L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat VaYikra, Israël, le témoin de l’Histoire

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« Qui écoute un témoin le devient à son tour » (Elie Wiesel)

La haftarat VaYikra[1] s’achève[2] comme elle débute, par la création du peuple d’Israël :

כא עַם-זוּ יָצַרְתִּי לִי תְּהִלָּתִי יְסַפֵּרוּ.  (ישעיהו מג: כא)

21 Ce peuple, je l’ai formé pour moi, ils publieront ma gloire. (Isaïe 43 : 21).

Si la fonction de cette création (publier la gloire de l’Eternel) est spécifiée au début de la haftarah, son but (être le serviteur de l’Eternel) est précisé à la fin de la haftarah :

כא זְכָר-אֵלֶּה יַעֲקֹב וְיִשְׂרָאֵל כִּי עַבְדִּי-אָתָּה יְצַרְתִּיךָ עֶבֶד-לִי אַתָּה יִשְׂרָאֵל לֹא תִנָּשֵׁנִי. (ישעיהו מד: כא)

21 Rappelle-toi ceci, Jacob, et toi, ô Israël, car tu es mon serviteur ; je t’ai formé expressément, toi, tu es mon serviteur : toi, Israël, tu ne m’oublieras pas ! (Isaïe 44 : 21).

Comment expliquer que la conclusion de la haftarah soit identique à son introduction ?

Le verbe clef commun aux deux versets « יָצַרְתִּי/J’ai formé » et le terme « עֶבֶד – EveD, serviteur » permettent d’éclairer cette question. L’Eternel, par la voix du prophète Isaïe, rappelle à Israël la raison de sa formation. Le but de l’existence du peuple d’Israël réside essentiellement dans sa vocation singulière de glorification du Nom de l’Eternel parmi les Nations en remplissant son rôle d’humble serviteur :

כא … תְּהִלָּתִי יְסַפֵּרוּ.  (ישעיהו מג: כא)

21 … pour qu’ils publient ma gloire. (Isaïe 43 : 21).

Quelle voie royale conduit le peuple d’Israël à réaliser sa vocation universelle ?

La vocation majeure du peuple d’Israël, le serviteur de l’Eternel (Isaïe 44 : 1 ; 21), est d’être son témoin :

ח אַל-תִּפְחֲדוּ וְאַל-תִּרְהוּ הֲלֹא מֵאָז הִשְׁמַעְתִּיךָ וְהִגַּדְתִּי וְאַתֶּם עֵדָי הֲיֵשׁ אֱלוֹהַּ מִבַּלְעָדַי וְאֵין צוּר בַּל-יָדָעְתִּי. (ישעיהו מד: ח)

8 Ne craignez rien, ne vous alarmez point : ne vous l’ai-je pas dès longtemps appris et révélé, et n’êtes-vous pas mes témoins ? Est-il un Seigneur autre que moi, un Rocher protecteur que Je ne connaisse point ? (Isaïe 44 : 8).

Être témoin de l’Eternel implique deux dimensions : l’une historique, l’autre éthique. Dès la Sortie d’Egypte, les fils d’Israël sont appelés, à maintes reprises, « עֵדָה – EdaH, Communauté-témoin » (Exode 12 : 3) puis, au-delà de la pratique cultuelle rigoriste et rigoureuse, Israël a le devoir de sanctifier le Nom divin en étant au service de l’autre, de celle et de celui qui ne nous ressemble pas nécessairement, la veuve, l’orphelin, le démuni, l’étranger et le refugié fuyant les horreurs de la guerre et la désolation. Israël, considéré en son entité collective, porte en son âme le message des Dix Paroles renfermées dans « l’Arche du Témoignage-ARON HaEDOuT אֲרוֹן-הָעֵדוּת » (Exode 26 : 33 ; 40 : 3 ; 21).

Israël dans sa longue Histoire ne demeure pas toujours fidèle à sa vocation de témoin :

כב וְלֹא-אֹתִי קָרָאתָ יַעֲקֹב כִּי-יָגַעְתָּ בִּי יִשְׂרָאֵל. כג לֹא-הֵבֵיאתָ לִּי שֵׂה עֹלֹתֶיךָ, וּזְבָחֶיךָ לֹא כִבַּדְתָּנִי לֹא הֶעֱבַדְתִּיךָ בְּמִנְחָה וְלֹא הוֹגַעְתִּיךָ בִּלְבוֹנָה. כד לֹא-קָנִיתָ לִּי בַכֶּסֶף קָנֶה וְחֵלֶב זְבָחֶיךָ לֹא הִרְוִיתָנִי אַךְ הֶעֱבַדְתַּנִי בְּחַטֹּאותֶיךָ הוֹגַעְתַּנִי בַּעֲוֺנֹתֶיךָ. (ישעיהו מג: כב-כד)

22 Mais ce n’est pas moi que tu as invoqué, Jacob ! Non, tu t’es lassé de moi, Israël ! 23 Ce n’est pas à moi que tu as apporté l’agneau de tes holocaustes, ni moi que tu as honoré de tes sacrifices ; je ne t’ai point contraint de me servir par des oblations, je ne t’ai pas lassé par l’encens. 24 Tu n’as pas, à prix d’argent, acheté pour moi des aromates, tu ne m’as pas saturé de la graisse de tes victimes. En revanche, tu M’as contraint de te servir par tes péchés, tu m’as lassé par tes iniquités. (Isaïe 43 : 22-24).

