L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Haftarat Shabbat Mikets – Hanoucca, la Lumière de la Rédemption

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

La Menorah en face de la Knesset. Artiste : Benno Elkan. Chaque branche rappelle une part de l’Histoire d’Israël.

 » Ce n’est qu’au prix d’une ardente patience que nous pourrons conquérir la cité splendide qui donnera la lumière, la justice et la dignité à tous les hommes. Ainsi la poésie n’aura pas été en vain  » (Arthur Rimbaud)

Quel lien pouvons-nous établir entre la haftarah de ce shabbat Hanoucca[1] et la parashah Mikets[2] généralement lue également lors de la fête de Hanoucca ?

Si les textes paraissent éloignés l’un de l’autre, un dénominateur commun apparaît toutefois clairement, à savoir le motif du vêtement. Les deux personnages bibliques YoSseph (Joseph) et Yehoshua ben YeHOTsaDaK (Josué) יְהוֹשֻׁעַ (יֵשׁוּעַ) בֶּן יְהוֹצָדָק sont débarrassés de leurs vieux habits.

Que signifie donc ce changement d’habits et en quoi ce changement permet-il de comparer les textes lus le shabbat de Hanoucca ?

Le port du vêtement dans le TaNaKh reflète la condition sociale, le statut religieux et la fonction du personnage biblique.

Joseph, débarrassé de ses vêtements témoins de son ancienne condition d’esclave et de prisonnier en Egypte, accède au plus rang de la hiérarchie égyptienne. Il devient le dirigeant le plus puissant après Pharaon. Les nouveaux habits que revêt Joseph à la demande expresse de Pharaon expriment désormais l’indépendance et la liberté :

יד וַיִּשְׁלַח פַּרְעֹה וַיִּקְרָא אֶת-יוֹסֵף וַיְרִיצֻהוּ מִן-הַבּוֹר וַיְגַלַּח וַיְחַלֵּף שִׂמְלֹתָיו וַיָּבֹא אֶל-פַּרְעֹה. (בראשית מא: יד). ש14 Et Pharaon envoya quérir Joseph, qu’on fit sur-le-champ sortir de la fosse ; il se rasa et changea de vêtements, puis il parut devant Pharaon. (Genèse 41 : 14).

Quant à Yehoshua (Josué), le Grand-Prêtre, le prophète Zacharie assiste au retrait de ses habits souillés. Cette souillure serait la marque d’une faute causée par le lointain descendant du Grand-Prêtre Josué, qui épousa une femme païenne, fille de Sanballat, de ‘Horon (Néhémie 13 : 28). Ce fait n’est point sans rappeler l’union de Joseph avec l’Egyptienne Osnat, fille de Poti Fera, prêtre de On (Héliopolis) (Genèse 41 : 45).

ד וַיַּעַן וַיֹּאמֶר אֶל-הָעֹמְדִים לְפָנָיו לֵאמֹר הָסִירוּ הַבְּגָדִים הַצֹּאִים מֵעָלָיו וַיֹּאמֶר אֵלָיו רְאֵה הֶעֱבַרְתִּי מֵעָלֶיךָ עֲוֺנֶךָ וְהַלְבֵּשׁ אֹתְךָ מַחֲלָצוֹת. (זכריה ג: ד).ש4 Celui-ci s’écria en s’adressant à ceux qui étaient placés devant lui : « Enlevez-lui ces vêtements souillés ! » Puis il lui dit : « Vois, je te débarrasse de ton péché, et je t’habille d’habits de prix. » (Zacharie 3 : 4).

Toutefois, si les textes semblent s’accorder sur la réussite des deux personnages après qu’ils aient changé de vêtements, une différence notoire les sépare. Immédiatement après avoir recouvré sa liberté, Joseph s’empresse de sauver l’intégralité de sa famille de la famine sévissant, alors, en Canaan.  Avec eux il sauve également les Egyptiens et les habitants des pays avoisinants qui viennent s’approvisionner en Egypte, comme l’ont fait les fils de Jacob. Son père Jacob et tous ses frères descendent en Egypte où ils subiront, après sa mort, l’aliénation et l’esclavage.

La haftarah de Shabbat Hanoucca se veut l’antithèse de la parashah MiKets :

יד רָנִּי וְשִׂמְחִי בַּת-צִיּוֹן כִּי הִנְנִי-בָא וְשָׁכַנְתִּי בְתוֹכֵךְ נְאֻם-יְהוָה. (זכריה ב: יד).ש14 Exulte et réjouis-toi, fille de Sion ! Car voici, je viens et je résiderai au milieu de toi, dit l’Eternel. (Zacharie 2 : 14).

