L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat BeMidbar, l’Alliance du désert- Shavouot

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Le quatrième Livre du corpus thoranique débutant par le dénombrement des fils d’Israël porte le nom de בְּמִדְבַּר סִינַי- BeMidbar (Sinaï), «dans le désert du Sinaï». En quoi cette dénomination caractérise-t-elle ce Livre?

Nous nous devons, avant tout, de remarquer que la source biblique mentionne à maintes reprises le fait que l’Éternel s’adressa  à Moïse, dans le désert de Sinaï:

א וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה בְּמִדְבַּר סִינַי בְּאֹהֶל מוֹעֵד בְּאֶחָד לַחֹדֶשׁ הַשֵּׁנִי בַּשָּׁנָה הַשֵּׁנִית לְצֵאתָם מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם לֵאמֹר (במדבר א: א).ש

1 L’Éternel parla en ces termes à Moïse, dans le désert de Sinaï, dans la tente d’assignation, le premier jour du second mois de la deuxième année après leur sortie du pays d’Egypte (Nombres 1:1 )[1]

יד וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה בְּמִדְבַּר סִינַי לֵאמֹר. (במדבר ג: יד).ש

14 L’Éternel parla à Moïse, dans le désert de Sinaï, en ces termes (Nombres 3: 14)

Cette mention n’est en rien nouvelle car déjà en Exode (19: 20) et au Livre du Lévitique (25: 1; 26: 46), l’Eternel se tourne au mont Sinaï vers son fidèle serviteur, Moïse. Pourquoi, dans ce cas, la source biblique insiste-elle, donc, une nouvelle fois sur le lieu, le  désert de Sinaï?

ב וַיִּסְעוּ מֵרְפִידִים וַיָּבֹאוּ מִדְבַּר סִינַי וַיַּחֲנוּ בַּמִּדְבָּר וַיִּחַן-שָׁם יִשְׂרָאֵל נֶגֶד הָהָר (שמות יט: ב). ש

2 Partis de Refidim, ils pénétrèrent dans le désert de Sinaï et y campèrent, Israël y campa en face de la montagne. (Exode 19: 2)

«נִיתְנָה תּוֹרָה בְּדִימוֹס, פָּרְהֶסְיָה, בְּמָקוֹם הֶפְקֵר, שֶׁאִילוּ נִיתְנָה בְּאֶרֶץ יִשׂרָאֵל, הָיוּ אוֹמְרִים לְאוּמוֹת הָעוֹלָם, אֵין לָהֶם חֶלֶק בָּה. לְפִיכָךְ נִיתְנָה בֵּמִּדְבָּר, בְּמָקוֹם הֶפְקֵר, וְכָל הָרוֹצֶה לְקָבֵּל יָבוֹא וִיקָבֵּל.» (מכילתא דרבי ישמעאל, פרשת יתרו, פרשה א’ (שמות יט, ב)ש

 «La Tora a été donnée dans un lieu vierge (littéralement «de Liberté»), public, en un lieu en friche car si Elle avait été donnée en Erets Israël, l’on aurait dit aux Nations qu’elles n’en avaient point part.  C’est la raison pour laquelle la Tora fut donnée en un lieu en friche afin que quiconque veut La recevoir vienne en jouir. » (Mekhilta DeRabbi Ismaël, Parashat Yitro sur Exode 19: 2).

Or, selon la Tradition, aucune autre nation qu’Israël n’a accepté de recevoir la Tora. Dans ce cas, l’on comprend mieux pourquoi Israël a été choisi par l’Eternel comme son fils aîné, car de fait, il est le premier parmi les Nations à avoir reçu la Tora (seulement le premier!).

יח וַיִּתֵּן אֶל-מֹשֶׁה כְּכַלֹּתוֹ לְדַבֵּר אִתּוֹ בְּהַר סִינַי שְׁנֵי לֻחֹת הָעֵדֻת לֻחֹת אֶבֶן כְּתֻבִים בְּאֶצְבַּע אֱלֹהִים.ש

18 Dieu donna à Moïse, lorsqu’il eut achevé de s’entretenir avec lui sur le mont Sinaï, les deux tables du Témoignage, tables de pierre, burinées par le doigt de Dieu. (Exode 31: 18)

Rashi commente:

ש«כְּכַלֹּתוֹ כְּתִיב חָסֵר שֶׁנִּמְסְרָה לוֹ תּוֹרָה בְּמַתָּנָה כְּכַלָּה לְחָתָן » (נדרים לח: א).ש

«Le mot כְּכַלֹּתוֹ/kekhalotho est écrit sans waw, et peut donc être lu : kekhalatho (« comme sa nouvelle épouse »): La Tora lui a été remise en cadeau, comme l’épouse à l’époux» (Nedarim 38a).[2]

Cette Tora constitue donc le contrat de mariage (כְּתֻבֶּה) entre les fils d’Israël et l’Eternel établi au mont Sinaï. De plus, cette Alliance n’a pu être scellée qu’en raison de la volonté des Hébreux de l’accomplir pleinement avant même de l’avoir comprise:

