Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas.
La parashat Toledot[1] débute par l’imploration d’Isaac (Its’hak) devant l’Eternel :
כא וַיֶּעְתַּר יִצְחָק לַיהוָה לְנֹכַח אִשְׁתּוֹ כִּי עֲקָרָה הִוא וַיֵּעָתֶר לוֹ יְהוָה וַתַּהַר רִבְקָה אִשְׁתּוֹ. (בראשית כה, כא) | 21 Et Isaac implora l’Éternel au sujet de sa femme parce qu’elle était stérile ; l’Éternel accueillit sa prière et Rébecca, sa femme, devint enceinte. (Genèse 25 : 21). |
De ce verset, une racine biblique doit retenir notre attention, la racine ע.ת.ר. / Ayin. T. R.Cette racine citée à deux reprises signifie respectivement à la forme active du pa’al וַיֶּעְתַּר « implorer, adresser une requête » (Job 33 : 26) et à la forme passive du nif’alוַיֵּעָתֶר « exaucer la prière de…, se laisser fléchir »(Isaïe 19 : 22).
Lorsque Pharaon prie Moïse d’intercéder en sa faveur (Exode 8 : 5), se dégage un nouveau niveau de compréhension de la racine ע.ת.ר. / Ayin. T. R. auquel le grand commentateur Rashi nous permet d’accéder :
ש « אַעְתִּיר הַעְתִּירוּ וְהֶעְתַּרְתִּי וְלֹא נֶאֱמַר אַעְתֵּר עִתְרוּ וְעִתַּרְתִּי מִפְּנֵי שֶׁכָּל לָשׁוֹן עָתָר הַרְבּוֹת פַּלֶּל הוּא וְכַאֲשֶׁר יֹאמַר הרבו אַרְבֶּה וְהִרְבֵּיתִי לָשׁוֹן מַפְעִיל. כָּךְ יאמר הַעְתִּירוּ וְהֶעְתַרְתִּי דְּבָרִים. וְאָב לְכֻלָּם “הֶעֱתַרְתֶּם עָלַי דִּבְרֵיכֶם” (יחזקאל לה: יג) הִרְבֵּיתֶם:» (רש”י על הפסוק שמות ח: ה)
« La racine ע.ת.ר. /‘ayin. T. R. implique toujours une multiplication des supplications, comme lorsque l’on dit : harbou (‘augmentez’), arbè (‘j’augmenterai’), ou vehirbéti (‘et j’augmenterai’) qui sont des formes factitives (hif’il). De même ici pour ‘a‘tir (‘je supplierai’), ‘a‘tirou (‘suppliez’) et ve’e‘tarti (‘et je supplierai’) des paroles [des prières]. L’exemple-type est : “vous avez multiplié (‘vehe’tartem’) vos paroles contre moi » (Ezéchiel 35 : 13), c’est-à-dire : ‘vous en avez dit beaucoup’ » (Rashi sur le verset Exode 8 : 5).
Autrement dit, Isaac, loin d’être exaucé immédiatement, ne désespère jamais d’être entendu par l’Eternel. Ainsi, les pleurs de Hannah rendus par וּבָכֹה תִבְכֶּה – tautologie visant à insister sur l’action d’implorer, témoignent que l’Eternel finit par exaucer quasiment toujours la prière de Ses faibles et fragiles créatures qui espèrent en Lui :
י וְהִיא מָרַת נָפֶשׁ וַתִּתְפַּלֵּל עַל-יְהוָה וּבָכֹה תִבְכֶּה. יב וְהָיָה כִּי הִרְבְּתָה, לְהִתְפַּלֵּל לִפְנֵי יְהוָה… (שמואל א, א: י; יב) | 10 Et elle [Hannah], l’âme remplie d’amertume, pria devant l’Eternel et pleura sans cesse. 12 Or, comme elle multipliait sa prière devant l’Eternel… (I Samuel 1 : 10 ; 12). |
Croire, c’est avant tout avoir confiance en l’Eternel :
יד קַוֵּה אֶל-יְהוָה חֲזַק וְיַאֲמֵץ לִבֶּךָ וְקַוֵּה אֶל-יְהוָה.(תהלים כז: יד) | 14 Espère en l’Eternel, sois fort ! que ton cœur soit ferme et espère en l’Eternel ! (Psaume 27 : 14). |
Plus la douleur personnelle est profonde, plus la prière monte !
Plus la douleur est collective, plus la prière est exaucée !
