L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Tsav et Shabbat HaGadol, le pouvoir de la Pensée

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La parashat Tsav[1] reprend l’ensemble des sacrifices énumérés dans la parashah précédente, la parashat VaYikra, (עֹלָה Olah, מִנְחָה Min’hah, שְׁלָמִים Shelamim, חַטַּאת ‘Hattat et אָשָׁם Asham) en intervertissant leur ordre : עֹלָה Olah, מִנְחָה Min’hah, חַטַּאת ‘Hattat, אָשָׁם Asham et שְׁלָמִים Shelamim. Cet ordre descendant est essentiellement dû à la priorité donnée aux sacrifices offerts sur l’autel des sacrifices.

Alors que les quatre premiers sacrifices appartiennent à l’ordre des sacrifices nommés « saints des saints (קָדְשֵׁי קָדָשִׁים- Kodshei Kodashim) », le dernier sacrifice Shelamim קָרְבָּן שְׁלָמִים  est un sacrifice pacifique apporté par un particulier soit comme offrande de remerciement (Zeva’h-Toda/ זֶבַח-תּוֹדָה) ou offrande dite « volontaire  (Nedava/נְדָבָה ) » ou de « serment (Neder/נֶדֶר) ».

La parashat Tsav nous enseigne qu’il existe une différence entre les deux types de שְׁלָמִים Shelamim. Cette différence touche à la notion de laps de temps durant lequel ces sacrifices peuvent être consommés.

Les Shelamim (Pacifiques ou sacrifices de rémunération) doivent être impérativement consommés dans la journée même lors de laquelle ils sont offerts comme sacrifice :

טו וּבְשַׂר זֶבַח תּוֹדַת שְׁלָמָיו בְּיוֹם קָרְבָּנוֹ יֵאָכֵל לֹא-יַנִּיחַ מִמֶּנּוּ עַד-בֹּקֶר. (ויקרא ז: טו)15 Quant à la chair de ce sacrifice en remerciement de rémunération, elle devra être mangée le jour même de l’offrande ; on n’en laissera rien pour le lendemain. (Lévitique 7 : 15).

Les Shelamim « נְדָבָה volontaire » ou « נֶדֶר de serment », quant à eux, s’ils doivent être aussi consommés dans la journée même, leur consommation peut se poursuivre jusqu’au lendemain.

טז וְאִם-נֶדֶר אוֹ נְדָבָה זֶבַח קָרְבָּנוֹ בְּיוֹם הַקְרִיבוֹ אֶת-זִבְחוֹ יֵאָכֵל וּמִמָּחֳרָת וְהַנּוֹתָר מִמֶּנּוּ יֵאָכֵל. יז וְהַנּוֹתָר מִבְּשַׂר הַזָּבַח בַּיּוֹם הַשְּׁלִישִׁי בָּאֵשׁ יִשָּׂרֵף. (ויקרא ז: טז-יז)16 Que si l’offrande offerte est votive ou volontaire, elle devra être consommée le jour où on l’aura offerte ; le lendemain même, dans le cas où il en reste, on pourra en manger. 17 Et ce qui serait resté de la chair du sacrifice, au troisième jour sera consumé par le feu. (Lévitique 7 : 16-17).

Puis, la source biblique va jusqu’à préciser que le fait de continuer de consommer de l’un de ces sacrifices le troisième jour disqualifie respectivement la valeur de ces derniers devenus, alors, impropres et invalides :

יח וְאִם הֵאָכֹל יֵאָכֵל מִבְּשַׂר-זֶבַח שְׁלָמָיו בַּיּוֹם הַשְּׁלִישִׁי לֹא יֵרָצֶה הַמַּקְרִיב אֹתוֹ לֹא יֵחָשֵׁב לוֹ פִּגּוּל יִהְיֶה וְהַנֶּפֶשׁ הָאֹכֶלֶת מִמֶּנּוּ עֲוֺנָהּ תִּשָּׂא. (ויקרא ז: יח)18 Et si l’on osait manger, le troisième jour, de la chair de ce sacrifice rémunératoire, il ne serait pas agréé. Il n’en sera pas tenu compte à qui l’a offert, ce sera une chose réprouvée ; et la personne qui en mangerait, en porterait la peine. (Lévitique 7 : 18).

