L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat Tazria, Elisha’ et la guérison de Na’aman

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

« Je sens qu’un certain type de perfection peut être atteint avec humilité, à travers une accumulation d’imperfection. » (Haruki Murakami)

Une lecture comparative de la Haftarat Tazria[1] et de la Parashat Tazria[2] révèle un dénominateur commun : la lèpre, צָרָעַת TsaRa’aT. Selon la Tradition d’Israël, cette lèpre, loin d’être une maladie d’ordre physiologique, est considérée comme la résultante d’une faute d’ordre spirituelle ou sociale. De nombreuses figures bibliques sont frappées de la lèpre. La prophétesse Myriam est atteinte de la lèpre après avoir calomnié son frère Moïse (Nombres 12 : 1-10), ainsi que le Prophète Moïse préjugeant de la foi des Hébreux (Exode 4 : 1-8) et mettant en doute leur capacité de croire qu’il est le libérateur (מוֹשִׁיעַ) envoyé par l’Eternel.  La faute de ces deux grands personnages atteints de la lèpre serait donc la médisance :

ש «אָמַר רֵישׁ לָקִישׁ: מַאי דִּכְתִיב “זֹאת תִּהְיֶה תּוֹרַת הַמְּצֹרָע”? זוֹ תִּהְיֶה תּוֹרָתוֹ שֶׁל מוֹצִיא שֵׁם רַע» (תלמוד בבלי,  מסכת ערכין ט”ו, ב’).

« Reish Lakish disait : “voici la règle du lépreux” ? Voici la règle de celui qui médit !” » (Talmud de Babylone, Traité Arakhin 15 : b). 

De plus, RaMBaM (Maïmonide) explique que cette maladie dont seraient préservées les Nations ne touche que les fils d’Israël[3].

Or, si cette thèse s’avère juste pour la parashat Tazria, la lecture de la haftarat Tazria démontre que les Nations, elles aussi, peuvent être atteintes de la lèpre :

א וְנַעֲמָן שַׂר-צְבָא מֶלֶךְ-אֲרָם הָיָה אִישׁ גָּדוֹל לִפְנֵי אֲדֹנָיו וּנְשֻׂא פָנִים כִּי-בוֹ נָתַן-יְהוָה תְּשׁוּעָה לַאֲרָם וְהָאִישׁ הָיָה גִּבּוֹר חַיִל מְצֹרָע. (מלכים ב, ה : א)1 Et Naaman, général d’armée du roi de Syrie, était un homme de réputation et en grande faveur chez son maître, parce que le Seigneur avait donné par lui la victoire à la Syrie ; mais cet homme, ce vaillant guerrier, était lépreux (II Rois 5 : 1).

Comment expliquer que les Nations puissent être touchées également par la lèpre ?

יא וַיִּקְצֹף נַעֲמָן וַיֵּלַךְ וַיֹּאמֶר הִנֵּה אָמַרְתִּי אֵלַי יֵצֵא יָצוֹא וְעָמַד וְקָרָא בְּשֵׁם-יְהוָה אֱלֹהָיו וְהֵנִיף יָדוֹ אֶל-הַמָּקוֹם וְאָסַף הַמְּצֹרָע. יב הֲלֹא טוֹב אבנה (אֲמָנָה) וּפַרְפַּר נַהֲרוֹת דַּמֶּשֶׂק מִכֹּל מֵימֵי יִשְׂרָאֵל הֲלֹא-אֶרְחַץ בָּהֶם וְטָהָרְתִּי וַיִּפֶן וַיֵּלֶךְ בְּחֵמָה. (מלכים ב, ה: יא-יב)11 Naaman se mit en colère et s’en alla en disant : “Certes, m’étais-je dit, il va sortir, s’arrêter, invoquer le nom de l’Eternel, son Dieu ; puis il aurait passé sa main sur la partie malade et guéri le lépreux. 12 Est-ce que l’Amana et le Parpar, ces rivières de Damas, ne valent pas mieux que toutes les eaux d’Israël ? Pourquoi, en m’y baignant, ne deviendrais-je pas pur ?” Et il s’en retourna et partit furieux (II Rois 5 : 11-12).

