multipliez-vous” (Genèse 9 : 7). Rabbi Jacob enseigne : “c’est comme s’il réduisait l’image (de l’Eternel) comme il est dit : “car c’est à l’image du Seigneur qu’il créa l’Homme” (Genèse 9 : 6) et “vous, fructifiez et multipliez-vous” (Genèse 9 : 7). Ben Azzaï enseigne : “c’est comme s’il versait les sangs et réduisait l’image (de l’Eternel)”.» (Talmud de Babylone, Traité Yevamot 63 : b).

L’Homme n’est-il pas libre de ses actes ? En quoi le fait de refuser des enfants doit, selon ces mêmes Sages, être considéré comme grave au point d’être comparé à un assassinat ? Les Sages ne font-ils point là preuve d’extrémisme ?

Les Sages s’opposent à l’idée de ne point vouloir mettre au monde une descendance car selon eux, la vocation première de tout être humain consiste à poursuivre et à réparer la Création divine inachevée. L’Homme est responsable de l’avenir de la Planète par sa descendance et le savoir qu’il est capable de lui transmettre.

Tous les êtres sont dignes d’être respectés aussi bien les hommes que les animaux :

ט  טוֹב-יְהוָה לַכֹּל  וְרַחֲמָיו עַל-כָּל-מַעֲשָׂיו. (תהלים קמה: ט)9 L’Eternel est bon pour tous, sa pitié s’étend à toutes ses créatures. (Psaume 145 : 9).

[1] Parashat Yitro: Exode 18 : 1-20 : 22.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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