Le prophète Isaïe fustige avec véhémence Israël accusé de deux fausses croyances. La première faute réside dans le fait qu’Israël tend à se méprendre sur le véritable culte divin qui ne se restreint aucunement à la chair de sacrifices animaux ou végétaux ! La seconde faute d’Israël est d’avoir cru, sur le modèle des peuples polythéistes, qu’il était possible d’assujettir la volonté de l’Eternel à sa propre volonté, comme le suggère l’expression rare הֶעֱבַדְתַּנִי בְּחַטֹּאותֶיךָ – tu [toi Israël] M’as asservi par tes péchés (Isaïe 43 : 24). Comment un homme pourrait-il s’acheter les faveurs de l’Eternel ?

Le dernier des prophètes, Malachie, dénonce l’hypocrisie de ceux qui, croyant offrir des sacrifices variés, espèrent voir la rémission de leurs fautes et leurs prières exaucées. Ils s’égarent !

יג וַאֲמַרְתֶּם הִנֵּה מַתְּלָאָה וְהִפַּחְתֶּם אוֹתוֹ אָמַר יְהוָה צְבָאוֹת וַהֲבֵאתֶם גָּזוּל וְאֶת-הַפִּסֵּחַ וְאֶת-הַחוֹלֶה וַהֲבֵאתֶם אֶת-הַמִּנְחָה הַאֶרְצֶה אוֹתָהּ מִיֶּדְכֶם אָמַר יְהוָה. (מלאכי א: יג)

13 Et vous dites encore : « Ah ! quelle misère ! » Et vous le repoussez avec dédain, dit l’Eternel des Armées. Et puis, vous amenez des [bêtes] volées, ou boiteuses, ou malades, et voilà l’offrande que vous apportez ! L’accepterais-je de votre main? dit l’Eternel. (Malachie 1: 13).

L’Eternel abhorre les sacrifices qui ne sont pas offerts d’un cœur pur et sincère. La parashat VaYikra relève les cinq différents sacrifices (עֹלָה, Olah [holocauste], מִנְחָה Min’ha [oblation], שְׁלָמִים Shelamim [sacrifice de Paix], חַטַּאת ‘Hatatt [sacrifice rémunératoire] et אָשָׁם Asham [offrande délictive]). Si l’aspect rituel y est certes prépondérant, il n’en efface point pour autant la dimension intérieure, profonde et sincère de l’intention accompagnant le sacrifice :

ג אִם-עֹלָה קָרְבָּנוֹ מִן-הַבָּקָר זָכָר תָּמִים יַקְרִיבֶנּוּ אֶל-פֶּתַח אֹהֶל מוֹעֵד יַקְרִיב אֹתוֹ לִרְצֹנוֹ לִפְנֵי יְהוָה. (ויקרא א: ג)

3 Si cette offrande est un holocauste pris dans le gros bétail, il l’offrira mâle parfait. Il le présentera au seuil de la Tente d’assignation, pour être agréable au Seigneur. (Lévitique 1 : 3).

Le terme « תָּמִים – tamim » signifiant « parfait » sur le plan physique n’est rien d’autre que le reflet de l’âme, de l’intériorité de celui qui offre le sacrifice. Ce même terme « תָּמִים tamim » désigne de nombreux personnages emblématiques qui, irréprochables comme נֹחַ No’ah- Noé (Genèse 6 : 9), les Patriarches אַבְרָהָם Abraham- Avraham (Genèse 17 : 1) et יַעֲקֹב Ya’akov- Jacob תָּם Tam- (Genèse 25 : 27), deviennent des témoins exemplaires de la grandeur divine en ce monde.

Or le peuple d’Israël, l’élu de l’Eternel, se repent et fait Teshouvah :

א וְעַתָּה שְׁמַע יַעֲקֹב עַבְדִּי וְיִשְׂרָאֵל בָּחַרְתִּי בוֹב כֹּה-אָמַר יְהוָה עֹשֶׂךָ וְיֹצֶרְךָ מִבֶּטֶן יַעְזְרֶךָּ אַל-תִּירָא עַבְדִּי יַעֲקֹב וִישֻׁרוּן בָּחַרְתִּי בוֹ. (ישעיהו מד : א-ב)

1 Or désormais, écoute, Jacob, ô mon serviteur ! Israël, Je l’ai élu ! 2 Ainsi parle l’Eternel, celui qui t’a fait, qui t’a formé dès le sein maternel, et qui sera ton appui : « Sois sans crainte, ô mon serviteur Jacob, et Yechouroun, Je l’ai élu ! (Isaïe 44 : 1-2).