La colère de Na’aman est exprimée par le verbe « וַיִּקְצֹף- VaYiktsof – et il se mit en colère » et l’adverbe « בְּחֵמָה – Be’Heimah- furieusement ». Cette colère a deux raisons. La première réside dans le fait que Na’aman croit pouvoir être guéri par ELiSha’ (Elisée) de manière surnaturelle. Il s’attend à ce qu’il invoque l’Eternel par des sortilèges et des formules magiques, et ne comprend pas pourquoi les eaux du יַרְדֶּן YaRDeN (Jourdain) seraient plus appropriées à sa guérison que celles d’Aram. La deuxième réside dans le fait que lui, le chef d’armée « גִּבּוֹר חַיִל -Guibor Haïl héros vaillant », réputé pour ses faits de guerre, se trouve contraint de patienter à l’entrée de la tente du prophète Elisha’. La lèpre l’ayant frappé en serait-elle l’unique raison ?

Pourtant, convaincu par le conseil de ses serviteurs, Na’aman accepte de s’immerger dans les eaux du Yarden pour finalement en ressortir guéri :

יד וַיֵּרֶד וַיִּטְבֹּל בַּיַּרְדֵּן שֶׁבַע פְּעָמִים כִּדְבַר אִישׁ הָאֱלֹהִים וַיָּשָׁב בְּשָׂרוֹ כִּבְשַׂר נַעַר קָטֹן וַיִּטְהָר. (מלכים ב, ה : יד)14 Et il descendit, se plongea dans le Jourdain sept fois, selon la parole de l’homme du Seigneur, et sa chair redevint comme la chair d’un jeune adolescent : il était purifié. (II Rois 5 : 14).

Comment expliquer la guérison miraculeuse de Na’aman ?  

Le prophète ELiSha’ comprend que la lèpre frappant le général d’armée Na’aman trouve son origine dans le sentiment d’orgueil qui habite ce dernier. C’est pourquoi il établit une stratégie visant à rabaisser l’orgueil de Na’aman. Il oblige le tout-puissant Na’aman à patienter à l’extérieur de sa tente alors même que ce dernier s’y rend avec son armée, donc en grande pompe. Puis le prophète le contraint à descendre dans le YaRdeN, rivière dont le nom fait référence au mouvement descendant de ses eaux, elle-même étant située au-dessous du niveau de la mer. Les sept immersions font état d’un ressourcement absolu et d’un retour vers l’Eternel. Le chiffre sept est le signe de l’Alliance avec l’Eternel.

Lorsque Na’aman s’en retourne chez le prophète et reconnaît le Seigneur d’Israël, la stratégie d’Elisha’ semble, alors, avoir réussi :  

טו וַיָּשָׁב אֶל-אִישׁ הָאֱלֹהִים הוּא וְכָל-מַחֲנֵהוּ וַיָּבֹא וַיַּעֲמֹד לְפָנָיו וַיֹּאמֶר הִנֵּה-נָא יָדַעְתִּי כִּי אֵין אֱלֹהִים בְּכָל-הָאָרֶץ כִּי אִם-בְּיִשְׂרָאֵל וְעַתָּה קַח-נָא בְרָכָה מֵאֵת עַבְדֶּךָ. (מלכים ב, ה: טו)15 Et il [Na’aman] s’en retourna chez l’homme du Seigneur avec toute sa suite ; arrivé, il se présenta devant lui et dit : “Ah ! Certes, je reconnais qu’il n’y a point de Seigneur sur toute la terre, si ce n’est en Israël ! Et maintenant, de grâce, accepte une bénédiction de ton serviteur.” (II Rois 5 : 15).

