L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat VaYera, Méditation sur le fanatisme

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

“Le sacrifice d’Isaac” – Rembrandt –
Musée de l’Ermitage (Wikipedia)

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas.

La parashat VaYera[1] évoque essentiellement trois événements importants mettant en lumière le caractère du Patriarche Avraham. Le premier événement est celui de l’hospitalité d’Avraham offerte à trois voyageurs inconnus du désert, le deuxième concerne la requête pressante d’Avraham à l’Eternel de sauver les justes pouvant se trouver dans les cinq cités où régnait le Mal. Quant au troisième événement, certainement le plus complexe à saisir, est celui du sacrifice d’Isaac (עֲקֵדַת-יִצְחָק Akedat Its’hak) par Avraham.

א וַיְהִי אַחַר הַדְּבָרִים הָאֵלֶּה וְהָאֱלֹהִים נִסָּה אֶת-אַבְרָהָם וַיֹּאמֶר אֵלָיו אַבְרָהָם וַיֹּאמֶר הִנֵּנִי. ב וַיֹּאמֶר קַח-נָא אֶת-בִּנְךָ אֶת-יְחִידְךָ אֲשֶׁר-אָהַבְתָּ אֶת-יִצְחָק וְלֶךְ-לְךָ אֶל-אֶרֶץ הַמֹּרִיָּה וְהַעֲלֵהוּ שָׁם לְעֹלָה עַל אַחַד הֶהָרִים אֲשֶׁר אֹמַר אֵלֶיךָ. (בראשית כב: א-ב)1 Et il advint, après ces faits, que le Seigneur éprouva Abraham. Et Il lui dit : “Abraham !” Il répondit : “Me voici.” 2 Et Il reprit ” Prends ton fils, ton fils unique, celui que tu aimes, Isaac ; et achemine-toi vers la terre de Moriah et là offre-le en holocauste sur une montagne que je te désignerai.” (Genèse 22 : 1-2).

Alors qu’Avraham s’inquiète du bien-être d’hommes anonymes surgissant du désert au point de leur offrir généreusement l’hospitalité, alors qu’il ose débattre avec véhémence avec l’Eternel afin de sauver de la mort des innocents lors de la destruction de Sodome et Gomorrhe, comment peut-il se montrer disposé à sacrifier sans hésitation son fils unique, son fils aimé, Isaac ?

Alors que la majorité des Sages d’Israël s’accordent à penser qu’Avraham témoigne de sa pleine et entière soumission et confiance au Maître de l’Univers en obéissant aveuglément à l’injonction divine d’offrir son fils Isaac sur l’autel des sacrifices, néanmoins tous ne s’accordent point avec cette thèse faisant l’apologie de la soumission aveugle du Patriarche Avraham.

Les Sages d’Israël enseignent : 

ש «״אֲשֶׁר לֹא צִוֵּיתִי״ (ירמיהו יט: ה): זֶה בְּנוֹ שֶׁל מֵישַׁע מֶלֶךְ מוֹאָב, שֶׁנֶּאֱמַר: ״וַיִּקַּח אֶת בְּנוֹ הַבְּכוֹר אֲשֶׁר יִמְלֹךְ תַּחְתָּיו וַיַּעֲלֵהוּ עֹלָה״ (מלכים ב’ ג: כז); ״וְלֹא דִבַּרְתִּי״  זֶה יִפְתָּח; ״וְלֹא עָלְתָה עַל לִבִּי: זֶה יִצְחָק בֶּן אַבְרָהָם.» (תענית ד: א על הפסוק ירמיהו יט: ה).

«”Que je n’ai pas enjoint” (Jérémie 19: 5) : il s’agit du fils de Meisha, roi de Moav, comme il est dit : “et il prit son fils aîné qui devait régner à sa place et l’offrit comme holocauste (II Rois 3 : 27); “et dont je n’ai pas parlé”- il s’agit d’Ifta’h; “Et qui ne m’est pas venu à l’esprit [mot-à-mot: ‘dans le cœur’, qui est le siège de la pensée] : il s’agit d’Isaac fils d’Avraham ». (Traité Ta’anit 4 : a sur le verset Jérémie 19, 5).

Ce texte du Talmud soutient la thèse qu’Avraham a commis la grave erreur de vouloir sacrifier son fils sur le modèle du roi de Moav, Meisha et d’Ifta’h qui immola sa fille, refusant d’annuler son vœu.

De plus, Rashi explique :

ש «וְהַעֲלֵהוּ (בראשית כב: ב):לֹא אָמַר לוֹ שַׁחֲטֵהוּ לְפִי שֶׁלֹּא הָיָה חָפֵץ הַקָּדוֹשׁ בָּרוּךְ הוּא לְשַׁחֲטוֹ אֶלָּא לְהַעֲלֵהוּ לָהָר לַעֲשׂוֹתוֹ עוֹלָה וּמִשֶּׁהֶעֱלָהוּ אָמַר לוֹ הוֹרִידֵהוּ» (רש”י על הפסוק בראשית כב: ב).

