Au premier jour de la fête[1] de Rosh HaShana, le peuple d’Israël en son ensemble lira un extrait de la parashat VaYera[2] dans laquelle nous apprenons la naissance d’Its’hak, le rejet de Hagar et de son fils Ishmaël et le premier traité de paix biblique conclu entre Avraham et Elimelekh.
La question est de savoir la raison pour laquelle cet extrait a été choisi en ce temps de Rosh HaShana.
Il semble que la réponse réside dans l’avant-dernier verset de l’extrait :
| לג וַיִּטַּע אֶשֶׁל בִּבְאֵר שָׁבַע וַיִּקְרָא שָׁם בְּשֵׁם יְהוָה אֵל עוֹלָם. (בראשית כא: לג) | 33 Et Avraham planta un tamaris à Beer Sheva et y proclama l’Eternel, le Tout-Puissant éternel. (Genèse 21 : 33). |
Le patriarche Avraham n’est point celui qui découvre, qui invoque et révèle la Présence de l’Eternel en notre monde mais celui qui diffuse son Nom ineffable parmi les Nations. Là réside le génie d’Avraham par lequel sont bénies toutes les Familles de la terre, car telle est sa vocation. (Genèse 12 : 3).
La première figure biblique à commencer à invoquer le Nom de l’Eternel, après l’exil d’Adam et Hava, est Enosh, celui-là même qui est à l’origine de l’Humanité entière (Enoshout, אֱנוֹשׁוּת).
| כו וּלְשֵׁת גַּם-הוּא יֻלַּד-בֵּן וַיִּקְרָא אֶת-שְׁמוֹ אֱנוֹשׁ אָז הוּחַל לִקְרֹא בְּשֵׁם יְהוָה. (בראשית ד: כו) | 26 A Sheth, lui aussi, il naquit un fils ; il lui donna pour nom Énosh. Alors on commença d’invoquer le nom de l’Éternel. (Genèse 4 : 26). |
Le mérite d’Avraham est double. En effet, contrairement à Noa’h qui est resté passif après le Déluge, Avraham a d’une part poursuivi et développé l’invocation du Tétragramme parmi les Nations afin de faire connaître le règne de la Divinité Une dans le monde et d’autre part rappelle au monde frappé d’amnésie la valeur morale et spirituelle du Nom ineffable.
«וַיִּקְרָא שֵׁם וְגוֹ. עַל יְדֵי אוֹתו אֵשֶׁל נִקְרָא שְׁמוֹ שֶׁל הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא אֱלוֹהַּ לְכָל הָעוֹלָם. לְאַחַר שֶׁאוֹכְלִין וְשׁוֹתִין אָמַר לָהֶם בָּרְכוּ לְמִי שֶׁאֲכַלְתֶּם מִשֶּׁלּוֹ סְבוּרִים אַתֶּם שֶׁמִּשֶּׁלִּי אֲכַלְתֶּם מִשֶּׁל מִי שֶׁאָמַר וְהָיָה הָעוֹלָם אֲכַלְתֶּם» (רש”י על הפסוק בראשית כא: לג).
« ‘Et il appela là’ C’est grâce à ce tamaris que le nom du Saint béni soit-Il est invoqué comme le Seigneur dans le monde entier. Après leur avoir offert à manger et à boire [aux trois invités], il leur dit : ‘bénissez Celui à qui appartient ce que vous avez mangé ! Croyez-vous que ce que vous avez mangé était à moi ? Non ! Ce que vous avez mangé appartient à Celui qui a créé le monde par Sa parole !’ » (Rashi sur le verset Genèse 21 : 33).