Elisha refuse catégoriquement la bénédiction sous forme de présent de Na’aman. Pourtant, son serviteur, mû par la convoitise qui l’anime, court après Na’aman et, usant du mensonge, prétend que son maître s’est rétracté pour mettre la main sur le présent dont Na’aman voulait l’honorer. Mais la convoitise et le mensonge de Gue’hazi provoquent sa déchéance : il est touché par une lèpre inguérissable et transmissible à sa descendance (II Rois 5 : 27). Le refus d’Elisha’ octroie au prophète une nette supériorité morale sur le général d’armée Na’aman Na’aman à la peau d’un « נַעַר קָטֹן- Na’aR KaToN- Jeune adolescent » (II Rois 5 : 14), semblable à la « נַעֲרָה קְטַנָּה- Na’aRaH KeTaNaH- Jeune adolescente » (II Rois 5 : 2), qui, faite prisonnière par les forces armées de Na’aman, est mise au service de son épouse. Ainsi Na’aman, de guerrier conquérant s’enorgueillissant de nombreuses victoires, a mis à plat son orgueil de guerrier, selon la volonté d’Elisha’ qu’il rencontre par le biais de la jeune adolescente. Telle est l’ironie de l’Histoire ! “On a souvent besoin d’un plus petit que soi” comme l’enseigne Jean de la Fontaine dans ses deux fables inspirées du fabuliste grec Esope, “Le Lion et le Rat” ainsi que “la Colombe et la Fourmi”.  

Ni le Cohen-  כֹּהֵן ni le prophète-נָבִיא Navi ne sont médecins mais essentiellement des intercesseurs auprès de l’Eternel. Seule, la reconnaissance de l’Eternel en tant que Seigneur d’Israël ouvre la voie à la guérison. Ce ne sont donc point les eaux du Jourdain qui conduisent à la guérison de Na’aman – ces eaux ne détiennent aucune faculté magique – mais la Teshouvah, le chef d’armée se tournant vers l’Eternel. Le verbe וַיָּשָׁב -VaYashov (« il retourna », II Rois 5 : 15) signifie clairement ce Retour de Na’aman. C’est l’obéissance à l’injonction divine qui soigne l’impureté à l’origine de la lèpre. Le roi Ouzziahou est lui aussi frappé de lèpre (II Chroniques 26 : 19) pour s’être arrogé par la force le droit d’offrir un encens, droit réservé uniquement aux Cohanim (II Chroniques 26 : 18).

טז וּכְחֶזְקָתוֹ גָּבַהּ לִבּוֹ עַד-לְהַשְׁחִית וַיִּמְעַל בַּיהוָה אֱלֹהָיו וַיָּבֹא אֶל-הֵיכַל יְהוָה לְהַקְטִיר עַל-מִזְבַּח הַקְּטֹרֶת. (דברי הימים כו: טז)16 Mais dans la puissance, son cœur s’enorgueillit jusqu’au crime ; il fut rebelle contre l’Eternel, son Seigneur, et pénétra dans le sanctuaire de l’Eternel, pour faire des fumigations sur l’autel des parfums. (II Chroniques 26 : 16).

C’est l’orgueil et le goût du pouvoir absolu qui conduisent le roi Ouzziahou à la totale solitude du lépreux qu’il est devenu, solitude dans laquelle il mourra :

כא וַיְהִי עֻזִּיָּהוּ הַמֶּלֶךְ מְצֹרָע עַד-יוֹם מוֹתוֹ וַיֵּשֶׁב בֵּית החפשות (הַחָפְשִׁית) מְצֹרָע כִּי נִגְזַר מִבֵּית יְהוָה וְיוֹתָם בְּנוֹ עַל-בֵּית הַמֶּלֶךְ שׁוֹפֵט אֶת-עַם הָאָרֶץ. (דברי הימים ב, כו: כא)21 Et le roi Ouzzia resta atteint de lèpre jusqu’au jour de sa mort et demeura lépreux dans une maison d’isolement, car il avait été retranché du Temple de l’Eternel. Jotham, son fils, préposé au palais du roi, gouvernait les gens du pays. (II Chroniques 26 : 21).

ש «רַבִּי אֶלְעָזָר הַקַּפָּר אוֹמֵר: הַקִּנְאָה וְהַתַּאֲוָה וְהַכָּבוֹד מוֹצִיאִין אֶת הָאָדָם מִן הָעוֹלָם» (פרקי אבות ד: כא)

« Rabbi Eléazar Hakappar enseigne : La jalousie, la concupiscence et la recherche des honneurs excluent l’homme de ce monde. » (Maximes des Pères 4 : 21).


[1] Haftarat Tazria : II Rois 4 : 42-5 : 19.

[2] Parashat Tazria : Lévitique 12 : 1-13 : 59.

[3] Hilkhot Toum’at tsara’at 16, 10 et suiv. (הלכות טומאת צרעת טז,י ואילך).

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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