L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Bo, Méditation sur la Transmission

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.

La parashat Bo[1] se caractérise par l’apparition des trois derniers fléaux d’Egypte venant compléter les sept premiers mentionnés dans la parashah précédente, la parashat VaEra.

Quel est le dessein de ces Dix plaies frappant la puissance pharaonique ?

Les Dix plaies visent-elles exclusivement à mieux faire connaître à Pharaon et au peuple égyptien l’omnipotence et l’omniprésence de l’Eternel, comme l’évoque à maintes reprises la source biblique ?

ג וַאֲנִי אַקְשֶׁה אֶת-לֵב פַּרְעֹה וְהִרְבֵּיתִי אֶת-אֹתֹתַי וְאֶת-מוֹפְתַי בְּאֶרֶץ מִצְרָיִם. ד וְלֹא-יִשְׁמַע אֲלֵכֶם פַּרְעֹה וְנָתַתִּי אֶת-יָדִי בְּמִצְרָיִם וְהוֹצֵאתִי אֶת-צִבְאֹתַי אֶת-עַמִּי בְנֵי-יִשְׂרָאֵל מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם בִּשְׁפָטִים גְּדֹלִים. (שמת ז: ג-ד)3 Et Moi [L’Eternel], J’endurcirai le cœur de Pharaon et je multiplierai mes signes et mes preuves de puissance dans le pays d’Égypte. 4 Et Pharaon ne vous écoutera pas, mais J’imposerai ma main sur l’Égypte et Je ferai sortir mes légions, les Israélites mon peuple, du pays d’Égypte, après une vindicte éclatante. (Exode 7 : 3-4).

Si en effet, les Dix plaies ont pour dessein de révéler à Pharaon la Toute-Puissance créatrice et libératrice de l’Eternel, Lui seul capable de libérer les Hébreux de l’esclavage d’Egypte, elles sont essentiellement tournées vers les fils d’Israël :

ב וּלְמַעַן תְּסַפֵּר בְּאָזְנֵי בִנְךָ וּבֶן-בִּנְךָ אֵת אֲשֶׁר הִתְעַלַּלְתִּי בְּמִצְרַיִם וְאֶת-אֹתֹתַי אֲשֶׁר-שַׂמְתִּי בָם וִידַעְתֶּם כִּי-אֲנִי יְהוָה. (שמות י: ב)2 et afin que tu racontes à ton fils, à ton petit-fils, ce que j’ai fait aux Égyptiens et les signes [les fleaux] que j’ai opérées contre eux; vous reconnaîtrez ainsi que Je suis l’Éternel.” (Exode 10 : 2).

La racine verbale S.P.R./ ס.פ.ר. du verbe תְּסַפֵּר/ TeSaPeR signifie « raconter, témoigner » d’un fait, d’un évènement, d’une expérience vécue (Genèse 37: 9-10). Ainsi, au soir du 15 Nissan, toutes les familles du peuple d’Israël se réunissent au cours du repas du Seder afin de commémorer l’Histoire de la Sortie d’Egypte et raconter cette expérience de Liberté dans le but de la revivre pleinement en son âme et conscience :

«חַיָּב אָדָם לִרְאוֹת אֶת עַצְמוֹ כְּאִילּוּ הוּא יָצָא מִמִּצְרָיִם»

« L’homme doit se considérer lui-même comme s’il était sorti d’Egypte ».

Or lorsque l’Eternel fait savoir à Pharaon la raison pour laquelle il ne l’a pas détruit, ce même verbe S.P.R./ס.פ.ר. a le sens de « glorifier, publier ».

טז וְאוּלָם בַּעֲבוּר זֹאת הֶעֱמַדְתִּיךָ בַּעֲבוּר הַרְאֹתְךָ אֶת-כֹּחִי וּלְמַעַן סַפֵּר שְׁמִי בְּכָל-הָאָרֶץ. (שמות ט: טז)16 Mais voici pourquoi Je t’ai laissé vivre pour te faire voir ma puissance et pour raconter [glorifier, publier] mon nom dans le monde. (Exode 9 : 16).