Cette jubilation exprime la liberté qu’éprouvent les exilés de Babylone. Après avoir conquis l’empire de Babylone, Cyrus, roi de Perse, autorise par un édit le retour historique des fils d’Israël à Jérusalem (Ezra 1 : 1-4). Certains vont même jusqu’à comparer cette déclaration à celle de Lord Balfour, secrétaire d’Etat britannique aux affaires étrangères, qui, en 1917, prévoyait « un foyer national pour le peuple juif ».

Le choix de la prophétie de Zacharie, en ce shabbat de Hanoucca, est le fruit d’une réflexion approfondie de la part des Sages d’Israël. Ceux-ci ont voulu démontrer que la thèse de Joseph, voulant construire une vie autour de valeurs hébraïques en diaspora, était inexorablement vouée à l’échec. Israël ne peut s’épanouir qu’à partir de sa terre, Erets Israël et de sa capitale ancestrale, Jérusalem. En effet, Joseph lui-même ne semble point oublier ce fait important, lui dont les prénoms de ses fils représentent la grande nostalgie qu’il a du pays de ses pères : « מְנַשֶּׁה:  כִּי-נַשַּׁנִי אֱלֹהִים אֶת-כָּל-עֲמָלִי, וְאֵת כָּל-בֵּית אָבִי, MéNaSsé: Car le Seigneur m’a fait oublier toutes mes tribulations et toute la maison de mon père.» (Genèse 41 : 51), et «אֶפְרָיִם:  כִּי-הִפְרַנִי אֱלֹהִים, בְּאֶרֶץ עָנְיִי ÉPhRaYïM: Car le Seigneur m’a fait fructifier dans le pays de ma misère.» (Genèse 41 : 52). Lui qui connaît un si grand succès en Egypte, il appelle l’Egypte « אֶרֶץ עָנְיִי, le pays de ma misère ». Au moment même de mourir, il ne nomme même plus « ce pays » : « בָּנַי הֵם, אֲשֶׁר-נָתַן-לִי אֱלֹהִים בָּזֶה, mes fils, que le Seigneur m’a donnés dans ‘ceci’.» (Genèse 48 : 9). Ainsi, au plus fort de la nostalgie de son pays, il demande expressément à ses frères de prendre ses ossements avec eux pour être enterré « בְּאֶרֶץ כְּנָעַן en terre de Canaan » (Genèse 49 : 30).

Joseph, aimé et respecté dans un premier temps pour avoir décrypté les rêves de Pharaon et sauvé l’Egypte d’une famine très longue, est finalement oublié par le nouveau Pharaon d’Egypte (Exode 1 : 8). Cela n’est point sans rappeler l’Affaire Dreyfus en France. Théodore Herzl avoue être choqué, stupéfait et consterné par les cris de « mort aux Juifs » proférés à l’encontre du colonel Alfred Dreyfus, un Juif français assimilé. Pour la première fois en Europe, la France octroie l’Egalité aux Juifs, en 1791, mais l’Affaire Dreyfus va révéler combien la dite émancipation est extrêmement fragile et semble n’être qu’un pur leurre. C’est alors que naît chez Herzl l’idée du sionisme politique qui, en 1948, permettra aux Juifs du monde entier de recouvrer leur terre ancestrale, Erets Israël. Israël n’a plus sa place dans la Province de Goshen en Egypte, lieu diasporique clos refermé sur lui-même mais est appelé à croître en terre de Paix, en Erets Israël :

י בַּיּוֹם הַהוּא נְאֻם יְהוָה צְבָאוֹת תִּקְרְאוּ אִישׁ לְרֵעֵהוּ אֶל-תַּחַת גֶּפֶן וְאֶל-תַּחַת תְּאֵנָה. (זכריה ג: י).ש10 En ce jour, dit l’Eternel-des Armées, vous vous convierez l’un l’autre sous la vigne et sous le figuier. (Zacharie 3 : 10).

