L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Ki Tavo, le temps de la joie

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

L’homme peut-il vivre heureux et atteindre à une douce béatitude ?

Cette question que tous les hommes ne cessent de se poser trouve sa réponse dans la parashat Ki Tavo[1].

יא וְשָׂמַחְתָּ בְכָל-הַטּוֹב אֲשֶׁר נָתַן-לְךָ יְהוָה אֱלֹהֶיךָ וּלְבֵיתֶךָ אַתָּה וְהַלֵּוִי וְהַגֵּר אֲשֶׁר בְּקִרְבֶּךָ. (דברם כו: יא)11 Et tu te réjouiras pour tout le Bien que l’Éternel, ton Seigneur aura donné à toi et à ta famille, et avec toi se réjouiront le Lévite et l’étranger qui est en ton sein. (Deutéronome 26 : 11).

La joie évoquée en ce verset relève de la mitsvah, de l’injonction divine faisant suite aux prémices des fruits que l’agriculteur apporte à l’Eternel à la Tente du Rendez-Vous dans le Désert ou au Temple de Jérusalem afin de Le remercier et Lui vouer une pleine et entière reconnaissance. 

Le livre de Devarim (Deutéronome) relève à maintes reprises cette notion de joie et de réjouissance (Deutéronome 12 : 7; 12; 18; 14 : 26; 16 : 11; 14 ; 27 : 7).

Mais comment la Torah peut-elle enjoindre de se réjouir alors même que la réjouissance relève du cœur, du sentiment ?

Deux réponses relèvent de cette question :

Dans les temps de prospérité, l’Homme tend généralement à oublier la Source de ses bienfaits.

טו וַיִּשְׁמַן יְשֻׁרוּן וַיִּבְעָט שָׁמַנְתָּ עָבִיתָ כָּשִׂיתָ וַיִּטֹּשׁ אֱלוֹהַּ עָשָׂהוּ וַיְנַבֵּל צוּר יְשֻׁעָתוֹ. (דברים לב:טו)15 Et Yechouroun[2], engraissé, regimbe ; tu étais trop gras, trop replet, trop bien nourri et il abandonne le Seigneur qui l’a créé, et il méprise son rocher qui le sauve ! (Deutéronome 32 : 15).

Il n’est pas rare de le voir s’octroyer le mérite même de sa réussite :

יז וְאָמַרְתָּ בִּלְבָבֶךָ כֹּחִי וְעֹצֶם יָדִי עָשָׂה לִי אֶת-הַחַיִל הַזֶּה. יח וְזָכַרְתָּ אֶת-יְהוָה אֱלֹהֶיךָ כִּי הוּא הַנֹּתֵן לְךָ כֹּחַ לַעֲשׂוֹת חָיִל לְמַעַן הָקִים אֶת-בְּרִיתוֹ אֲשֶׁר-נִשְׁבַּע לַאֲבֹתֶיךָ כַּיּוֹם הַזֶּה. (דברים ח: יז-יח)17 et tu diras en ton cœur : “C’est ma propre force et le pouvoir de mon bras qui m’a valu cette richesse.” 18 Et tu te souviendras de l’Éternel, ton Seigneur car c’est Lui qui te donne la force d’avancer pour accomplir l’alliance jurée à tes pères, comme en ce jour. (Deutéronome 8 : 17-18).

La joie doit donc se rattacher irrévocablement au souvenir de la Source divine qui prodigue sans cesse l’abondance matérielle. 

Ainsi, la joie est ordonnée car, selon les Sages d’Israël, celle-ci ne se réduit pas uniquement aux bienfaits matériels eux-mêmes offerts par l’Eternel mais au temps, à l’époque au cours de laquelle sont prodigués ces bienfaits. Or, le temps c’est l’Eternel, car le tétragramme est une condensation du temps passé-présent-futur en un seul point : l’Eternel.

ש «וְשָׂמַחְתָּ בְכָל הַטּוֹב: מִכָּאן אָמְרוּ אֵין קוֹרִין מִקְרָא בִּכּוּרִים אֶלָּא בִּזְמָן שִׂמְחָה מֵעֲצֶרֶת וְעַד הֶחָג שֶׁאָדָם מְלַקֵּט תְּבוּאָתוֹ וּפֵרוֹתָיו וְיֵינוֹ וְשַׁמְּנוֹ אֲבָל מֵהַחַג וָאֵילָךְ מֵבִיא וְאֵינוֹ קוֹרֵא» (פסחים לו: ב), (רש”י על הפסוק דברים כו: יא).