Le commentaire de Rashi, mettant l’accent sur la matière, l’arbre planté à même la terre, n’est point sans nous rappeler la leçon apprise par Avraham lorsque Melchisédech, bénissant le patriarche, reconnaît naturellement la puissance divine aussi bien dans les cieux que sur la terre :
| יט וַיְבָרְכֵהוּ וַיֹּאמַר בָּרוּךְ אַבְרָם לְאֵל עֶלְיוֹן קֹנֵה שָׁמַיִם וָאָרֶץ. (בראשית יד: יט) | 19 Et il le bénit, en disant : “Béni soit Abram de par le Seigneur suprême, Créateur des cieux et de la terre ! (Genèse 14 : 19). |
L’un des thèmes principaux de Rosh HaShana est celui de la reconnaissance par les Hommes du Maître du monde. Dès lors que les hommes acceptent en leur for intérieur le joug divin – l’Eternel constitue la Source exclusive de tous nos bienfaits aussi bien matériels que spirituels en ce monde imparfait – alors le Roi du monde est intronisé. Il ne saurait y avoir de Roi sans sujets. Les bénédictions d’Israël associées à celles des Nations forment et ornent, à elles seules, la Couronne du Seigneur.
Les deux autres patriarches Its’hak et Ya’akov marchent sur les traces d’Avraham en invoquant et en publiant, eux aussi, le Tétragramme au monde entier :
Its’hak (Isaac)
| כה וַיִּבֶן שָׁם מִזְבֵּחַ וַיִּקְרָא בְּשֵׁם יְהוָה וַיֶּט-שָׁם אָהֳלוֹ וַיִּכְרוּ-שָׁם עַבְדֵי-יִצְחָק בְּאֵר. (בראשית כו: כה) | 25 Et il érigea en ce lieu [à Beer Sheva] un autel et proclama le nom de l’Éternel. Il y dressa sa tente et ses serviteurs y creusèrent un puits. (Genèse 26 : 25). |
Ya’akov (Jacob)
| כ וַיַּצֶּב-שָׁם מִזְבֵּחַ וַיִּקְרָא-לוֹ אֵל אֱלֹהֵי יִשְׂרָאֵל. (בראשית לג: כ) | 20 Et il y [à Shekhem] érigea un autel qu’il dénomma : “le Seigneur, Seigneur d’Israël.” (Genèse 33 : 20). |
Il faut noter que ces autels n’ont point vocation d’être un espace sacrificiel comme l’on serait tenté de le croire mais un lieu unique et particulier voué à l’évocation et à la publication du Nom divin.
La reconnaissance du Maître du monde par l’Humanité équivaut à admettre que tous les êtres ont été créés égaux et ce, quelles que puissent être leur langue, leur civilisation et leur culture respectives :
| י הֲלוֹא אָב אֶחָד לְכֻלָּנוּ הֲלוֹא אֵל אֶחָד בְּרָאָנוּ מַדּוּעַ נִבְגַּד אִישׁ בְּאָחִיו לְחַלֵּל בְּרִית אֲבֹתֵינוּ. (מלאכי ב: י) | 10 N’avons-nous pas tous un seul père ? N’est-ce pas un seul Seigneur qui nous a créés ? Pourquoi commettrions-nous une trahison l’un contre l’autre, de façon à déshonorer l’Alliance de nos pères ? (Malachie 2 : 10). |
La vocation du peuple d’Israël marchant sur les pas des Patriarches fondateurs a pour dessein de conduire l’ensemble de l’Humanité à couronner le Maître du monde :
| ט וְהָיָה יְהוָה לְמֶלֶךְ עַל-כָּל-הָאָרֶץ בַּיּוֹם הַהוּא יִהְיֶה יְהוָה אֶחָד וּשְׁמוֹ אֶחָד. (זכריה יד: ט) | 9 Et l’Eternel sera Roi sur toute la terre ; en ce jour, l’Eternel sera Un et Unique sera son nom. (Zacharie 14 : 9). |
[1] La fête de Rosh HaShana dure deux jours pleins chômés. Les Sages l’appellent « Jour long ».
[2] Genèse 21 : 1-34.
Shana tova et Shabbat shalom !
Haïm Ouizemann
