L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat Dévarim, Isaïe, la Vision du Tikkoun HaOlam

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

“Qui donne au pauvre prête à Dieu” .(Victor HUGO, pour les pauvres, 1830)

La Haftarat Dévarim[1] est toujours lue le Shabbat précédant la journée du 9 Av commémorant la chute du Temple de Jérusalem. Cette haftarah est dénommée « haftarat ‘Hazon » en raison du tout premier mot du livre d’Isaïe : « Hazon-חֲזוֹן  » signifiant « Vision ». Et si cette même haftarah vient clore la période des trois semaines de deuil (« entre les détroits » ou « בֵּין הֵמְּצָרִים Beyin HaMetsarim »), elle constitue aussi le premier des huit passages prophétiques qui, tous extraits du livre d’Isaïe, seront lus aux prochains Jours du Shabbat (Shabbats de Consolation).  

Pourquoi la haftarat Dévarim a-t-elle été choisie par les Sages d’Israël ?

Trois raisons principales peuvent être avancées.

La première raison réside dans l’idée de remontrance propre aux prophètes d’Israël. Comme l’enseigne Rashi, Moïse, au tout début du livre Dévarim (Deutéronome 1 : 1), rappelle implicitement dans son discours historique les fautes d’Israël. Isaïe, marchant sur les traces de Moïse, révèle et condamne dès le premier chapitre, avec une rare véhémence mais de manière explicite et sans détour aucun, la voie de la corruption empruntée par les habitants de Jérusalem.

La deuxième raison réside dans la récurrence du terme « אֵיכָה- Eikhah- Comment ? » au verset 21 du chapitre 1 d’Isaïe, à la parashat Dévarim (Deutéronome 1 : 12) et au livre des Lamentations dont il constitue le premier mot. Ce livre est lu le Jour du 9 Av, jour de la catastrophe nationale que fut la destruction totale de Jérusalem par Nabuchodonosor :

כא אֵיכָה הָיְתָה לְזוֹנָה קִרְיָה נֶאֱמָנָה מְלֵאֲתִי מִשְׁפָּט צֶדֶק יָלִין בָּהּ וְעַתָּה מְרַצְּחִים. (ישעיהו א: כא)21 Comment est-elle devenue une prostituée, la Cité fidèle ? Jadis pleine d’équité, c’était l’asile de la justice, et maintenant elle est un repaire d’assassins ! (Isaïe 1 : 21). 
א אֵיכָה יָשְׁבָה בָדָד הָעִיר רַבָּתִי עָם הָיְתָה כְּאַלְמָנָה רַבָּתִי בַגּוֹיִם שָׂרָתִי בַּמְּדִינוֹת הָיְתָה לָמַס. (איכה א: א)1 Comment est-elle assise solitaire, la cité naguère si populeuse ! Elle, si puissante parmi les peuples, ressemble à une veuve ; elle qui était une souveraine parmi les nations est devenue tributaire ! (Lamentations 1 : 1).

La chute de Jérusalem n’est pas due à la puissance des empires conquérants mais à la déliquescence intérieure de Juda. Isaïe n’a de cesse de fustiger les habitants de Juda et Jérusalem comparée aux deux cités de Sodome et Gomorrhe qui, constituant le paradigme de la violence, du mal et de la corruption absolue, ont été détruites totalement :

ט לוּלֵי יְהוָה צְבָאוֹת הוֹתִיר לָנוּ שָׂרִיד כִּמְעָט כִּסְדֹם הָיִינוּ לַעֲמֹרָה דָּמִינוּ. י שִׁמְעוּ דְבַר-יְהוָה קְצִינֵי סְדֹם הַאֲזִינוּ תּוֹרַת אֱלֹהֵינוּ עַם עֲמֹרָה. (ישעיהו א: ט-י)9 Si l’Eternel-des Armées ne nous eût laissé un faible débris, nous étions comme Sodome, nous ressemblions à Gomorrhe. 10 Ecoutez la Parole de l’Eternel, magistrats de Sodome ; soyez attentifs à l’enseignement de notre Seigneur, peuple de Gomorrhe ! (Isaïe 1 : 9-10).

Puis Isaïe s’élève contre la fausse croyance selon laquelle les sacrifices offerts sur l’autel du Temple détiendraient la faculté d’intercéder pour les crimes commis, au point qu’ils soient pardonnés :

יא לָמָּה-לִּי רֹב-זִבְחֵיכֶם יֹאמַר יְהוָה שָׂבַעְתִּי עֹלוֹת אֵילִים וְחֵלֶב מְרִיאִים וְדַם פָּרִים וּכְבָשִׂים וְעַתּוּדִים לֹא חָפָצְתִּי. יב כִּי תָבֹאוּ לֵרָאוֹת פָּנָי מִי-בִקֵּשׁ זֹאת מִיֶּדְכֶם רְמֹס חֲצֵרָי… טו וּבְפָרִשְׂכֶם כַּפֵּיכֶם אַעְלִים עֵינַי מִכֶּם גַּם כִּי-תַרְבּוּ תְפִלָּה, אֵינֶנִּי שֹׁמֵעַ יְדֵיכֶם דָּמִים מָלֵאוּ. (ישעיהו א: יא-יב; טו) 11 Que m’importe la multitude de vos sacrifices ? dit l’Eternel. Je suis saturé de vos holocaustes de béliers, de la graisse de vos moutons et du sang des taureaux, des moutons, des boucs, je n’en désire point. 12 Si vous venez vous présenter devant moi, qui vous a demandé de fouler mes parvis ? … 15 Et quand vous étendez les mains, je détourne de vous mes regards ; dussiez-vous accumuler les prières, j’y resterais sourd : vos mains sont pleines de sangs. (Isaïe 1 : 11-12 ; 15).

