
Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.
La parashat Qedoshim[1] met en garde contre la pratique du spiritisme et de la divination.
לא אַל-תִּפְנוּ אֶל-הָאֹבֹת וְאֶל-הַיִּדְּעֹנִים אַל-תְּבַקְשׁוּ לְטָמְאָה בָהֶם אֲנִי יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם. (ויקרא יט:לא) | 31 Ne vous tournez point vers les spirites [medium] ni les devins ; n’aspirez pas à vous rendre impurs par ces pratiques: je suis l’Éternel votre Seigneur (Lévitique 19:31) |
Le terme הָאֹבֹת/HaOvot signifie “nécromancien, spirite” ou “medium”. Le spirite détient le pouvoir d’entrer en contact avec les morts et de les faire parler afin qu’ils délivrent un message aux vivants. Dans la Bible, “אוֹב”/Ov fait référence soit à un objet (comme un puits, une fosse ou un récipient) censé servir de passage pour les esprits, soit à la pratique de la nécromancie elle-même, c’est-à-dire l’invocation des morts pour obtenir des révélations ou des conseils d’ordre surnaturel. Les participants au rituel creusaient un trou dans la terre, par lequel l’esprit du mort pouvait monter du Shéol.
יט וְכִי-יֹאמְרוּ אֲלֵיכֶם, דִּרְשׁוּ אֶל-הָאֹבוֹת וְאֶל-הַיִּדְּעֹנִים הַמְצַפְצְפִים וְהַמַּהְגִּים הֲלוֹא-עַם אֶל-אֱלֹהָיו יִדְרֹשׁ בְּעַד הַחַיִּים אֶל-הַמֵּתִים. (ישעיהו ח:יט) | 19 Que si l’on vous dit: “Allez consulter nécromanciens et devins, ceux qui chuchotent et marmottent; n’est-il pas vrai que tout peuple interroge son dieu? Qu’il s’adresse aux morts en faveur des vivants?” (Isaïe 8:19) |
En France, le maître du spiritisme moderne fut Allan Kardec (1804-1869), considéré comme le fondateur et le codificateur de ce mouvement philosophique spiritualiste qui s’est développé à partir de 1857 à Paris, autour de la publication de son ouvrage majeur, Le Livre des Esprits. Les guerres de 1870 et de 1914 ont aussi marqué un regain d’intérêt pour le spiritisme, notamment auprès de familles cherchant à communiquer avec les disparus. La médiumnité, loin d’être l’apanage de la modernité, trouve son origine dans de grandes civilisations antiques comme l’Egypte des Pharaons riche d’une tradition de communication avec les morts, de magie, de divination et de rituels visant à maintenir le lien entre le monde des vivants et celui des esprits. Ces pratiques profondément ancrées dans la religion officielle et populaire structuraient la vision égyptienne de la vie et de la mort. Le Livre des Morts égyptien, dont le titre original signifie “Livre pour sortir au jour”, est un recueil de formules magiques et religieuses destiné à accompagner le défunt dans son voyage vers l’au-delà.
La Tora, quant à elle, ne fait jamais mention explicitement d’un au-delà ou d’une vie après la mort, contrairement aux Sages d’Israël qui, interprétant la source biblique, reconnaissent un monde parallèle au nôtre où reposent les âmes. Selon la tradition rabbinique, la vie ici-bas n’est qu’un vestibule (Prozdor פְרוֹזְדוֹר) avant la “grande salle ” (Traklin טְרַקְלִין) du “palais” (le monde futur) (Avot 4:16). Les Sages ont ainsi interprété et amplifié les allusions bibliques pour affirmer l’existence d’un monde parallèle où reposent les âmes, où justice et rétribution sont accomplies, et où la résurrection aura lieu à la fin des temps.