Les mots clef de ces deux versets « עַבְדִּי/AVDI, Mon serviteur [Jacob] » et « בָּחַרְתִּי בוֹ  Ba’HaRTi, Je l’ai élu » [Moi l’Eternel], révèlent la profondeur du lien intime unissant Israël qui, réparant ses fautes d’antan, adhère à la Volonté divine. L’Eternel va jusqu’à assurer à son peuple l’invulnérabilité, comme il le fit initialement pour le Patriarche Avraham :

א אַחַר הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה הָיָה דְבַר-יְהוָה אֶל-אַבְרָם בַּמַּחֲזֶה לֵאמֹר אַל-תִּירָא אַבְרָם אָנֹכִי מָגֵן לָךְ שְׂכָרְךָ הַרְבֵּה מְאֹד. (בראשית טו: א)

1 Après ces faits, la parole du Seigneur se fit entendre à Abram, dans une vision, en ces termes : « Ne crains point, Abram : Je suis un bouclier pour toi ; ta récompense sera très grande » (Genèse 15 : 1).

Ainsi, quels que puissent être les égarements de son peuple, l’Eternel le protège tel un pasteur son troupeau, afin que Son Nom ineffable puisse être reconnu par l’ensemble de l’Humanité.

Cette idée est si puissante que le Sage Shimon Bar Yochai enseigne :

ש«אִם אַתֶּם עֵדַי, נְאֻם ה’, אֲנִי אֵל, וְאִם אֵין אַתֶּם עֵדַי, נְאֻם ה’, כִּּּבְיָכוֹל אֵין אֲנִי ה’» (פסיקתא דרב כהנא [מנדלבוים] יב, ו)

« Si vous êtes Mes témoins, déclare l’Eternel, Moi, Je suis le Tout-Puissant. Mais si vous n’êtes pas Mes témoins, Je ne suis pas, pour ainsi dire, le Tout-Puissant ». (Pessikta DeRav Kahana [Mandelboim], 12, 6).

La tâche d’Israël consiste à être l’œil, l’oreille et la bouche de l’Eternel dans notre monde. La disparition d’Israël équivaudrait à la victoire de la tyrannie et à la disparition de toute forme d’humanité.

L’écrivain et prix Nobel de la Paix 1986, Elie Wiesel, l’un des plus grands témoins de l’horreur de la Shoah dit : « Je peux être juif avec ou contre Dieu. Mais pas sans Dieu. Mon père était croyant, mon grand-père était croyant, son propre père était croyant et ainsi de suite. Comment pourrais-je rompre cette chaîne ? ». Le témoin est un passeur de la Mémoire. Simone Veil, elle aussi ancienne déportée, lors de son discours le 18 octobre 2002 au Conseil de l’Europe à Strasbourg s’interroge : « De même que le XXe siècle a vu l’anéantissement de nos parents et de nos amis, le début de XXIe siècle verra la disparition des derniers témoins oculaires que nous sommes…L’ère des témoins s’achève, quel en sera l’effet sur la commémoration et la transmission de la Shoah aux jeunes générations ? ». Témoigner, c’est aussi transmettre le Nom de l’Eternel qui est Mémoire (Exode 3 : 15).

L’incommensurable responsabilité de porter la Présence divine repose sur Israël, le réceptacle et le véhicule de la Parole reçue au mont Sinaï :

ג כִּי אֶצָּק-מַיִם עַל-צָמֵא וְנֹזְלִים עַל-יַבָּשָׁה אֶצֹּק רוּחִי עַל-זַרְעֶךָ וּבִרְכָתִי עַל-צֶאֱצָאֶיךָ. (ישעיהו מד: ג)

3 Car je répandrai de l’eau sur le sol altéré, des rivières sur la terre aride ; je répandrai mon esprit sur ta postérité et ma bénédiction sur tes descendants (Isaïe 44 : 3).

La haftarah s’achève par le chant de tous les hommes qui, rendant gloire à l’Eternel, confirme l’accomplissement de la vocation universelle d’Israël :

כג רָנּוּ שָׁמַיִם כִּי-עָשָׂה יְהוָה הָרִיעוּ תַּחְתִּיּוֹת אָרֶץ פִּצְחוּ הָרִים רִנָּה יַעַר וְכָל-עֵץ בּוֹ כִּי-גָאַל יְהוָה יַעֲקֹב וּבְיִשְׂרָאֵל יִתְפָּאָר.  (ישעיהו מד: כג)

23 Chantez, cieux, car l’Eternel a fait ; résonnez, profondeurs de la terre ; éclatez en cris de joie, montagnes et vous, forêts, avec tous vos arbres ! Car l’Eternel a délivré Jacob, et il s’est rendu glorieux en Israël (Isaïe 44 : 23).

[1] Haftarat Vayikra : Isaïe 43 : 21-44 : 23.

[2] Parashat Vayikra: Lévitique 1 : 1-5 : 26.

Shabbat shalom !

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Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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