« “Et fais-le monter” : Il ne lui a pas dit : ‘et fais-le monter’, car le Saint béni soit-Il ne voulait pas qu’il l’égorge, mais seulement qu’il le fasse ‘monter’ sur la montagne pour en faire une offrande. Et après l’avoir fait monter, Il lui aurait dit : ‘Fais-le descendre’ ! ».

Rashi est d’avis donc qu’Avraham a mal interprété la volonté de L’Eternel.

Le commentateur-grammairien Malbim (1809-1879) nous aide à comprendre cette erreur de jugement par le biais d’une lecture approfondie de la source biblique.

 Malbim explique que la racine ע.ל.י [ה]  / Aiyn. L.Y [H] signifie à la forme factitive du hif’il « faire monter », autrement dit « sacrifier, offrir en holocauste » lorsqu’elle est suivie de la particule du complément d’objet direct, « Ett, אֶת  » (Lévitique 14 : 20). Et il remarque que, quand l’Eternel enjoint à Avraham ‘ וְהַעֲלֵהוּ / VeHa’aleiHOu’ (‘fais-le monter’), ce verbe est suivi de la préposition Lamed ל’ (‘לְעֹלָה’) qui a le sens d’ « élever » et non point de « sacrifier ». Avraham aurait donc mal interprété la Parole divine ! Malbim veut signifier que la distance entre le fanatisme, le ‘zèle du Seigneur’, et la tolérance est extrêmement ténue.

A cela, il est un sens de la racine ע.ל.י [ה]  / Aiyn. L.Y[H] dont on fait peu de cas, le sens à la forme factitive du hif’il de « enlever, retirer » (Psaume 102 : 25). Autrement dit, l’Eternel n’aurait point enjoint à Avraham de faire monter son fils sur le mont Moriah pour l’y sacrifier mais au contraire, il ne doit surtout pas agir comme les Nations offrant leurs enfants à Molokh et sacrifier son fils unique et aimé Isaac duquel dépend l’avenir entier du peuple d’Israël.  

En somme, l’épreuve envoyée à Avraham reside principalement dans la compréhension et l’interprétation de La Parole divine. De fait, il aurait dû entamer un dialogue avec l’Eternel, comme il l’a fait pour les villes de Sodome et Gomorrhe, ce qui aurait marqué un désir de comprendre et d’approfondir la pensée divine, une volonté d’apprendre et de garder les injonctions divines de manière complète et parfaite. Au lieu de quoi, Avraham a exécuté la Parole de l’Eternel de manière spontanée, sans mettre en œuvre sa pensée et sa réflexion, ce qui s’apparente presque à de l’idolâtrie. En effet, l’Amour est absent de cette relation à l’Eternel, la crainte seule gouvernant la conduite d’Avraham. En d’autres termes, Avraham semble ignorer la dimension d’amour contenue dans le Tétragramme pour ne connaître que l’aspect de justice et de rigueur d’Elohim אלֹהִים, aspect que les Nations sont appelées à reconnaître.  

 Malbim tente de comprendre l’attitude erronée d’Avraham :

ש «אָמְנָם אִם הָיָה אַבְרָהָם מְדַקְדֵק הֵיטֵב, הָיָה מֵבִין שֶׁלֹּא כִּוֵּן ה’ כְּלָל שֶׁיִצְחָק יִהְיֶה עוֹלָה… וּמֵרוֹב אַהֲבָתוֹ לֵאלֹהִים וּמֵרוֹב חֶשְׁקוֹ לְקַיֵּים מִצְו‍ֹתָיו וּמֵרוֹב שִׂמְחָתוֹ שֶׁזָכָה שֶׁבְּנוֹ יִהְיֶה עוֹלָה לַה’ לְרֵיחַ נִיחוֹחַ, לֹא חָקַר כְּלָל וְלֹא הֶעֱמִיק בַּדְְּבָרִים, וְרָץ כַּצְּבִי לְמַהֵר לַעֲשׂוֹת מִצְו‍ֹתָיו, עַד שֶׁהוּצְרָךְ הַמַּלְאָךְ לְעַכְּבוֹ».

« ‘Toutefois si Avraham avait été plus pointilleux, il aurait compris que l’intention de l’Eternel n’était en aucune manière de se voir offrir Isaac en holocauste…et son amour pour le Seigneur était tel, et son désir de pratiquer les injonctions divines était tel, et sa joie d’avoir mérité que son fils soit offert comme sacrifice à l’Eternel en “odeur agréable” était tel, qu’il (Avraham) n’a aucunement examiné ni approfondi les Paroles divines et il a couru comme une gazelle pour s’empresser d’accomplir Ses injonctions jusqu’à ce que l’ange ait dû l’en empêcher ». (Malbim).

יב וַיֹּאמֶר אַל-תִּשְׁלַח יָדְךָ אֶל-הַנַּעַר וְאַל-תַּעַשׂ לוֹ מְאוּמָה כִּי עַתָּה יָדַעְתִּי, כִּי-יְרֵא אֱלֹהִים אַתָּה וְלֹא חָשַׂכְתָּ אֶת-בִּנְךָ אֶת-יְחִידְךָ, מִמֶּנִּי. (בראשית כב: יב)12 Et il dit : “Ne porte pas la main sur ce jeune homme, ne lui fais aucun mal ! car, désormais, j’ai constaté que tu crains le Seigneur et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton fils unique !” (Genèse 22 : 12).