ז וַיִּקַּח סֵפֶר הַבְּרִית וַיִּקְרָא בְּאָזְנֵי הָעָם וַיֹּאמְרוּ כֹּל אֲשֶׁר-דִּבֶּר יְהוָה נַעֲשֶׂה וְנִשְׁמָע (שמות כד: ז).ש

7 Et il (Moïse) prit le livre de l’Alliance, dont il fit entendre la lecture au peuple et ils dirent: “Tout ce qu’a prononcé l’Éternel, nous l’exécuterons et comprendrons (Exode 24: 7)

Mais ce «lieu de la Parole»[3] va, selon les Sages d’Israël, favoriser la haine (שֵׂנְאָה) à l’encontre du peuple qui a pris sur lui de porter le joug des Mitsvoth (injonctions divines). Le nom de Sinaï identifié à la racine araméenne סְנֵי signifiant «haïr» (racine hébraïque: שׂ.נ.א.) révèle que l’élection d’Israël en tant que fils aîné, c’est-à-dire premier à recevoir la Tora,  au lieu d’être reconnue comme une bénédiction pour l’Humanité, comme un canal conduisant vers l’Eternel, la Paix et le Bonheur dans le monde, va constituer l’une des sources majeures de conflit entre Israël et les Nations qui en éprouvent de la jalousie (קִנְאָה, mot proche de שֵׂנְאָה) et du ressentiment.

Ainsi, l’Eternel tient, par le biais du dénombrement de ses fils dans le désert, à renouveler son témoignage de profond amour (Cf. Rashi sur Nombres 1:1)[4] et de protection à son peuple, qui, malgré ses égarements de jeunesse, demeure fondamentalement fidèle à Sa Parole. En effet, le dénombrement des Hébreux se rattachant aux douze tribus d’Israël a lieu «le premier jour du second mois de la deuxième année – le premier Yiar- après leur sortie du pays d’Egypte» (Nombres 1:1), autrement dit après l’édification du Tabernacle (Exode 40: 17), au premier  jour du premier mois, à savoir Nissan (Exode 40: 1).

Le prophète Isaïe annonce qu’adviendra une ère où le mont Sion- le mont de la pérennité d’Israël- se substituera au mont Sinaï, le mont de la fin de l’errance et de l’exil. Les Nations cesseront de haïr le peuple d’Israël dont la Capitale Une et Indivisible, Jérusalem, deviendra le centre mondial de la Paix:

ב וְהָיָה בְּאַחֲרִית הַיָּמִים נָכוֹן יִהְיֶה הַר בֵּית-יְהוָה בְּרֹאשׁ הֶהָרִים וְנִשָּׂא מִגְּבָעוֹת וְנָהֲרוּ אֵלָיו כָּל-הַגּוֹיִם. ש

2 Il arrivera, à la fin des temps, que la montagne de la maison du Seigneur sera affermie sur la cime des montagnes et se dressera au-dessus des collines, et toutes les nations y afflueront.

ג וְהָלְכוּ עַמִּים רַבִּים וְאָמְרוּ לְכוּ וְנַעֲלֶה אֶל-הַר-יְהוָה אֶל-בֵּית אֱלֹהֵי יַעֲקֹב וְיֹרֵנוּ מִדְּרָכָיו וְנֵלְכָה בְּאֹרְחֹתָיו  כִּי מִצִּיּוֹן תֵּצֵא תוֹרָה וּדְבַר-יְהוָה מִירוּשָׁלִָם.ש

3 Et nombre de peuples iront en disant: “Or çà, gravissons la montagne de l’Eternel pour gagner la maison du Dieu de Jacob, afin qu’il nous enseigne ses voies et que nous puissions suivre ses sentiers, car c’est de Sion que sort la Tora [l’Enseignement] et de Jérusalem la parole du Seigneur.” (Isaïe 2:2-3)

 

 

[1] Parashat BeMidbar, Nombres 1: 1- 4: 20

[2] Cf. Isaïe 62:5

[3] MiDBaR/ מִדְבָּר, vient de la racine דְָּבָר, «parole».

[4] «Hachem parla dans le désert de Sinaï au un du deuxième mois: C’est l’amour qu’Il leur porte qui L’incite à les compter à tout moment : Il les a comptés lorsqu’ils sont sortis d’Égypte, et de nouveau après la faute du veau d’or afin de connaître le nombre de survivants (Chemoth 38, 26), et encore une fois lorsqu’Il est venu pour faire résider sa chekhina sur eux. C’est le 1er nissan qu’a été érigé le tabernacle (Chemoth 40, 17), et Il les a comptés le 1er iyar.» (Rashi sur Nombres 1: 1).

Shabbat shalom et Sameah!

[email protected]

Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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4 réponses

  1. le mot désert en français est intéressant. venant du latin “desertus”: abandonné;
    le sens dérive vers “inculte”; mais aussi: “se séparer de” et même “négliger, manquer à ”
    Donc ce mot défini un lieu inculte, sans habitant. Mais il pouvait aussi définir une personne ruinée, dépouillée, abandonnée.

