L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Ki Tavo, Un peuple vient de naître!

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

יח וַיהוָה הֶאֱמִירְךָ הַיּוֹם לִהְיוֹת לוֹ לְעַם סְגֻלָּה כַּאֲשֶׁר דִּבֶּר-לָךְ וְלִשְׁמֹר כָּל-מִצְוֺתָיו. (דברים כו: יח).ש

18 et l’Éternel te glorifie[1] aujourd’hui en te conviant à être son peuple singulier, comme il te l’a annoncé, et à garder tous ses commandements. (Deutéronome 26: 18).[2]

Pourquoi l’Eternel glorifie-t-il Son peuple Israël? Qu’annonce l’Eternel à son peuple?

L’étude de la racine verbale א. מ. ר. / A. M. R. [dire]  éclaire notre réflexion et est à même d’apporter une réponse à cette interrogation. Cette racine conjuguée à la forme factitive/ causative du Hif’il -הֶאֱמִיר- n’apparaissant qu’à deux reprises dans l’ensemble du TaNaKh entraîne les Sages d’Israël à en rechercher le sens exact. De nombreuses idées et traductions possibles vont émerger.

Selon le commentateur Rabbi ibn Ezra, la racine verbale א. מ. ר. / A. M. R renvoie à la notion de «grandeur» et se rapproche du terme בְּרֹאשׁ אָמִיר «au sommet, à la cime» (Isaïe 17: 6). Rashi, se rapprochant de l’interprétation de Rabbi ibn Ezra, propose de se référer au Psaume 94: 4: יִתְאַמְּרוּ. La racine א. מ. ר. / A. M. R (à la forme du Hitpael) y recouvre un sens négatif d’orgueil et d’autoglorification: «se vanter, se glorifier, parler de soi»: יִתְאַמְּרוּ כָּל־פֹּעֲלֵי אָוֶן, «ils font les fanfarons, tous ces ouvriers d’iniquité». Israël, le plus petit et modeste des peuples, est, quant à lui, glorifié par l’Eternel. Telle est, par ailleurs, la thèse soutenue par RaMBaN (Na’hmanide): «…c’est parce que vous [Israël] avez agrandi et glorifié le Nom ineffable reconnu comme votre unique Seigneur sans aucune reconnaissance d’autre dieu que «l’Eternel te [Israël en tant qu’entité nationale] glorifie הֶאֱמִירְךָ aujourd’hui»  car ce jour est semblable pour vous à celui du Sinaï, l’Eternel vous a alors glorifié et agrandi lors de la réception de la Tora afin que vous soyez pour Lui un peuple singulier[3] parmi tous les peuples… car à vous uniquement il donne la Tora et vous ordonne l’accomplissement de tous les commandements et non point à un autre peuple». Le dictionnaire Sander et Trenel traduit le verbe הֶאֱמִירְךָ dans son sens le plus littéral : «te promettre [faire dire]». Israël a tenu sa promesse d’accomplir la Parole divine. L’Eternel aussi. L’Alliance est soumise à l’attitude d’Israël d’aspirer à remplir sa vocation spirituelle en devenant «מַמְלֶכֶת כֹּהֲנִים, וְגוֹי קָדוֹשׁ, un royaume de serviteurs (כֹּהֲנִים) et une nation sainte (distincte, séparée) » (Exode 19: 6).

Une lecture attentive du verset suivant permet de révéler la polysémie du verbe AMaR (au factitif). Nous y retrouvons les diverses versions proposées par les commentateurs précités. Les versions ne se contredisent jamais, elles se complètent mutuellement:

יט וּלְתִתְּךָ עֶלְיוֹן עַל כָּל-הַגּוֹיִם אֲשֶׁר עָשָׂה לִתְהִלָּה וּלְשֵׁם וּלְתִפְאָרֶת וְלִהְיֹתְךָ עַם-קָדֹשׁ לַיהוָה אֱלֹהֶיךָ כַּאֲשֶׁר דִּבֵּר. (דברים כו: יט).  ש

19 Il [L’Eternel] te mettra au-dessus de toutes les nations qu’il a faites, en gloire, en renommée et en dignité; que tu sois un peuple consacré [mis à part] à l’Éternel, ton Seigneur, comme il l’a déclaré[4].” (Deutéronome 26: 19)[5]

L’Eternel fait rayonner le nom de son peuple parmi les Nations (הֶאֱמִירְךָ, Deutéronome 26: 18) quand Israël s’attache fidèlement, par le fait d’une vie exemplaire, à diffuser le Nom divin dans les Nations où il est exilé:

יז אֶת-יְהוָה הֶאֱמַרְתָּ הַיּוֹם לִהְיוֹת לְךָ לֵאלֹהִים וְלָלֶכֶת בִּדְרָכָיו וְלִשְׁמֹר חֻקָּיו וּמִצְוֹתָיו וּמִשְׁפָּטָיו וְלִשְׁמֹעַ בְּקֹלוֹ. (דברים כו: יז).ש

17 Tu as glorifié aujourd’hui l’Éternel, en promettant de l’adopter pour ton Seigneur, de marcher dans ses voies, d’observer ses lois, ses préceptes, ses statuts, et d’écouter sa parole (Deutéronome 26: 17).