Puis, au verset suivant, l’Eternel projette devant le prophète Zacharie la vision de la Ménora, le candélabre à sept branches, signe de la future indépendance politique et spirituelle s’enracinant à Jérusalem :

ב וַיֹּאמֶר אֵלַי מָה אַתָּה רֹאֶה ויאמר (וָאֹמַר) רָאִיתִי וְהִנֵּה מְנוֹרַת זָהָב כֻּלָּהּ וְגֻלָּהּ עַל-רֹאשָׁהּ וְשִׁבְעָה נֵרֹתֶיהָ עָלֶיהָ שִׁבְעָה וְשִׁבְעָה מוּצָקוֹת לַנֵּרוֹת אֲשֶׁר עַל-רֹאשָׁהּ. (זכריה ד: ב).ש2 Et il me dit : « Que vois-tu ? » Je répondis : « Je vois un chandelier tout en or son récipient sur son sommet, ses sept lampes alignées et sept conduits pour les lampes qui en couronnent le sommet. (Zacharie 4 : 2).

Si le pouvoir spirituel est détenu par le Grand-Prêtre Josué, le pouvoir politique est, quant à lui, aux mains de Zeroubavel (Zorobabel) fils de Shéaltiel זְרֻבָּבֶל בֶּן-שְׁאַלְתִּיאֵל, le futur gouverneur de Yéhouda (Juda). Zeroubavel signifie « semence de Babylone » (Sanhedrin 38 : a) ou bien « dispersé à Babylone ». Zeroubavel est appelé « TseMaKh  צֶמַח – Plant- Rejeton » (Zacharie 3 : 8), terme essentiellement appliqué au descendant de la tribu de David (Jérémie 23 : 5 ; 33 : 15) dont l’oint, הַמָּשִׁיחַ, le Messie, détiendra, à jamais, le sceptre du pouvoir politique :

י לֹא-יָסוּר שֵׁבֶט מִיהוּדָה וּמְחֹקֵק מִבֵּין רַגְלָיו עַד כִּי-יָבֹא שִׁילֹה וְלוֹ יִקְּהַת עַמִּים. (בראשית מט: י).10 Le sceptre n’échappera point à Juda, ni l’autorité à sa descendance, jusqu’à l’avènement du Pacifique auquel obéiront les peuples (Genèse 49 : 10).

Ces deux formes de pouvoir spirituel et politique, symbolisées par les deux feuilles d’olivier disposées de part et d’autre de la Ménora, le chandelier à sept branches (Zacharie 4 : 2-3), font état du principe fondamental de la séparation des pouvoirs bien avant qu’il ne soit théorisé par le philosophe anglais John Locke (1632- 1704) et le philosophe français Montesquieu (1689- 1755) dans « l’esprit des lois » (1748). Ce principe de la séparation des pouvoirs est à l’origine de l’émergence de la Démocratie moderne. Pourtant, il se révèle conforme à la vision biblique séparant le pouvoir politique (royal) du pouvoir spirituel (les Cohanim, la prêtrise), comme les deux piliers de la Nation. Cependant, la séparation des pouvoirs, selon la vision des philosophes des Lumières, est totale : le pouvoir spirituel est nié, voire même rejeté, tandis que le pouvoir politique reste seul à gouverner.

De plus, si la lumière de Joseph se révélant être un homme de paix et de stabilité sociale alors qu’il vient de sauver économiquement l’Egypte et de se réconcilier avec ses frères, si sa lumière est éclipsée par l’obscurité de la Galout, de l’exil, la lumière de la Ménora, rayonnant depuis la terre d’Israël sur l’ensemble de l’Humanité, reste celle des valeurs éternelles de Paix (Zacharie 3 : 10), de transparence politique et de grandeur spirituelle à partir de l’Etat d’Israël :

ו וַיַּעַן וַיֹּאמֶר אֵלַי לֵאמֹר זֶה דְּבַר-יְהוָה אֶל-זְרֻבָּבֶל לֵאמֹר לֹא בְחַיִל וְלֹא בְכֹחַ כִּי אִם-בְּרוּחִי אָמַר יְהוָה צְבָאוֹת. (זכריה ד: ו).ש6 Et Il reprit et me parla en ces termes : « Ceci est la parole de l’Eternel à Zorobabel : Ni par la puissance ni par la force, mais bien par Mon Esprit ! dit l’Eternel-des Armées (Zacharie 4 : 6).

[1]  Haftarat Shabbat Hanoucca, Zacharie 2 : 14 – 4 : 48. Cette haftarah est également lue lors de la lecture de la parashah BeHa’alothekha.

[2] Parashat Mikets: Genèse 41 : 1-44 : 17.

Shabbat shalom et hag ourim samea’h !

[email protected]

Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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