L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat Ki Tissa, Elie ou le pouvoir de la mansuétude

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« La compassion n’est utile que si elle est mise en pratique. Elle doit devenir la clé de notre relation aux autres, le fondement de nos pensées et de nos actions. » (Dalaï Lama)

La haftarat Ki Tissa[1] relative à la Parashah Ki Tissa[2] évoque l’héroïsme du serviteur de A’hav, Ovadia, craignant l’Eternel, qui, en temps de famine, sauve à ses risques et périls cent prophètes d’Israël face à la barbarie de la reine de Tyr, Izevel (Jézabel). A cela, s’ajoute la rencontre difficile entre le serviteur du roi, Ovadia, et le prophète Elyhaou qui prend rendez-vous pour rencontrer le roi A’hav, pour qui le prophète Elyhaou n’est qu’un « perturbateur d’Israël, עֹכֵר יִשְׂרָאֵל Okher Israël » :

יז וַיְהִי כִּרְאוֹת אַחְאָב אֶת-אֵלִיָּהוּ וַיֹּאמֶר אַחְאָב אֵלָיו הַאַתָּה זֶה עֹכֵר יִשְׂרָאֵל. (מלכים א, יח: יז)

17 Et en apercevant Elie, Achab lui dit : « Est-ce bien toi, perturbateur d’Israël ? » (I Rois 18 : 17).

A’hav accuse le prophète Elyhaou d’être le principal responsable de la mort des fils d’Israël par son zèle effréné et son refus catégorique de ramener les pluies qui auraient permis d’éviter la famine sévissant alors en Israël.

C’est alors qu’Elyahou retourne l’accusation contre le roi A’hav :

יח וַיֹּאמֶר לֹא עָכַרְתִּי אֶת-יִשְׂרָאֵל כִּי אִם-אַתָּה וּבֵית אָבִיךָ בַּעֲזָבְכֶם אֶת-מִצְוֺת יְהוָה וַתֵּלֶךְ אַחֲרֵי הַבְּעָלִים. (מלכים א, יח: יח)

18 Et il répondit : « Ce n’est pas moi qui ai perturbé Israël, c’est toi et la maison de ton père, puisque vous avez déserté les lois de l’Eternel, puisque tu as adopté le culte des Baal ! (I Rois 18 : 18).

Le prophète Elyhaou requiert donc du roi A’hav de rassembler les prophètes en lesquels ils se fient, lui et sa femme :

יט וְעַתָּה שְׁלַח קְבֹץ אֵלַי אֶת-כָּל-יִשְׂרָאֵל אֶל-הַר הַכַּרְמֶל וְאֶת-נְבִיאֵי הַבַּעַל אַרְבַּע מֵאוֹת וַחֲמִשִּׁים וּנְבִיאֵי הָאֲשֵׁרָה אַרְבַּע מֵאוֹת אֹכְלֵי שֻׁלְחַן אִיזָבֶל. (מלכים א, יח: יט)

19 Et maintenant, fais rassembler autour de moi tout Israël vers le mont Carmel, avec les quatre cent cinquante prophètes de Baal et les quatre cents prophètes d’Achêra, qui vivent de la table de Yizevel (Jezabel). (I Rois 18 : 19).

Avec beaucoup d’ironie, Elyahou se moque de la foi stérile en des dieux qui ne répondent pas aux hommes et de l’attirance vaine et vide des fils d’Israël pour ces mêmes dieux étrangers, Ba’al et Ashera, respectivement le dieu de la pluie et la déesse de la fécondité agricole.

Les deux grandes figures bibliques apparaissant respectivement dans la parashah et la haftarah Ki Tissa, à savoir les deux prophètes Moïse et Elyhaou, ont pour vocation commune de ramener les fils d’Israël sur la voie de la Teshouva, du Retour vers l’Eternel, l’Unique, alors qu’ils s’en étaient détournés en rendant un culte aux faux dieux.