Les dirigeants qui devraient être des modèles d’exemplarité éthique, d’intégrité et d’incorruptibilité choisissent la voie de la falsification, de la malversation au détriment des plus faibles de la société :

כב כַּסְפֵּךְ הָיָה לְסִיגִים סָבְאֵךְ מָהוּל בַּמָּיִם. כג שָׂרַיִךְ סוֹרְרִים וְחַבְרֵי גַּנָּבִים כֻּלּוֹ אֹהֵב שֹׁחַד וְרֹדֵף שַׁלְמֹנִים יָתוֹם לֹא יִשְׁפֹּטוּ וְרִיב אַלְמָנָה לֹא-יָבוֹא אֲלֵיהֶם. (ישעיהו א: כב-כג)22 Ton argent pur s’est changé en scories, ton vin généreux est frelaté. 23 Tes chefs sont dissolus, compagnons de voleurs ; tous [comme un seul homme] aiment les dons corrupteurs et courent après les gains illicites ; à l’orphelin ils ne font pas justice, et le procès de la veuve n’arrive point devant eux. (Isaïe 1 : 22-23).

S’il incombe aux dirigeants d’être exemplaires dans leur manière d’agir, ils se doivent également d’être porteurs d’espérance, d’une vision réparatrice de la société en tirant les leçons du passé et reconnaissants envers l’Eternel qui n’a jamais oublié Son peuple :

ג יָדַע שׁוֹר קֹנֵהוּ וַחֲמוֹר אֵבוּס בְּעָלָיו יִשְׂרָאֵל לֹא יָדַע עַמִּי לֹא הִתְבּוֹנָן. (ישעיהו א: ג)3 Un bœuf connaît son possesseur, un âne la crèche de son maître. Israël ne connaît rien, mon peuple n’a pas de discernement. (Isaïe 1 : 3).

Le message de la Torah révélé par les prophètes d’Israël et en particulier Isaïe vise à réparer les inégalités sociales ainsi que les maintes iniquités frappant les plus démunis de la société. Le livre des Lamentations exprime clairement l’idée selon laquelle Jérusalem s’est effondrée car même les prophètes n’étaient plus capables de porter la Vision du Tikkoun HaOlam (Réparation du monde) inscrite dans la Torah :

ט טָבְעוּ בָאָרֶץ שְׁעָרֶיהָ אִבַּד וְשִׁבַּר בְּרִיחֶיהָ מַלְכָּהּ וְשָׂרֶיהָ בַגּוֹיִם אֵין תּוֹרָה גַּם-נְבִיאֶיהָ לֹא-מָצְאוּ חָזוֹן מֵיְהוָה. (איכה ב: ט  9 Les portes de Sion se sont noyées dans la terre, il en a détruit, fracassé les verrous ; son roi et ses princes vivent au milieu des nations, sans Loi ; ses prophètes non plus n’obtiennent pas de visions de la part de l’Eternel. (Lamentations 2 : 9).

Les civilisations, quel que puisse être leur niveau technique et leur génie scientifique, s’effondrent dès lors qu’elles ne sont plus capables de présenter une vision sociétale fondée sur la Justice et le Droit où la veuve, l’orphelin et l’étranger seraient respectés comme tels. Ainsi, l’Eternel appelle le jeune Samuel et l’investit de la prophétie afin, justement, qu’il introduise un nouveau souffle d’espoir dans une société dépourvue de perspective d’avenir :

א וְהַנַּעַר שְׁמוּאֵל מְשָׁרֵת אֶת-יְהוָה לִפְנֵי עֵלִי וּדְבַר יְהוָה הָיָה יָקָר בַּיָּמִים הָהֵם אֵין חָזוֹן נִפְרָץ. (שמואל א, ג: א)1 Et le jeune Samuel servait l’Eternel devant Héli. A cette époque, la parole de l’Eternel était rare, la vision prophétique ne jaillissait pas. (I Samuel 3 : 1).

Le grand écrivain français moraliste, Victor Hugo, en quête d’un monde meilleur et visionnaire social, qui n’aura de cesse de dénoncer l’injustice de son époque, écrit dans son très beau poème aux élans prophétiques, “Pour les pauvres” (1830) :

“Donnez ! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force, et la grâce à vos filles ;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit ;
Afin qu’un blé plus mûr fasse plier vos granges ;
Afin d’être meilleurs ; afin de voir les anges
Passer dans vos rêves la nuit”.