C’est probablement le message transmis par le Sage Rabbi Its’hak qui n’hésite point à renouveler la lecture classique du texte biblique :
ש «אָמַר רַבִּי יִצְחָק: יִצְחָק אָבִינוּ עָקוּר הָיָה, שֶׁנֶּאֱמַר: ״וַיֶּעְתַּר יִצְחָק לַה׳ לְנֹכַח אִשְׁתּוֹ״ (בראשית כה: כא). ״עַל אִשְׁתּוֹ״ לֹא נֶאֱמַר, אֶלָּא ״לְנוֹכַח״, מְלַמֵּד שֶׁשְּׁנֵיהֶם עֲקוּרִים הָיוּ…» (תלמוד בבלי, יבמות סד, א)
« Le Sage Rabbi Its’hak enseignait : ” Notre père Its’hak était stérile comme il est dit : “Et Its’hak implorait le Seigneur en face de sa femme” (Genèse 25 : 21). Il n’est pas écrit “en faveur de sa femme” mais “en face de…” ״לְנוֹכַח״ (LeNokha’h), ce qui signifie que tous les deux (Isaac et Rebecca) étaient stériles…
Rabbi Its’hak rajoute :
ש «אָמַר רַבִּי יִצְחָק: לָמָּה נִמְשְׁלָה תְּפִלָּתָן שֶׁל צַדִּיקִים כְּעֶתֶר מָה עֶתֶר זֶה מְהַפֵּךְ הַתְּבוּאָה מִמָּקוֹם לְמָקוֹם, כָּךְ תְּפִלָּתָן שֶׁל צַדִּיקִים מְהַפֶּכֶת מִדּוֹתָיו שֶׁל הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא מִמִּדַּת רַגְזָנוּת לְמִדַּת רַחֲמָנוּת.» (תלמוד בבלי, יבמות ס”ד, א)
« Rabbi Its’hak enseigne : Pourquoi la prière des justes est-elle comparée à une fourche [subtil rapprochement entre le terme “fourche” עֶתֶר [ETeR] et la racine de la prière et de son exaucement ע.ת.ר. / Ayin. T. R.] ? Semblable à la fourche utilisée pour retourner la récolte d’un endroit à l’autre, la prière des justes retourne les attributs de l’Eternel comme l’attribut de rigueur (littéralement de ‘colère’) en attribut de miséricorde ». (Talmud de Babylone, Traité Yevamot, 64 a).
Selon ce commentaire, l’Homme détiendrait le pouvoir de modifier le cours de l’Histoire, en brisant le déterminisme et le pessimisme.
La prière dénommée « עֲבוֹדָה AVoDah – labeur, culte » par les Sages d’Israël doit, afin d’être exaucée, remplir au moins deux conditions essentielles.
La première condition est celle de la direction -intention (Kavana – (כַּוָּנָה de nos pensées vers la Source de toute bénédiction, à savoir l’Eternel [le Tétragramme] ; la seconde condition est celle de l’obstination, témoignage non seulement de la souffrance endurée mais surtout de la confiance portée en l’Eternel.
L’on peut donc avancer l’idée que la prière – à l’opposé de la thèse de Rabbi Its’hak – n’a pas pour dessein de changer les attributs du Divin – comment l’Homme en serait-il capable – mais plutôt les attributs ou les qualités de l’Homme. La prière détient un pouvoir infini de transformer l’Homme intérieur. L’Homme en se métamorphosant, transforme avec lui son environnement. L’Homme doit « sacrifier » dans la prière une partie de lui-même, annihiler son ego, son orgueil et ses passions. Cette notion de sacrifice se retrouve dans le mot arabe « عَتَرَ עַתֳרַא Atara » qui, se rapprochant de la racine hébraïque ע.ת.ר. / Ayin. T.R. signifie « offrir en sacrifice », par ailleurs semblable à un autre mot arabe عِطْر Atron signifiant « parfum », signification qui n’est point sans rappeler le nuage d’encens parfumé qui s’élève des encensoirs des Anciens d’Israël :
יא וְשִׁבְעִים אִישׁ מִזִּקְנֵי בֵית-יִשְׂרָאֵל וְיַאֲזַנְיָהוּ בֶן-שָׁפָן עֹמֵד בְּתוֹכָם עֹמְדִים לִפְנֵיהֶם וְאִישׁ מִקְטַרְתּוֹ בְּיָדוֹ וַעֲתַר עֲנַן-הַקְּטֹרֶת עֹלֶה. (יחזקאל ח: יא) | 11 Et soixante-dix hommes parmi les anciens de la maison d’Israël, et Yaazania, fils de Schafan, debout parmi eux, se tenaient devant elles [les idoles], chacun son encensoir à la main, et l’épaisseur parfumée d’unnuaged’encenss’élevait. (Ezéchiel 8 : 11) |
Tant que les hommes n’auront pas compris que le תִּיקוּן הָעוֹלָם Tikkoun HaOlam – la Réparation du Monde – débute, avant tout, par le תִּיקוּן Tikkoun individuel et ce, même par des gestes quotidiens allant dans le sens du dialogue, de la concorde et du partage, alors l’obscurité continuera, à n’en point douter, à voiler, violer la lumière féconde du Divin.
La prière vise essentiellement à réparer l’Homme qui, méditant profondément sur le sens de sa présence [נוֹכָח / NoKha’h] en ce monde lui permet, telle la fourche de Rabbi Its’hak, de le conduire à se relever en révélant la pureté de sa propre lumière.
ו הִנְנִי מַעֲלֶה-לָּהּ אֲרֻכָה וּמַרְפֵּא וּרְפָאתִים וְגִלֵּיתִי לָהֶם עֲתֶרֶת שָׁלוֹם וֶאֱמֶת. (ירמיהו לג: ו) | 6 Voici, j’apporterai à cette ville [Jérusalem] un remède efficace, la guérison, je rétablirai leur santé et leur ouvrirai une source abondante [ATeRet] de paix et de vérité. (Jérémie 33 : 6). |
[1] Parashat Toledot : Genèse 25 : 19-28 : 9.
Shabbat shalom !
Haïm Ouizemann