 « Tu te réjouiras pour tout le bien : D’où l’on a enseigné que l’on ne récite la formule sur les bikourim (prémices) qu’en temps de joie, entre Shavou‘oth et Soukoth, période pendant laquelle on récolte son blé, ses fruits, son vin et son huile. Tandis qu’après Soukoth, on peut apporter [ses bikourim], mais sans réciter la formule[3]. » (Pessa‘him 36b) (Rashi sur le verset Deutéronome 26 : 11).


La joie est avant tout celle du temps de l’Eternel qui apporte avec lui ses bienfaits, car l’Eternel (tétragramme) est dans la mesure du Temps !

L’Homme doit jouir du temps qui lui est donné car ce dernier est ô combien éphémère :

א  אָדָם יְלוּד אִשָּׁה קְצַר יָמִים וּשְׂבַע-רֹגֶז. ב  כְּצִיץ יָצָא וַיִּמָּל וַיִּבְרַח כַּצֵּל וְלֹא יַעֲמוֹד. (איוב יד: א-ב)1 L’homme, né de la femme, n’a que peu de jours à vivre, et il est rassasié de troubles. 2 Comme la fleur, il pousse et se flétrit ; il fuit comme l’ombre et n’a point de durée. (Job 14 : 1 : 2).

La seconde raison expliquant l’injonction de la joie – Sim’ha/ שִׂמְחָה réside dans son intériorité et ne doit en rien être apparentée à l’enthousiasme de certaines formes de culte païen comme cela fut le cas dans les Bacchanales et ses dérives orgiaques que la Tora aspire à éviter. La joie ne doit en aucune manière être débordée mais maîtrisée, comme cela est le cas avec David conduisant l’Arche d’Alliance de Shilo à Jérusalem (II Samuel 6 : 14-15). En effet, le temps c’est l’Eternel et l’Homme est un Temple pour l’Eternel, comme il est dit :

ח וְעָשׂוּ לִי מִקְדָּשׁ וְשָׁכַנְתִּי בְּתוֹכָם. (שמות כה: ח)8 Et ils me construiront un sanctuaire, et Je résiderai au milieu d’eux. (Exode 25, 8).

Cette joie est donc l’expression de cette Présence intérieure.

La joie demeure la plus haute expression à laquelle peut atteindre l’Homme, c’est-à-dire la pleine conscience que chaque instant présent est unique, indivisible, irremplaçable et impossible à reconstituer. Un temps manqué est un temps mort.

De fait, la véritable richesse d’une Humanité vivante réside dans la juste exploitation du temps !

Les Sages d’Israël possédaient une idée si forte de l’unicité de chaque moment qu’ils ont institué une bénédiction se référant aux temps nouveaux que nous vivons et qui ne se reproduisent qu’à de rares fois :

ש «בָּרוּךְ אתָּה ה’ אֱלֹהֵינוּ מֶלֶךְ הָעוֹלָם, שֶׁהֶחֱיָנוּ וְקִיְּמָנוּ וְהִגִּיעָנוּ לַזְּמַן הַזֶּה» (ברכה על הזמן)

« Béni sois-tu Eternel, notre Seigneur, Maître du monde qui nous as fait vivre, qui nous donne d’exister et nous as conduits à vivre ce temps-ci. » (Bénédiction sur le temps).

Dans notre monde de stress où le temps est souvent négligé, il serait bon que nous revenions à une meilleure appréciation de la valeur du temps afin de le mieux exploiter, et que nous nous en réjouissions, car c’est là que réside la Présence de l’Eternel, qui, comme son Nom l’indique, est une notion de temps.   

Le temps ne passe pas, mais c’est l’Homme qui passe dans le temps.

ד  כִּי אֶלֶף שָׁנִים בְּעֵינֶיךָ  כְּיוֹם אֶתְמוֹל כִּי יַעֲבֹר וְאַשְׁמוּרָה  בַלָּיְלָה. (תהלים צ: ד)4 Car mille ans sont à tes yeux comme la journée d’hier quand elle est passée, comme une veille dans la nuit. (Psaume 90 : 4).
ז  רַבִּים אֹמְרִים מִי-יַרְאֵנוּ-טוֹב נְסָה עָלֵינוּ אוֹר פָּנֶיךָ יְהוָה. ח  נָתַתָּה שִׂמְחָה בְלִבִּי מֵעֵת דְּגָנָם וְתִירוֹשָׁם רָבּוּ. (תהלים ד: ז-ח)7 Beaucoup disent : “Qui nous fera voir le Bien ?” Fais lever sur nous la lumière de ta face, ô Eternel ! 8 Tu me mets plus de joie au cœur [qu’à eux], au temps où abondent leur blé et leur vin. (Psaume 4 : 7-8).