Victor Hugo écrit dès l’âge de 22 ans : ” Le poète doit marcher devant les peuples comme une lumière et leur montrer le chemin.”

Ce sont les visionnaires qui changent le monde ! Léon Blum, lors de son discours historique (6 juin 1936) déclame : “Je vous rappellerais que, chaque fois que la République a été menacée, elle a été sauvée par cette union de la bourgeoisie et du peuple ­républicains, et de la masse des travailleurs et des paysans ”  et il sera à l’origine des congés payés et de la semaine de quarante heures.

La haftarat Dévarim s’achève sur la Teshouvah des Judéens. Cette Teshouvah, ce Retour vers l’Eternel ne s’inscrit point dans la dimension du Religieux mais de l’Ethique. Alors l’Eternel, faisant montre d’amour pour son peuple, effacera totalement les fautes de son peuple et lui offrira l’abondance de la terre d’Israël, Erets Israël :

יז לִמְדוּ הֵיטֵב דִּרְשׁוּ מִשְׁפָּט אַשְּׁרוּ חָמוֹץ שִׁפְטוּ יָתוֹם רִיבוּ אַלְמָנָה. יח לְכוּ-נָא וְנִוָּכְחָה יֹאמַר יְהוָה אִם-יִהְיוּ חֲטָאֵיכֶם כַּשָּׁנִים כַּשֶּׁלֶג יַלְבִּינוּ, אִם-יַאְדִּימוּ כַתּוֹלָע כַּצֶּמֶר יִהְיוּ. יט אִם-תֹּאבוּ וּשְׁמַעְתֶּם טוּב הָאָרֶץ תֹּאכֵלוּ. (ישעיהו א: יז-יט)17 Apprenez soigneusement, recherchez la justice ; rendez le bonheur à l’opprimé, faites droit à l’orphelin, défendez la cause de la veuve. 18 Oh ! Venez, nous discuterons, dit l’Eternel. Vos péchés fussent-ils comme le cramoisi, ils blanchiront comme la neige ; rouges comme la pourpre, ils deviendront comme la laine. 19 Si vous y consentez, si vous m’écoutez, vous jouirez des délices de la terre. (Isaïe 1 : 17-19).

La troisième raison réside dans le retour de juges impartiaux épris de justice, principe fondamental, spécifié à la fin de la haftarat Dévarim :

כו וְאָשִׁיבָה שֹׁפְטַיִךְ כְּבָרִאשֹׁנָה וְיֹעֲצַיִךְ כְּבַתְּחִלָּה אַחֲרֵי-כֵן יִקָּרֵא לָךְ עִיר הַצֶּדֶק קִרְיָה נֶאֱמָנָה. כז צִיּוֹן בְּמִשְׁפָּט תִּפָּדֶה וְשָׁבֶיהָ בִּצְדָקָה. (ישעיהו א: כו-כז)26 Et Je restaurerai tes juges comme autrefois, tes conseillers comme à l’origine. Ensuite, on t’appellera ville de Justice, cité fidèle. 27 Sion sera sauvée par la justice, et ceux qui retournent à l’Eternel par l’équité. (Isaïe 1 : 26-27).

Ce principe fondamental fait écho au début de la parashah :

טז וָאֲצַוֶּה אֶת-שֹׁפְטֵיכֶם בָּעֵת הַהִוא לֵאמֹר שָׁמֹעַ בֵּין-אֲחֵיכֶם וּשְׁפַטְתֶּם צֶדֶק בֵּין-אִישׁ וּבֵין-אָחִיו וּבֵין גֵּרוֹ. (דברים א: טז)16 Et J’ordonnerai, en ce temps-là (lors de l’entrée en Erets Israël) à vos juges l’injonction suivante : “Ecoutez également tous vos frères et jugez équitablement, entre chacun et son frère, et son étranger. (Deutéronome 1 : 16).

Cette Teshouvah est rédemptrice et signe le livre des Lamentations :

כא הֲשִׁיבֵנוּ יְהוָה אֵלֶיךָ ונשוב (וְנָשׁוּבָה) חַדֵּשׁ יָמֵינוּ כְּקֶדֶם. כב כִּי אִם-מָאֹס מְאַסְתָּנוּ קָצַפְתָּ עָלֵינוּ עַד-מְאֹד. (איכה ה: כא-כב)21 Ramène-nous vers toi, ô Eternel, et nous reviendrons ; renouvelle nos jours comme autrefois. 22 Car si tu en as assez de nous, tu nourris contre nous une immense colère. (Lamentations 5 : 21-22).

Pour conclure, les Sages répètent le verset 21 :

כא הֲשִׁיבֵנוּ יְהוָה אֵלֶיךָ ונשוב (וְנָשׁוּבָה) חַדֵּשׁ יָמֵינוּ כְּקֶדֶם 21 Ramène-nous vers toi, ô Eternel, et nous reviendrons ; renouvelle nos jours comme autrefois.

[1] Parashat Dévarim : Deutéronome 1 : 1-3 : 22 ; Haftarat Dévarim : Isaïe 1 : 1-27.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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