א וַיַּרְא הָעָם כִּי-בֹשֵׁשׁ מֹשֶׁה לָרֶדֶת מִן-הָהָר וַיִּקָּהֵל הָעָם עַל-אַהֲרֹן וַיֹּאמְרוּ אֵלָיו קוּם עֲשֵׂה-לָנוּ אֱלֹהִים אֲשֶׁר יֵלְכוּ לְפָנֵינוּ כִּי-זֶה מֹשֶׁה הָאִישׁ אֲשֶׁר הֶעֱלָנוּ מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם לֹא יָדַעְנוּ מֶה-הָיָה לוֹ. (שמות לב: א)

1 Et le peuple, voyant que Moïse tardait à descendre de la montagne, s’attroupa autour d’Aaron et lui dit : « Allons ! fais-nous des dieux qui marchent à notre tête, puisque celui-ci, Moïse, l’homme qui nous a fait sortir du pays d’Égypte, nous ne savons ce qu’il est devenu. » (Exode 32 : 1).

Le texte de la parashah mentionne deux déviations majeures de la part des Hébreux. La première, la nécessité intérieure de se soumettre à des dieux extérieurs pour les guider, alors même qu’ils furent naguère témoins des Dix Fléaux d’Egypte et de la Déchirure de la Mer des Joncs, manifestation flagrante de la puissance de l’Eternel ; la seconde, l’idée d’attribuer à Moïse la Libération d’Egypte, comme s’il était l’incarnation physique d’une entité divine, à la manière des dieux païens ! Même l’Eternel reprend l’expression des fils d’Israël lorsqu’Il enjoint à Moïse de redescendre immédiatement du mont Sinaï après la fabrication du veau d’or :

ז וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה לֶךְ-רֵד כִּי שִׁחֵת עַמְּךָ אֲשֶׁר הֶעֱלֵיתָ מֵאֶרֶץ מִצְרָיִם. (שמות לב: ז)

7 Alors l’Éternel dit à Moïse : « Va, descends ! car ton peuple s’est corrompu que tu as tiré du pays d’Égypte ! (Exode 32 : 7).

L’Eternel exprime à son fidèle serviteur son immense déception et son dépit face à l’infidélité des Hébreux qui, comme frappés d’amnésie et rejetant l’Alliance, font preuve d’incapacité à fixer leurs pensées sur Une Divinité unique et abstraite, dépourvue de toute forme. Cet obstacle apparaît également dans la haftarah :

כא וַיִּגַּשׁ אֵלִיָּהוּ אֶל-כָּל-הָעָם וַיֹּאמֶר עַד-מָתַי אַתֶּם פֹּסְחִים עַל-שְׁתֵּי הַסְּעִפִּים אִם-יְהוָה הָאֱלֹהִים לְכוּ אַחֲרָיו וְאִם-הַבַּעַל לְכוּ אַחֲרָיו וְלֹא-עָנוּ הָעָם אֹתוֹ דָּבָר. (מלכים א, יח: כא)

21 Et Elie s’avança devant tout le peuple, et s’écria : « Jusqu’à quand passerez-vous entre les deux branches ? Si l’Eternel est le vrai Seigneur, suivez-le; si c’est Baal, suivez Baal! » Mais le peuple ne lui répondit mot. (I Rois 18 : 21).

Les fils d’Israël adoptent une vision syncrétiste dans laquelle la croyance monothéiste fusionne avec celle des dieux étrangers. La Tora abhorre absolument ce syncrétisme et est, à ce propos, on ne peut plus univoque :

לט רְאוּ עַתָּה כִּי אֲנִי אֲנִי הוּא  וְאֵין אֱלֹהִים עִמָּדִי… (דברים לב: לט)

39 Reconnaissez maintenant que Moi et Moi seul suis le Seigneur et nul dieu n’est avec Moi ! (Deutéronome 32 : 39).

לה אַתָּה הָרְאֵתָ לָדַעַת כִּי יְהוָה הוּא הָאֱלֹהִים אֵין עוֹד מִלְּבַדּוֹ. (דברים ד: לה)

35 Toi, tu as été initié à cette connaissance : que l’Éternel seul est le Seigneur, qu’il n’en est point d’autre. (Deutéronome 4 : 35).