La Tora dénommée aussi ” תּוֹרָתִי… עֵץ-חַיִּים הִיא Torati… Ets ‘Haïm Hi” (“Ma Tora… est un Arbre de Vie”, Proverbes 3:2; 18) n’a d’autre but que de guider l’Homme à travers les dédales et les défis de la Vie vers des rives tranquilles et des oasis de paix.
Donc la Tora, loin de nier le pouvoir réel de ces forces mystérieuses qui relèveraient de l’imaginaire, accorde à celles-ci une réelle influence suggestive et néfaste sur la conscience humaine et enjoint impérativement de nous en écarter sous peine d’être frappés par le châtiment divin.
Pourquoi ces forces constituent-elles une menace ?
L’histoire de la sorcière avec Samuel dans la Bible est à ce propos éloquente (I Samuel, chapitre 28). Elle met en scène le roi Shaül, la nécromancienne d’Endor (aussi appelée “pythonisse d’Endor”), et le prophète Samuel, déjà décédé. Le terme pythonisse appliquée à la nécromancienne d’Endor est une traduction inspirée de la prêtresse d’Apollon pythonisse (ou Pythie) à Delphes.
Dans l’histoire de la nécromancienne d’Endor, il s’avère que si certes Samuel apparaît réellement à la demande expresse de Shaül, il ressort toutefois que ce n’est pas la sorcière qui détient le pouvoir de le faire revenir d’entre les morts. Elle s’étonne elle-même de sa venue et ne reconnaît même pas le visage de Samuel (I Samuel 28:14). Seul l’Eternel permet que Samuel apparaisse pour transmettre un message à Shaül inquiet de savoir s’il l’emportera sur ses ennemis. L’on apprend de plus que Samuel ne peut aucunement modifier le cours de l’Histoire. Si l’Eternel décide que Shaül doit échouer contre les Philistins, alors Samuel outre-tombe n’y peut rien. Un abîme incommensurable sépare les morts des vivants que rien ni personne ne peut en aucune façon combler.
Un autre roi biblique qui a fauté en consultant un nécromancien est Menasheh, roi de Juda considéré comme l’un des rois les plus mécréants qu’ait connu le peuple d’Israël. Il est dit de lui : “…et il pratiqua la nécromancie et la divination…” (2 Rois 21:6), c’est-à-dire qu’il a activement participé à la diffusion de ce culte. Josias, petit-fils de Menasheh, roi juste, éradique cette pratique cultuelle dans le cadre de la réforme spirituelle qu’il mène (2 Rois 23:24).
L’on apprend de ces passages bibliques que seuls les êtres vivants détiennent la faculté de briser les chaînes du fatalisme, de se libérer du déterminisme autant social que culturel et de tracer leur propre parcours de manière responsable. L’invocation des morts reste impuissante à réparer le monde, à le transformer afin de le rendre meilleur et plus bienveillant.
Dans le livre du Lévitique, la notion de mort/ מָוֶת Mavet est toujours synonyme de ” טֻמְאָה toum’a”, d’impureté rituelle. Au contraire, la vie est, elle, synonyme de pureté.
Quant à la divination, elle, comme la nécromancie, menace de porter une grave atteindre au principe fondamental du libre-arbitre que la Tora met en avant et de remettre ainsi en question notre responsabilité d’êtres humains face au Mal.
“הַכֹּל צָפוּי, וְהָרְשׁוּת נְתוּנָה, וּבְטוֹב הָעוֹלָם נִדּוֹן, וְהַכֹּל לְפִי רוֹב הַמַּעֲשֶׂה.” (פרקי אבות ג:טו)
“Tout est prévisible mais la liberté [de choisir] est cependant donnée; le monde est jugé par le bien qui s’y fait et tout est fonction de la majorité des [bonnes] actions.” (Maximes des Pères 3:15)
La véritable victoire des vivants sur le Temps et sur l’Espace consiste à poursuivre l’œuvre de celles et ceux qui nous ont quittés.
[1] Parashot A’harei-Mot-Qedoshim: Lévitique 16:1-20:37.
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Shabbat shalom!
Haïm Ouizemann