Le caveau des Patriarches, Grottre de la Makhpela – Hébron
Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas.
La parashat Hayé Sarah[1] débute par la mort de la Matriarche Sarah et l’éloge funèbre que lui rend son époux le Patriarche Avraham. L’une des premières inquiétudes du Patriarche Avraham réside dans la recherche d’une tombe à son épouse bien-aimée :
ג וַיָּקָם אַבְרָהָם מֵעַל פְּנֵי מֵתוֹ וַיְדַבֵּר אֶל-בְּנֵי-חֵת לֵאמֹר. ד גֵּר-וְתוֹשָׁב אָנֹכִי עִמָּכֶם תְּנוּ לִי אֲחֻזַּת-קֶבֶר עִמָּכֶם וְאֶקְבְּרָה מֵתִי מִלְּפָנָי. (בראשית כג: ג-ד) | 3 Et Abraham se releva de devant son mort et alla parler aux enfants de ‘Heth en ces termes : 4 “Je ne suis qu’un étranger domicilié parmi vous : accordez-moi la propriété d’une sépulture au milieu de vous, que j’ensevelisse ce mort qui est devant moi.” (Genèse 23 : 3-4). |
Devant l’empressement d’Avraham, les enfants de ‘Heth prennent le temps de négocier :
ה וַיַּעֲנוּ בְנֵי-חֵת אֶת-אַבְרָהָם לֵאמֹר לוֹ. ו שְׁמָעֵנוּ אֲדֹנִי, נְשִׂיא אֱלֹהִים אַתָּה בְּתוֹכֵנוּ בְּמִבְחַר קְבָרֵינוּ קְבֹר אֶת-מֵתֶךָ אִישׁ מִמֶּנּוּ אֶת-קִבְרוֹ לֹא-יִכְלֶה מִמְּךָ מִקְּבֹר מֵתֶךָ. (בראשית כג: ה-ו) | 5 Et les enfants de Heth répondirent à Abraham en lui disant : 6 “Écoute-nous, seigneur ! Tu es un dignitaire du Seigneur au milieu de nous, dans la meilleure de nos tombes, ensevelis ton mort. Nul d’entre nous ne te refusera sa tombe pour inhumer ton mort.” (Genèse 23 : 5-6). |
Cette réponse où apparaît quatre fois la racine de l’inhumation ק.ב.ר./ K.V [B].R. révèle le dénominateur commun existant entre Avraham, le père du monothéisme et les fils de ‘Heth, païens de Cana’an. Ces derniers comme Avraham reconnaissent la nécessité d’ensevelir les morts et, par conséquent, acceptent d’offrir par respect pour la morte une sépulture à Sarah, toutefois en négociant devant Avraham un prix élevé pour l’époque.
Si les hommes naissent égaux, ils meurent également égaux.
Il nous faut remarquer l’importance de la racine ק.ב.ר./ K.V [B].R. mentionnée pas moins de treize fois dans le chapitre 24 de notre parashah. Cette répétition révèle la valeur absolue qu’octroie le texte biblique au principe d’honorer le défunt par la sépulture et l’accompagnement de celui-ci vers sa dernière demeure.
Les Sages d’Israël déduisent cet impératif d’honorer tout défunt d’une sépulture en référence au cadavre pendu au gibet :
כג לֹא-תָלִין נִבְלָתוֹ עַל-הָעֵץ כִּי-קָבוֹר תִּקְבְּרֶנּוּ בַּיּוֹם הַהוּא כִּי-קִלְלַת אֱלֹהִים תָּלוּי וְלֹא תְטַמֵּא אֶת-אַדְמָתְךָ אֲשֶׁר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לְךָ נַחֲלָה. (דברים כא: כג) | 23 tu ne laisseras pas séjourner son cadavre sur le gibet, mais tu auras soin de l’enterrer le même jour, car un pendu est chose offensante pour le Seigneur, et tu ne dois pas souiller ton pays, que l’Éternel, ton Seigneur, te donne en héritage. (Deutéronome 21 : 23). |
Dans la mesure où un condamné à mort est digne d’une sépulture, a fortiori toute autre créature humaine, la tautologie biblique «קָבוֹר תִּקְבְּרֶנּוּ /tu devras assurément l’enterrer » exprime clairement cette obligation.
Pourquoi la Tora insiste-t-elle tant sur le principe d’octroyer une tombe à toute personne défunte, et ce quelle que soit son origine ?