Israël, comme le précise Na’hmanide, est assurément et sincèrement disposé à recevoir de nouveau l’Alliance de l’Eternel (Deutéronome 28: 69):

ח וְכָתַבְתָּ עַל-הָאֲבָנִים אֶת-כָּל-דִּבְרֵי הַתּוֹרָה הַזֹּאת בַּאֵר הֵיטֵב. (דברים כז: ח).ש

8 Et tu écriras sur les pierres toutes les Paroles de cet Enseignement; explique [celui-ci], clairement. (Deutéronome 27: 8).

A la différence de l’Alliance du mont Horev/ Sinaï où l’Eternel offre sa Parole à Israël à jamais gravée sur les deux Tables du Témoignage, Israël, au seuil de Canaan, témoigne, dans les plaines de Moav, de son engagement individuel et collectif à accomplir pleinement la Parole divine en l’écrivant sur des pierres de chaux. Israël devra dorénavant s’engager activement et sans discontinuité à l’écriture de sa propre Histoire afin d’être digne de son élection. Dans les plaines de Moav, à l’issue de quarante ans de pérégrinations dans le désert, Israël accepte de plein gré le joug des commandements de l’Eternel. L’Alliance avec l’Eternel ne peut en aucune manière se fonder sur la coercition mais sur le principe fondamental de responsabilité et de solidarité. Le lieu עַרְבֹת מוֹאָב Arvot Moav, «les plaines de Moav» (Nombres 31: 12) peut également se lire עַרְבוּת מוֹאָב Arvout Moav «la solidarité de Moav». Cet engagement constitue le fondement de la constitution d’Israël en tant que peuple:

ט וַיְדַבֵּר מֹשֶׁה וְהַכֹּהֲנִים הַלְוִיִּם אֶל כָּל-יִשְׂרָאֵל לֵאמֹר  הַסְכֵּת וּשְׁמַע יִשְׂרָאֵל הַיּוֹם הַזֶּה נִהְיֵיתָ לְעָם לַיהוָה אֱלֹהֶיךָ. (דברים כז: ט).ש

9 Moïse, assisté des pontifes descendants de Lévi, parla ainsi à tout Israël: “Fais silence et écoute, ô Israël! En ce jour, tu es devenu le peuple de l’Éternel, ton Dieu. (Deutéronome 27: 9).

לב וְלֹא תְחַלְּלוּ אֶת-שֵׁם קָדְשִׁי וְנִקְדַּשְׁתִּי בְּתוֹךְ בְּנֵי יִשְׂרָאֵל  אֲנִי יְהוָה מְקַדִּשְׁכֶם. לג הַמּוֹצִיא אֶתְכֶם מֵאֶרֶץ מִצְרַיִם לִהְיוֹת לָכֶם לֵאלֹהִים אֲנִי יְהוָה. (ויקרא כב: לב-לג).ש

32 Ne déshonorez point mon saint nom, afin que je sois sanctifié au milieu des enfants d’Israël, moi, l’Éternel, qui vous sanctifie, 33 qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte pour devenir votre Dieu: je suis l’Éternel. (Lev. 22: 32-33 )

Cet enseignement écrit sur des pierres de chaux, donc périssables, se maintiendra tout au long des générations grâce à l’enseignement transmis de génération en génération, à l’étude de cet enseignement et à sa compréhension parfaite. C’est pourquoi son explication doit être claire et compréhensible:

ח וְכָתַבְתָּ עַל-הָאֲבָנִים אֶת-כָּל-דִּבְרֵי הַתּוֹרָה הַזֹּאת בַּאֵר הֵיטֵב. (דברים כז: ח).ש

8 Et tu écriras sur les pierres toutes les Paroles de cet Enseignement; explique [celui-ci], clairement. (Deutéronome 27: 8).