 לֹא-יִהְיֶה בְךָ אֵל זָר וְלֹא תִשְׁתַּחֲוֶה לְאֵל נֵכָר. (תהלים פא: י)

10 Qu’il n’y ait pas chez toi de divinité étrangère, ne te prosterne pas devant un dieu étranger. (Psaume 81 : 10).

En règle générale, la majeure partie des mitsvoth, les injonctions divines relèvent de l’orthopraxis (« pratique droite »). L’Homme, en effet, ne définit point son identité uniquement par son état de naissance ou même par son nom mais principalement par son action réparatrice dans le monde, transformant celui-ci en un lieu meilleur et plus juste. Or, la deuxième Parole du Décalogue enjoint une pratique relevant essentiellement de la pensée :

ב לֹא-יִהְיֶה לְךָ אֱלֹהִים אֲחֵרִים עַל-פָּנָי. (שמות כ: ב)

2 « Tu n’auras point d’autres divinités que Moi. (Exode 20 : 2).

Quel peut être le dénominateur commun entre ces deux grands prophètes, Elyahou et Moïse ?

Tous deux usent de deux voies identiques afin d’éteindre le courroux divin. La première consiste à faire appel aux mérites des Patriarches. La seconde, à faire preuve de la plus grande compassion à l’égard d’Israël, du peuple que l’élection divine voue à de hautes responsabilités.

En faisant appel au mérite des Patriarches, Moïse et Elie visent à obtenir le pardon d’Israël.

Moïse :

יג זְכֹר לְאַבְרָהָם לְיִצְחָק וּלְיִשְׂרָאֵל עֲבָדֶיךָ אֲשֶׁר נִשְׁבַּעְתָּ לָהֶם בָּךְ וַתְּדַבֵּר אֲלֵהֶם אַרְבֶּה אֶת-זַרְעֲכֶם כְּכוֹכְבֵי הַשָּׁמָיִם וְכָל-הָאָרֶץ הַזֹּאת אֲשֶׁר אָמַרְתִּי אֶתֵּן לְזַרְעֲכֶם וְנָחֲלוּ לְעֹלָם. (שמות לב: יג)

13 Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs, à qui tu as juré par toi-même leur disant : Je ferai votre postérité aussi nombreuse que les étoiles du ciel ; et tout ce pays que j’ai désigné, je le donnerai à votre postérité, qui le possédera pour jamais ! » (Exode 32 : 13).

Elie :

לו וַיְהִי בַּעֲלוֹת הַמִּנְחָה וַיִּגַּשׁ אֵלִיָּהוּ הַנָּבִיא וַיֹּאמַר יְהוָה אֱלֹהֵי אַבְרָהָם יִצְחָק וְיִשְׂרָאֵל הַיּוֹם יִוָּדַע כִּי-אַתָּה אֱלֹהִים בְּיִשְׂרָאֵל וַאֲנִי עַבְדֶּךָ ובדבריך (וּבִדְבָרְךָ) עָשִׂיתִי אֵת כָּל-הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה. (מלכים א, יח: לו)

36 A l’heure de l’oblation, le prophète Elie s’avança en disant : « Eternel ! Seigneur d’Abraham, d’Isaac et d’Israël ! Qu’il devienne manifeste aujourd’hui que tu es le Seigneur d’Israël, que je suis ton serviteur, et que c’est par ton ordre que j’ai fait toutes ces choses. (I Rois 18 : 36).

Secondement, au-delà du mérite historique et spirituel des Patriarches, s’ajoute une nouvelle dimension d’ordre éthique : la compassion.

Moïse implore l’Eternel et en appelle à sa compassion :

יב לָמָּה יֹאמְרוּ מִצְרַיִם לֵאמֹר בְּרָעָה הוֹצִיאָם לַהֲרֹג אֹתָם בֶּהָרִים וּלְכַלֹּתָם מֵעַל פְּנֵי הָאֲדָמָה שׁוּב מֵחֲרוֹן אַפֶּךָ וְהִנָּחֵם עַל-הָרָעָה לְעַמֶּךָ. (שמות לב: יב)

12 « Faut-il que les Égyptiens disent : ‘C’est pour leur malheur qu’il les a faits sortir, pour les faire périr dans les montagnes et les anéantir de dessus la face de la terre !’ Reviens de ton irritation et révoque la calamité qui menace ton peuple. (Exode 32 : 12).