Trois raisons fondamentales peuvent être déduites du texte biblique, la première dans la Genèse et les deux autres dans le Deutéronome :
Premièrement :
יט בְּזֵעַת אַפֶּיךָ תֹּאכַל לֶחֶם עַד שׁוּבְךָ אֶל-הָאֲדָמָה כִּי מִמֶּנָּה לֻקָּחְתָּ כִּי-עָפָר אַתָּה וְאֶל-עָפָר תָּשׁוּב. (בראשית ג: יט) | 19 C’est à la sueur de ton visage que tu mangeras du pain, – jusqu’à ce que tu retournes à la terre d’où tu as été tiré : car poussière tu fus, et poussière tu redeviendras ! (Genèse 3 : 19). |
Deuxièmement :
כג לֹא-תָלִין נִבְלָתוֹ עַל-הָעֵץ כִּי-קָבוֹר תִּקְבְּרֶנּוּ בַּיּוֹם הַהוּא כִּי-קִלְלַת אֱלֹהִים תָּלוּי… (דברים כא: כג) | 23 tu ne laisseras pas séjourner son cadavre sur le gibet, mais tu auras soin de l’enterrer le même jour, car un pendu est chose offensante pour le Seigneur … (Deutéronome 21 : 23). |
L’enterrement doit être immédiat – le jour même du décès – car un corps laissé à l’abandon est considéré comme une insulte -un crime de lèse-majesté- à l’égard du Créateur :
כז וַיִּבְרָא אֱלֹהִים אֶת הָאָדָם בְּצַלְמוֹ בְּצֶלֶם אֱלֹהִים בָּרָא אֹתוֹ זָכָר וּנְקֵבָה בָּרָא אֹתָם. (בראשית א: כז) | 27 Et le Seigneur créa l’homme à son image ; c’est à l’image du Seigneur qu’il le créa. Mâle et femelle ils furent créés à la fois. (Genèse 1 : 27). |
Les commentateurs Sforno (1468/1473-1549) et Rabbenou Behayé (1050-1120) s’accordent tous deux pour soutenir la thèse que le terme « בְּצַלְמוֹ /BeTsaLMO / à son image », celle du Seigneur, se rapporte à la conscience morale de l’Homme. Sforno parle de « – עֶצֶם הַנֶּפֶשׁ הַשִּׂכְלִית בָּאָדָם Etsem HaNefesh HaSikhlit BaAdam – l’essence vitale de l’intellect qui est en l’Homme ».
C’est cette image divine en l’Homme, cette même conscience que les terroristes du Hamas -ceux-là même qui n’ont aucun צֶלֶם Tselem, aucun visage d’humanité- ont voulu détruire lors du shabbat de Sim’hat Tora le 7 octobre 2023.
Troisièmement :
כג … וְלֹא תְטַמֵּא אֶת-אַדְמָתְךָ אֲשֶׁר יְהוָה אֱלֹהֶיךָ נֹתֵן לְךָ נַחֲלָה. (דברים כא: כג) | 23 …et tu ne dois pas rendre impure ta terre, que l’Éternel, ton Seigneur, te donne en héritage. (Deutéronome 21 : 23). |
L’interdiction de laisser un cadavre à même la terre, action qui la rendrait impure, fait écho au meurtre de הָבֶל Hevel (Abel) par son frère Cayin (Caïn) qui abandonna la dépouille du défunt :
י וַיֹּאמֶר מֶה עָשִׂיתָ קוֹל דְּמֵי אָחִיךָ צֹעֲקִים אֵלַי מִן-הָאֲדָמָה. (בראשית ד: י) | 10 Et le Seigneur dit : Qu’as-tu fait ! Le cri des sangs de ton frère s’élèvent jusqu’à moi de la terre. (Genèse 4 : 10). |
En ces jours d’épreuves, de massacres et d’enlèvement, puissent les paroles du prophète Isaïe devenir une réalité palpable pour l’ensemble du peuple d’Israël :
ח בִּלַּע הַמָּוֶת לָנֶצַח וּמָחָה אֲדֹנָי יְהוִה דִּמְעָה מֵעַל כָּל-פָּנִים וְחֶרְפַּת עַמּוֹ יָסִיר מֵעַל כָּל-הָאָרֶץ כִּי יְהוָה דִּבֵּר. (ישעיה כה: ח) | 8 À jamais il anéantira la mort, et ainsi le Seigneur l’Eternel fera sécher les larmes sur tout visage et disparaître de toute la terre l’opprobre de son peuple, car c’est l’Eternel qui a parlé. (Isaïe 25 : 8). |
[1] Parashat Hayé Sarah : Genèse 23 : 1-25 : 18.
Shabbat shalom,
Haïm Ouizemann