Les Dix Plaies d’Egypte ont donc pour but de conduire les Hébreux à graver dans leur Mémoire collective l’intention génocidaire de Pharaon, Mémoire collective nécessaire afin que les Hébreux, de « fils d’Israël » (בְּנֵי יִשְׂרָאֵל, Exode 2 : 23…) accèdent au statut élevé de « peuple des fils d’Israël » (עַם בְּנֵי יִשְׂרָאֵל Exode 1 : 8) puis de « peuple d’Israël » (הָעָם, Exode 1 : 20). Les fils d’Israël, alors dispersés après la mort de Yoseph, perdent la Mémoire de leur origine commune que le fils de Ya’akov aspirait tant à conserver. Moïse, envoyé par l’Eternel, poursuivant le projet divin de l’union de frères entrepris par Yoseph, a pour vocation d’unir les « בְּנֵי יִשְׂרָאֵל fils d’Israël » en une seule entité et d’en faire un seul peuple. Le mot peuple Am-עַם  fait écho au mot de liaison ‘Im- עִם signifiant « avec ».  La grandeur d’un peuple ne se mesure point seulement à sa démographie mais à sa faculté de conserver sa Mémoire.

Quels liens communs unissent les Juifs d’Ethiopie, de France, d’Amérique, de Pologne et de Russie, si ce ne sont les liens de la Mémoire commune de la souffrance esclavagiste et de la Sortie d’Egypte ! ? Le Souvenir de la catastrophe de la Shoah efface toute forme de divisions intestines au sein du peuple d’Israël. Après les massacres du 7 octobre 2023, la société israélienne s’unit de nouveau autour de sa douleur indescriptible qui, nous pouvons en être certains, restera à tout jamais inscrite dans la Mémoire collective de ce petit peuple qui a déjà tant souffert. Nous comprenons mieux que quiconque la menace concrète qui ne finit pas de nous hanter, celle d’une disparition absolue telle que les Pharaons de l’Histoire, Hitler, Staline, le Hamas, le Jihad et le ‘Hezbollah y ont toujours aspiré.  

La Mémoire n’est rendue possible que par la Transmission des parents à leurs enfants. C’est la raison pour laquelle, Pharaon va tenter de séparer les générations.  

Le Prophète des prophètes Moïse, conscient que toute brisure de la chaîne transgénérationnelle porterait un coup fatal au continuum de la Transmission constitutif de la pérennité d’Israël, s’empresse de s’opposer à Pharaon tentant de diviser les générations :

ח וַיּוּשַׁב אֶת-מֹשֶׁה וְאֶת-אַהֲרֹן אֶל-פַּרְעֹה וַיֹּאמֶר אֲלֵהֶם לְכוּ עִבְדוּ אֶת-יְהוָה אֱלֹהֵיכֶם מִי וָמִי הַהֹלְכִים. ט וַיֹּאמֶר מֹשֶׁה בִּנְעָרֵינוּ וּבִזְקֵנֵינוּ נֵלֵךְ בְּבָנֵינוּ וּבִבְנוֹתֵנוּ בְּצֹאנֵנוּ וּבִבְקָרֵנוּ נֵלֵךְ כִּי חַג-יְהוָה לָנוּ. (שמות י: ח-ט)8 Et Moïse et Aaron furent rappelés auprès de Pharaon, qui leur dit : “Allez servir l’Éternel votre Dieu ; quels sont ceux qui iront ?” 9 Et Moïse répondit : “Nous irons jeunes gens et vieillards ; nous irons avec nos fils et nos filles, avec nos brebis et nos bœufs, car nous avons à fêter l’Éternel.” (Exode 10 : 8-9).

Comment cette Transmission peut est-elle être possible ?

Le grand grammairien Rabbi David Kim’hi (« Sefer HaShorashim ») précise que la racine ס.פ.ר. / S.F[P].R. signifie également « inscrire » :

ו  יְהוָה יִסְפֹּר בִּכְתוֹב עַמִּים זֶה יֻלַּד-שָׁם סֶלָה…(תהלים פז: ו)6 L’Eternel, en inscrivant [raconte en inscrivant] les nations, proclame : “Un tel y est né !” Sélah !… (Psaume 87 : 6).