Pourquoi le texte biblique insiste-il donc tant sur cette question de dépassement du temps imparti ayant pour effet immédiat d’annuler la valeur intrinsèque de ces sacrifices « שְׁלָמִים Pacifiques » ?  

L’un des plus grands commentateurs et penseurs de notre temps, le Rav Adin Even-Israël Steinsaltz, se fondant sur le commentaire talmudique, explique :

« Il n’est point fait mention dans aucun texte de la Torah d’annulation rétroactive d’un fait… En effet, les Sages ont compris le texte [Lévitique 7 : 18) d’une autre façon : l’Ecriture ne parle pas de consommation concrète de la chair du sacrifice des Shelamim au troisième jour mais d’un homme qui révèle au jour même du sacrifice son intention de conserver une part de viande pour le troisième jour (Cf. Traité Zevakhim 29 : a). Un tel sacrifice est annulé et n’est pas agréé parce qu’il va à l’encontre de la loi de la Torah. De plus, la chair devient impropre [à la consommation] et est interdite à la consommation par un interdit aggravant (אִסּוּר חָמוּר Issour ‘Hamour), même si l’on n’en a pas laissé effectivement jusqu’au troisième jour »[2].

Autrement dit, le sacrifice, fût-il parfait aux yeux de tous, il n’en reste pas moins sur le plan de la pensée intime, impropre.    

Cette notion de temps associée à la pensée est également évoquée au moment même où les Hébreux, recevant gracieusement la manne offerte par la Providence divine dans le désert, tentent d’en amasser :  

יט וַיֹּאמֶר מֹשֶׁה אֲלֵהֶם אִישׁ אַל-יוֹתֵר מִמֶּנּוּ עַד-בֹּקֶר. כ וְלֹא-שָׁמְעוּ אֶל-מֹשֶׁה, וַיּוֹתִרוּ אֲנָשִׁים מִמֶּנּוּ עַד-בֹּקֶר וַיָּרֻם תּוֹלָעִים וַיִּבְאַשׁ וַיִּקְצֹף עֲלֵהֶם מֹשֶׁה. כא וַיִּלְקְטוּ אֹתוֹ בַּבֹּקֶר בַּבֹּקֶר אִישׁ כְּפִי אָכְלוֹ וְחַם הַשֶּׁמֶשׁ וְנָמָס. (שמות טז: יט-כא)19 Et Moïse leur dit [aux Hébreux] : “Que nul n’en réserve pour le lendemain.” 20 Et ils n’écoutèrent point Moïse, quelques-uns gardèrent de leur provision pour le lendemain, mais elle fourmilla de vers et se gâta. Et Moïse s’irrita contre eux. 21 Et ils recueillirent cette substance tous les matins, chacun en raison de sa consommation ; lorsque le soleil l’échauffait, elle fondait. (Exode 16 : 19- 21).

L’intérêt d’une telle exigence divine appliquée à la pensée humaine contrainte à pratiquer dans un temps précis une injonction précise vise à enseigner à l’Homme que, loin d’être le maître du Temps, il lui incombe de purifier ses pensées dans le dessein d’accomplir au mieux ses actes.

Le sacrifice appelé aussi « קָרְבָּן korban » ne vise plus alors seulement à « קָרַב karav rapprocher » l’Homme de la Divinité mais l’Homme de sa propre personne en l’obligeant à une introspection sincère sur lui-même ! Contrairement aux sacrifices offerts dans le monde païen et polythéiste visant à s’attirer les faveurs des dieux – la prospérité, la fécondité et la réussite – le sacrifice des שְׁלָמִים Shelamim a pour but principal de réconcilier l’Homme avec lui-même dans la dimension du Temps.