[1] Parashat Ki Tavo : Deutéronome 26 : 1-29 : 8.

[2]  Yeshouroun, troisième nom de Jacob, Israël.

[3]  Voici la formule que chaque Hébreu devait reciter au Mishkan puis au Temple en arrivant au Pays d’Israël (Mitsvat Mikra Bikourim מִצְוַת מִקְרָא בּכּוּרִים, l’injonction de lire les Bikourim, les prémices) :

«וְעָנִיתָ וְאָמַרְתָּ לִפְנֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, אֲרַמִּי אֹבֵד אָבִי, וַיֵּרֶד מִצְרַיְמָה, וַיָּגָר שָׁם בִּמְתֵי מְעָט; וַיְהִי-שָׁם, לְגוֹי גָּדוֹל עָצוּם וָרָב: וַיָּרֵעוּ אֹתָנוּ הַמִּצְרִים, וַיְעַנּוּנוּ; וַיִּתְּנוּ עָלֵינוּ, עֲבֹדָה קָשָׁה:  וַנִּצְעַק, אֶל-יְהוָה אֱלֹהֵי אֲבֹתֵינוּ; וַיִּשְׁמַע יְהוָה אֶת-קֹלֵנוּ, וַיַּרְא אֶת-עָנְיֵנוּ וְאֶת-עֲמָלֵנוּ וְאֶת-לַחֲצֵנוּ: וַיּוֹצִאֵנוּ יְהוָה, מִמִּצְרַיִם, בְּיָד חֲזָקָה וּבִזְרֹעַ נְטוּיָה, וּבְמֹרָא גָּדֹל וּבְאֹתוֹת, וּבְמֹפְתִים: וַיְבִאֵנוּ, אֶל-הַמָּקוֹם הַזֶּה; וַיִּתֶּן-לָנוּ אֶת-הָאָרֶץ הַזֹּאת, אֶרֶץ זָבַת חָלָב וּדְבָשׁ: וְעַתָּה, הִנֵּה הֵבֵאתִי אֶת-רֵאשִׁית פְּרִי הָאֲדָמָה, אֲשֶׁר-נָתַתָּה לִּי, יְהוָה; וְהִנַּחְתּוֹ, לִפְנֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, וְהִשְׁתַּחֲוִיתָ, לִפְנֵי יְהוָה אֱלֹהֶיךָ:» (דברים כו: ה-י).

« Et tu diras à haute voix devant l’Éternel, ton Dieu : “Enfant d’Aram, mon père était errant, il descendit en Egypte, y vécut étranger, peu nombreux d’abord, puis y devint une nation considérable, puissante et nombreuse. Alors les Egyptiens nous traitèrent iniquement, nous opprimèrent, nous imposèrent un dur servage. Nous implorâmes l’Éternel, Dieu de nos pères ; et l’Éternel entendit notre plainte, il considéra notre misère, notre labeur et notre détresse, et il nous fit sortir de l’Egypte avec une main puissante et un bras étendu, en imprimant la terreur, en opérant signes et prodiges ; et il nous introduisit dans cette contrée, et il nous fit présent de cette terre, une terre où ruissellent le lait et le miel. Or, maintenant j’apporte en hommage les premiers fruits de cette terre dont tu m’as fait présent, Seigneur !” Tu les déposeras alors devant l’Éternel, ton Dieu, et tu te prosterneras devant lui. » (Deutéronome 26 : 5-10).

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann  

Partager sur email
Partager sur whatsapp
Partager sur facebook
Partager sur twitter
Partager sur linkedin
Partager sur print
Souscription au Blog par Email

Entrez votre adresse mail pour suivre ce blog et être notifié par email des nouvelles publications.
Rejoignez les 781 autres abonnés

Quelques mots sur moi

J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
A propos…

Souscription au Blog par Email

Entrez votre adresse mail pour suivre ce blog et être notifié par email des nouvelles publications.
Rejoignez les 781 autres abonnés

Archives