Et aussi « lire » :

יב וְנִתַּן הַסֵּפֶר עַל אֲשֶׁר לֹא-יָדַע סֵפֶר לֵאמֹר קְרָא נָא-זֶה וְאָמַר לֹא יָדַעְתִּי סֵפֶר. (ישעיהו כט: יב) 12 Et si on présente le livre à un homme illettré en lui disant : “Lis donc ceci !” Il répond : “Je ne sais pas lire.” (Isaïe 29 : 12).

En effet, si la Mémoire n’est pas gravée à même le roc, écrite sur parchemin, sur le papier comme Gutenberg l’avait très bien compris en démocratisant la diffusion de la Bible en Europe par son invention de l’imprimerie et aujourd’hui sur des plateformes numériques, alors seule une élite pourra en avoir connaissance. Or la Mémoire ne doit pas demeurer le lot d’une élite minoritaire mais appartenir au plus grand nombre. A l’écriture succède la lecture, ouvrant à la difficile interprétation des mots, interprétation synonyme de Liberté.

Les quatre phases fondamentales menant à la Liberté des hommes se fondent sur l’écriture, la lecture, l’ouverture d’esprit et la remise en question face au mot gravé. C’est la raison pour laquelle, le roi Joïakim, fils de Josias commet le premier autodafé de l’Histoire biblique en brûlant le rouleau de parchemin dénommé סֵפֶר SePheR[2] rédigé par le secrétaire du prophète Jérémie Baroukh ben Neryia qui, rapportant les remontrances de ce dernier contre les déviations du peuple et du régime en place, sera détruit totalement (Jérémie 36 : 23).

 Le livre d’Esther nous apprend que la Mémoire écrite, source de salvation, va conduire Mordechaï à devenir le vice-roi du roi Assuérus qui réussira finalement à annuler le décret d’extermination d’Aman :

א בַּלַּיְלָה הַהוּא נָדְדָה שְׁנַת הַמֶּלֶךְ וַיֹּאמֶר לְהָבִיא אֶת-סֵפֶר הַזִּכְרֹנוֹת דִּבְרֵי הַיָּמִים וַיִּהְיוּ נִקְרָאִים לִפְנֵי הַמֶּלֶךְ. ב וַיִּמָּצֵא כָתוּב אֲשֶׁר הִגִּיד מָרְדֳּכַי עַל-בִּגְתָנָא וָתֶרֶשׁ שְׁנֵי סָרִיסֵי הַמֶּלֶךְ מִשֹּׁמְרֵי הַסַּף אֲשֶׁר בִּקְשׁוּ לִשְׁלֹחַ יָד בַּמֶּלֶךְ אֲחַשְׁוֵרוֹשׁ. (אסתר ו: א-ב)1 Cette même nuit, comme le sommeil fuyait le roi, il ordonna d’apporter le recueil des annales [le rouleau des souvenirs] relatant les événements passés, et on en fit la lecture devant le roi. 2 On y trouva consigné ce fait que Mordechai avait dénoncé Bigtana et Térech, deux des eunuques du roi, préposés à la garde du seuil, qui avaient résolu d’attenter à la vie du roi Assuérus. (Esther 6 : 1-2).

Le livre, incarnation de la culture, a souvent été considérée comme une menace pouvant conduire à la libre expression, à la révolte et au changement. Mao Tsé-toung, en initiant la « grande révolution culturelle » en Chine (1966-1976), va faire éliminer des millions d’intellectuels (tous ceux qui portaient des lunettes notamment comme dans le cas du génocide cambodgien perpétré par Pol Pot et les Khmers rouges), intellectuels qu’il jugeait dangereux pour son pouvoir. Il faut attendre Deng Xiaoping qui, aux rênes du pouvoir en Chine, aura l’idée de lancer le programme Boluan Fanzheng qui, annulant la cruelle politique de répression culturelle, vise à « éliminer le chaos et revenir à la normale ». La Chine, comprenant que sa toute-puissance militaire ne suffirait pas, à elle seule, à dominer le monde, développe sa propre culture capable de faire d’elle une grande puissance mondiale. 