    La Tora fut donc donnée dans un lieu inculte, non cultivé. et à une personne qui a su se dépouillée d’elle-même, se dépouiller de ses certitudes, abandonner ses certitudes, une personne qui n’a plus rien et ouverte à recevoir: Moïse.

    Pour recevoir la Tora, la comprendre pleinement et la faire sienne il faut savoir “se déserter” soi-même: faire le vide total pour recevoir. Si Moïse, si de nombreux prophètes, si Jésus ont su se déserter eux-même pour recevoir ce don divin, le peuple d’Israël a de très nombreuses difficultés à “se déserter”, à “se dépouiller” pour recevoir ce don. Il n’est pas donné à tout le monde d’arriver à “se dépouiller” totalement de soi,pour recevoir.

    C’est, peut-être, cette difficulté à “se dépouiller”, à “se déserter” qui est, à l’origine du refus des Autres Nations d’accepter Israël, d’accepter le judaïsme. (Israël incapable de “se déserter” pour réellement s’ouvrir à la Tora; les Autres incapables aussi de “se déserter” pour s’ouvrir à cet enseignement??) PEUT-ÊTRE….. à réfléchir….

  2. Au vue de la situation géopolitique d’Israël, tant Israël biblique qu’Israël aujourd’hui, je ne dirai pas que les Nations jalousent les juifs, jalousent la Thora. Je crois que plutôt que dans les luttes qu’auront à mener les Israélites, puis les Juifs d’Israël il y a la réalité d’une terre de passage qui suscite les convoitises. Il semblerait que le peuple élu de Dieu veut ignorer la particularité de Canaan: terre de passage

  3. si “Sinaï” en hébreu signifie haine… (bon le mot étant égyptien, à voir si on peut faire une réelle correspondance) ça donne donc: désert de la haine. peut- être alors peut-on interpréter comme “se dépouiller de sa haine”?? ce qui me semble plus juste. Parce que le désert n’est pas signification de “don”. le désert indique bien la capacité de se dépouiller, d’abandonner toutes ses certitudes pour recevoir le don de la Thora, où le don de soi-même, où le don de Dieu selon les interprétations.

  4. si le désert du Sinaï signifie désert de la haine, il y a aussi une autre interprétation.
    En effet on ne peut pas ni dire, ni affirmer que Dieu donne la Thora à Moïse dans le but de susciter la haine des autres nations, mais en donnant cette Thora dans le “désert de la haine” on peut alors penser que cette Thora porte en elle la haine, si elle est donnée dans un lieu de haine.

    Bien que je n’approuverai pas personnellement cette formulation, je préfère de loin prendre le mot désert dans le sens “abandon de soi-même”, la notion de Thora porteuse de haine est intéressant. Pourquoi???
    —- Nous sommes, historiquement, à des périodes où l’humanité est polythéiste, ou dite polythéiste. les Hindous ont déjà leurs 7 enseignements différents, 7 religions différentes que nous appelons Hindouisme. Or il est à remarquer que ces 7religions différentes, qui se contredisent énormément, ne sont jamais en réelle concurrence; elles n’ont jamais créé de divisions de la société Hindou. Elles se pratiquent, depuis des millénaires dans les mêmes temples, bien souvent consacrés à plusieurs enseignements, qui se côtoient ainsi dans un même lieu de culte, sans se battre.
    Je prends comme exemple l’Hindouisme, parce qu’il est un témoin précieux de ce que furent les religions avant le judaïsme, le christianisme, l’islam.
    Ces Dieux, parfois très exigeants, se côtoyaient, se mélangeaient au sein des humains. si un Dieu semblait mieux correspondre aux besoins on le faisait sien, sans aucune formalité.
    Les hébreux, l’archéologie le prouve, ne vont pas réellement abandonner certains autres Dieux anciens, mais faire côtoyer ses Divinités avec le Dieu unique (les autels retrouvés dans les habitations le prouvent)

    Le Dieu unique crée une séparation, une division avec les autres peuples. Au fil du temps les juifs vont se séparer des autres peuples, le christianisme, puis l’Islam vont faire de même.
    Le Dieu unique, au sein même du judaïsme est perçu différemment selon les humains ; tout comme les diverses communautés chrétiennes ont une perception différente, de même pour les divers courants musulmans. Chaque monothéisme, chaque courant du monothéisme a ses propres lieux de culte, sans jamais se mélanger. On échange, parfois, on ne se mélange pas!

    Aujourd’hui on parle d’ouverture aux autres religions, autrefois les religions étaient tellement ouvertes, qu’elles circulaient, se mélangeaient, Les Dieux étaient à tous. Aussi diverses et différentes qu’elle fussent, elles liaient les humains entre eux.
    Au fond le Dieu unique a séparé les humains. Dans ce cas, en effet, la Thora peut être considérée comme porteuse de séparation d’avec les autres humains…. donc annoncé la haine qu’elle va provoquer. Cette réflexion est à approfondir…………………

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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