Avraham aurait dû se rappeler le destin réservé à son fils et se projeter sur l’avenir du futur peuple d’Israël reposant sur son fils Isaac :

יב… כִּי בְיִצְחָק יִקָּרֵא לְךָ זָרַע. (בראשית כא: ב)12 … car c’est la postérité d’Isaac qui portera ton nom. (Genèse 21 : 12).

Avraham aveuglé, paralysé même par sa crainte révérencielle de l’Eternel, pousse l’obéissance à l’injonction divine jusqu’à la destruction du futur peuple d’Israël. C’est là le germe du fanatisme, source de destruction et d’anéantissement de l’espérance d’un monde meilleur.

La source biblique, par le biais de l’incompréhension d’Avraham, nous met donc en garde contre toute forme de fanatisme, de fondamentalisme religieux se fondant sur « une authenticité, une pureté » de la Parole divine.

La confiance au Divin, nous signifient les commentateurs, se fonde essentiellement sur la question, sur la recherche de la Vérité s’accompagnant d’incertitudes intérieures et non point sur des certitudes dogmatiques conduisant, comme souvent l’Histoire nous l’apprend, vers des guerres de religion et des bains de sang entre les membres d’une même communauté ou de communautés spirituelles étrangères l’une à l’autre.  

Ces guerres de religion ne sont point sans rappeler le prophète Jérémie, par la voix duquel l’Eternel précise clairement que sacrifier des enfants constitue une abomination :

ה וּבָנוּ אֶת בָּמוֹת הַבַּעַל  לִשְׂרֹף אֶת בְּנֵיהֶם בָּאֵשׁ עֹלוֹת לַבָּעַל אֲשֶׁר לֹא-צִוִּיתִי וְלֹא דִבַּרְתִּי וְלֹא עָלְתָה עַל-לִבִּי. (ירמיהו יט: ה)5 Et ils bâtirent les hauts-lieux de Baal, pour brûler leurs enfants comme holocaustes à Baal, ce que je n’ai ni prescrit ni recommandé et ce qui ne m’est jamais venu à la pensée. (Jérémie 19 : 5).

Le texte biblique se veut être l’antithèse de la mythologie grecque. En effet, l’on compare souvent l’histoire d’Iphigénie, fille d’Agamemnon, sacrifiée par ce dernier sur les conseils du devin Chalcas afin d’apaiser l’ire de la déesse Artémis et lui octroyer la victoire sur la cité de Troie. Iphigénie acceptant d’être sacrifiée au nom de la victoire sur Troie, aurait été remplacée par une biche par Artémis. Ce culte apotropaïque est semblable au geste de Meisha roi de Moav, qui a effectivement eu gain de cause en offrant son fils aîné, son successeur. 

Les terroristes du mouvement Hamas mettant l’accent sur la notion de victoire sur « l’ennemi sioniste » ne reculent devant rien ni personne et s’offrent vivants pour devenir shahids, pensant ainsi plaire à Allah, à l’idée qu’ils se font du Seigneur. En réalité, ils sont semblables à ceux qui, dans l’Antiquité, s’offraient sur l’autel de Molekh :

כא וּמִזַּרְעֲךָ לֹא-תִתֵּן לְהַעֲבִיר לַמֹּלֶךְ וְלֹא תְחַלֵּל אֶת-שֵׁם אֱלֹהֶיךָ אֲנִי יְהוָה. (ויקרא יח: כא)21 Ne livre rien de ta progéniture en offrande à Molekh, pour ne pas profaner le nom de ton Seigneur : je suis l’Éternel. (Lévitique 18 : 21)[2].

Le mont Moriah, lieu d’épreuve pour Avraham, signifie « mont de l’Enseignement » (de la racine Y. R. Y [H], י. ר.י [ה], « enseigner, diriger, guider ») pour rappeler à l’Humanité qu’envoyer des hommes volontairement à la mort au nom du Seigneur relève de la profanation de Celui qui a créé l’Homme à son image, doué d’une conscience lui permettant de choisir entre le Bien et le Mal.

יט הַעִדֹתִי בָכֶם הַיּוֹם אֶת-הַשָּׁמַיִם וְאֶת-הָאָרֶץ. הַחַיִּים וְהַמָּוֶת נָתַתִּי לְפָנֶיךָ הַבְּרָכָה וְהַקְּלָלָה וּבָחַרְתָּ בַּחַיִּים לְמַעַן תִּחְיֶה אַתָּה וְזַרְעֶךָ. (דברים ל: יט)19 J’en atteste sur vous, en ce jour, le ciel et la terre : j’ai placé devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction ; et tu choisiras la vie ! Et tu vivras alors, toi et ta postérité. (Deutéronome 30 : 19).

[1] Parashat Vayera : Genèse 18 : 1-22 : 24.

[2]  Cette interdiction de livrer sa progéniture à Molokh est répétée pas moins de cinq fois dans le Lévitique.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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