Josias, au contraire de son fils le roi Joïakim, lancera une réforme spirituelle importante après la découverte du rouleau de la Tora trouvé miraculeusement à la suite de travaux de réparation du Temple :

ח וַיֹּאמֶר חִלְקִיָּהוּ הַכֹּהֵן הַגָּדוֹל עַל-שָׁפָן הַסֹּפֵר סֵפֶר הַתּוֹרָה מָצָאתִי בְּבֵית יְהוָה וַיִּתֵּן חִלְקִיָּה אֶת-הַסֵּפֶר אֶל-שָׁפָן וַיִּקְרָאֵהוּ. (מלכים ב, כב: ח)8 A cette occasion, Hilkiyyahou, le grand-prêtre, dit à Shafan, le secrétaire : “Le rouleau de la Tora a été trouvé par moi dans le Temple du Seigneur et il le remit à Shafan, qui le lut. (II Rois 22 : 8).

Les idoles furent brûlées et le culte étranger banni. Puis le roi Josias renouvela l’Alliance avec l’Eternel en réinstaurant le sacrifice pascal, symbole de Liberté physique, mentale et spirituelle :

כא וַיְצַו הַמֶּלֶךְ אֶת-כָּל-הָעָם לֵאמֹר עֲשׂוּ פֶסַח לַיהוָה אֱלֹהֵיכֶם כַּכָּתוּב עַל סֵפֶר הַבְּרִית הַזֶּה. (מלכים ב כג: כא)21 Et le roi donna à tout le peuple l’ordre suivant : “Célébrez la Pâque en l’honneur de l’Eternel, votre Seigneur, telle qu’elle est prescrite dans ce livre de l’Alliance.” (II Rois 23 : 21).

C’est donc la découverte du Livre de l’Alliance, du Deutéronome qui restaure le souffle perdu de la Transmission et du renouveau spirituel dans le royaume de Yehoudah (Juda).

Rabbi David Kim’hi dans son œuvre majeure le Livre des Racines rapporte la thèse que la pierre SaPhiR contenant les consonnes de la racine ס.פ.ר. / S.F[P].R. signifie « pierre rouge, cristal » et même « diamant ». Quel que puisse être le sens exact de cette pierre resplendissante de beauté sur laquelle repose Jérusalem, il serait possible de renouveler la lecture de ce verset du livre d’Isaïe en proposant de lire ַּ בַּסַּפִּירִים non plus « dans les pierres de saphir » mais « par les livres », BaSefarim. L’édification de Jérusalem, de la Nation d’Israël s’élabore essentiellement par la Transmission infinie de notre Culture que les membres terroristes du Hamas ont tenté de freiner en nous empêchant de recommencer, le 7 octobre 2023, le cycle de la lecture de la Tora (Exode 24 : 7). En effet, ce shabbat était jour de Sim’hat-Tora, jour où l’on relie la dernière parashah de la Tora avec la première.

L’on peut assassiner un Juif mais l’on ne pourra jamais annihiler son Ame, sa Culture, son Esprit et son Histoire[3] :

יא עֲנִיָּה סֹעֲרָה לֹא נֻחָמָה הִנֵּה אָנֹכִי מַרְבִּיץ בַּפּוּךְ אֲבָנַיִךְ וִיסַדְתִּיךְ בַּסַּפִּירִים. (ישעיהו נד: יא)11 Malheureuse, battue par la tempête, privée de consolation ! Vois, je cimenterai tes pierres avec le stuc, et je te bâtirai sur des pierres de saphir. (Isaïe 54 : 11),

[1] Parashat Bo : 10 : 1-13 : 16.

[2] Le terme SePheR est traduit en hébreu moderne par le terme « livre ».

[3] Le prophète Jérémie, loin de désespérer après que son rouleau ait été consumé par les flammes, décide d’en réécrire une nouvelle version (Jérémie 36 : 32).    

Shabbat shalom,

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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