Quant au prophète Elyahou dont le zèle peut être destructeur – n’a-t-il point refusé de mettre un terme à la famine en Israël alors que des hommes, des femmes et des enfants mouraient ? – se caractérise aussi pour sa compassion envers le peuple d’Israël :

לז עֲנֵנִי יְהוָה עֲנֵנִי וְיֵדְעוּ הָעָם הַזֶּה כִּי-אַתָּה יְהוָה הָאֱלֹהִים וְאַתָּה הֲסִבֹּתָ אֶת-לִבָּם אֲחֹרַנִּית. (מלכים א, יח: לז)

37 Exauce-moi, Seigneur, exauce-moi, afin que ce peuple reconnaisse que Toi l’Eternel est le Seigneur ; et Tu auras ainsi amené leur cœur à résipiscence. » (I Rois 18 : 37).

Ce dernier verset peut être lu différemment selon que l’on se place du point de vue divin – dans ce cas l’Eternel ramène le cœur vers le bien – ou du point de vue du prophète Elyahou faisant, selon les Sages d’Israël (Traité Berakhot 31 : b) un réquisitoire à l’encontre de l’Eternel qui, cette fois-ci, serait le principal responsable du syncrétisme d’Israël ! L’on traduirait alors ainsi ce verset :

לז עֲנֵנִי יְהוָה עֲנֵנִי וְיֵדְעוּ הָעָם הַזֶּה כִּי-אַתָּה יְהוָה הָאֱלֹהִים וְאַתָּה הֲסִבֹּתָ אֶת-לִבָּם אֲחֹרַנִּית. (מלכים א, יח: לז)

37 Exauce-moi, Seigneur, exauce-moi, afin que ce peuple reconnaisse que Toi l’Eternel est le Seigneur ; et Tu as retourné leur cœur en arrière. » (I Rois 18 : 37).

Comment une telle accusation aussi grave est-elle perçue par l’Eternel ? Sur quoi se fonde une telle offense ?

Les Sages d’Israël enseignent que l’Eternel, loin d’exprimer sa colère à l’encontre de son prophète, comme il fallait naturellement s’y attendre, affirme bien au contraire son soutien total et entier à ce dernier, au motif que son accusation est juste et légitime. Les Sages (Traité Berakhot 32 : a), en constante quête de Bon et de Bien, s’inspirent du prophète MiKha (Michée) pour appuyer et défendre la thèse du prophète Elyahou :

ו בַּיּוֹם הַהוּא נְאֻם-יְהוָה אֹסְפָה הַצֹּלֵעָה וְהַנִּדָּחָה אֲקַבֵּצָה וַאֲשֶׁר הֲרֵעֹתִי. (מיכה ד: ו)

6 En ce jour, dit l’Eternel, je recueillerai [les brebis] boiteuses et les plus lointaines, je les rassemblerai, celles que j’avais traitées avec rigueur (Michée 4 : 6).

L’un des plus grands maux de notre temps est notre impossibilité à juger autrui avec compassion. Rappelons-nous que si nous désirons être jugés avec bienveillance et indulgence, nous devons avant tout être capables de juger notre prochain avec compassion et bienveillance :

ש «יְהוֹשֻֽׁעַ בֶּן פְּרַחְיָה אוֹמֵר: … וֶהֱוֵי דָן אֶת כָּל הָאָדָם לְכַף זְכוּת.» (פרקי אבות א: ו).

« Yeochoua ben Pera’hiah dit : « …juge chaque être avec mansuétude » (Maximes des Pères 1 : 6).

[1] Haftarat Ki Tissa : Selon les Ashkénazes : I Rois 18 : 1-39 ; Selon les Séfarades : I Rois 18 : 20-39.

[2] Parashat Ki Tissa : Exode 30 : 11-34 : 35.

Shabbat shalom !

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Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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