La pensée- מַחֲשָׁבָה Ma’hashavah- détient le pouvoir de transformer le monde en bien ou en mal :

כג וַיָּבֹאוּ מָרָתָה וְלֹא יָכְלוּ לִשְׁתֹּת מַיִם מִמָּרָה כִּי מָרִים הֵם עַל-כֵּן קָרָא-שְׁמָהּ מָרָה. (שמות טו: כג)23 Et ils [les Hébreux] arrivèrent à Mara. Or, ils ne purent boire les eaux de Mara car elles étaient trop amères ; c’est pourquoi on nomma ce lieu Mara. (Exode 15 : 23).

Ce verset peut être lu différemment :

כג וַיָּבֹאוּ מָרָתָה וְלֹא יָכְלוּ לִשְׁתֹּת מַיִם מִמָּרָה כִּי מָרִים הֵם עַל-כֵּן קָרָא-שְׁמָהּ מָרָה23 Et ils [les Hébreux] arrivèrent à Mara. Or, ils ne purent boire les eaux de Mara car ils [les Hébreux] étaient trop amers ; c’est pourquoi on nomma ce lieu Mara.

Autrement dit, ce ne sont point les eaux amères qui empêchent les Hébreux de s’abreuver mais au contraire, les Hébreux qui, par leurs plaintes répétées et leur amertume intérieure, rendent les eaux amères inaptes à la consommation.

Il n’est de monde que celui-là même dont nous rêvons !

Quel est celui qui jouira de la Présence divine ? Serait-ce celui qui offrira des sacrifices d’animaux comme l’enjoint l’Eternel aux Hébreux, lors de leur préparation à la Sortie historique d’Egypte, par la voix de Moïse ?

ו וְהָיָה לָכֶם לְמִשְׁמֶרֶת עַד אַרְבָּעָה עָשָׂר יוֹם לַחֹדֶשׁ הַזֶּה; וְשָׁחֲטוּ אֹתוֹ כֹּל קְהַל עֲדַת-יִשְׂרָאֵל בֵּין הָעַרְבָּיִם. (שמות יב: ו)6 Et vous le tiendrez en réserve [l’agneau] jusqu’au quatorzième jour de ce mois ; alors toute la communauté d’Israël l’immolera vers le soir. (Exode 12 : 6).

Rashi explique :

«הָיוּ שְׁטוּפִים בַּעֲבוֹדַת כּוֹכָבִים אָמַר לָהֶם מִשְׁכוּ וּקְחוּ לָכֶם. מִשְׁכוּ יְדֵיכֶם מֵעֲבוֹדַת כּוֹכָבִים וּקְחוּ לָכֶם צֹאן שֶׁל מִצְוָה». (רש”י על הפסוק שמות יב: ו)

« Comme ils avaient sombré dans l’idolâtrie, Moïse leur a dit (verset 21) : ‘Tirez et prenez pour vous’, c’est-à-dire : ‘Retirez vos mains des idoles et prenez l’agneau de la mitsvah’ ! » (Rashi sur le verset Exode 12 : 6).

Ainsi, les quatre jours séparant la prise de l’agneau et son sacrifice le 14 Nissan visent à préparer spirituellement les fils d’Israël à dominer leur peur de Pharaon en se détachant consciemment et progressivement de l’emprise des dieux égyptiens.

Ces faux dieux ou fausses idéologies ont souvent été à l’origine des guerres et des conflits causant la mort de millions d’hommes, de femmes et d’enfants.

L’avenir de l’Homme réside dans son cœur, un cœur pur.

L’innocence des mains, l’intégrité morale, est le fruit d’un cœur pur, d’une pensée épurée de ses scories :

ד  נְקִי כַפַּיִם וּבַר-לֵבָב
אֲשֶׁר לֹא-נָשָׂא לַשָּׁוְא נַפְשִׁי וְלֹא נִשְׁבַּע לְמִרְמָה. (תהלים כד: ד)
4 Celui dont les mains sont sans tache, le cœur pur, qui n’atteste pas ma personne pour la fausseté, et ne prête pas de serment frauduleux (Psaume 24 : 4).

[1] Parashat Tsav : Lévitique 6 : 1-8 : 36.

[2] HaTaNakh HaMevoar, p. 75, Editions Koren 2016.

Shabbat shalom !

Haïm Ouizemann.

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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