Ainsi Rashi, s’inspirant de la tradition orale (Sota 32, a) explique que la racine verbale  ב. א. ר./ B. A [Aleph). R. signifie que l’interprétation de la Tora doit être comprise «en soixante-dix langues», autrement dit accessible à toutes les Nations. La Tora d’Israël doit non seulement être étudiée et comprise au sein d’Israël, mais elle doit rayonner parmi les Nations:

כג וְהִתְגַּדִּלְתִּי וְהִתְקַדִּשְׁתִּי וְנוֹדַעְתִּי לְעֵינֵי גּוֹיִם רַבִּים וְיָדְעוּ כִּי-אֲנִי יְהוָה.  (יחזקאל לח: כג).ש

23 Ainsi je me montrerai grand et saint, Je serai reconnu aux yeux de nations nombreuses, et elles reconnaîtront que je suis l’Eternel.” (Ezéchiel 38: 23)

Le verbe א. מ. ר. / A. M.R. [dire] pourrait, à la lueur de ce verset, signifier «reconnaître» dans le sens de «gratitude». Il est intéressant de noter que la parasha «Ki Tavo» débute par la reconnaissance des fils d’Israël pour avoir été libérés par l’Eternel  et conduits en terre promise conformément aux termes de l’Alliance. Effectivement, cette reconnaissance s’exprime par la gratitude des fils d’Israël d’avoir été amenés dans le pays promis et d’avoir pu jouir des récoltes du pays [6].

Cette profonde gratitude s’exprime  tout particulièrement  le Jour de l’Indépendance de l’Etat d’Israël (Yom Ha’atsmaout, 14 mai 1948). En ce Jour historique, tous les fondateurs quel que soit leur camp politique, s’accordent à signer la Déclaration d’Indépendance par les termes suivants:

«Confiants au Rocher d’Israël [l’Éternel Tout-Puissant], nous signons cette Déclaration en cette séance du Conseil provisoire de l’État, sur le sol de la Patrie dans la ville de Tel-Aviv, cette veille de Chabbat, 5 Iyar 5708, 14 mai 1948.»

Israël uni sur sa terre retrouvée, en reconnaissant,  en témoignant  et en propageant l’Unicité du Nom ineffable, se voit lui-même considéré par les Nations comme le peuple de l’Alliance, le peuple singulier choisi par l’Eternel[7]:

כ יְהוָה אֵין כָּמוֹךָ וְאֵין אֱלֹהִים זוּלָתֶךָ בְּכֹל אֲשֶׁר-שָׁמַעְנוּ בְּאָזְנֵינוּ. כא וּמִי כְּעַמְּךָ יִשְׂרָאֵל גּוֹי אֶחָד בָּאָרֶץ אֲשֶׁר הָלַךְ הָאֱלֹהִים לִפְדּוֹת לוֹ עָם לָשׂוּם לְךָ שֵׁם גְּדֻלּוֹת וְנֹרָאוֹת לְגָרֵשׁ מִפְּנֵי עַמְּךָ אֲשֶׁר-פָּדִיתָ מִמִּצְרַיִם גּוֹיִם. (דברי הימים יז: כ-כא).ש

20 Seigneur, nul n’est comme toi, point de Dieu hormis toi, ainsi que nous l’avons entendu de nos oreilles. 21 Et y a-t-il comme ton peuple Israël une seule nation sur la terre que le Seigneur lui-même soit allé délivrer, pour en faire son peuple et t’assurer un nom grand et redoutable, en chassant des nations devant ton peuple que tu as délivré de l’Egypte? (I Chroniques 17: 20-21).

א וְהָיָה אִם-שָׁמוֹעַ תִּשְׁמַע בְּקוֹל יְהוָה אֱלֹהֶיךָ לִשְׁמֹר לַעֲשׂוֹת אֶת-כָּל-מִצְוֹתָיו אֲשֶׁר אָנֹכִי מְצַוְּךָ הַיּוֹם וּנְתָנְךָ יְהוָה אֱלֹהֶיךָ, עֶלְיוֹן עַל, כָּל-גּוֹיֵי הָאָרֶץ.  ב וּבָאוּ עָלֶיךָ כָּל-הַבְּרָכוֹת הָאֵלֶּה וְהִשִּׂיגֻךָ כִּי תִשְׁמַע בְּקוֹל יְהוָה אֱלֹהֶיךָ. (דברים כח: א-ב).ש

1 “Or, si tu obéis à la voix de l’Éternel, ton Dieu, observant avec soin tous ses préceptes, que je t’impose en ce jour, l’Éternel, ton Dieu, te fera devenir le premier de tous les peuples de la terre; 2 et toutes les bénédictions suivantes se réaliseront pour toi et resteront ton partage, tant que tu obéiras à la voix de l’Éternel, ton Dieu. (Deutéronome 28: 1-2).

[1] Il semble juste de traduire le verbe «הֶאֱמִירְךָ te glorifie» au présent et non point à l’accompli comme la source biblique pourrait le laisser penser. Il s’agit ici, en effet, d’un temps passé mais dont l’action se poursuit dans le temps: «aujourd’hui», c’est-à-dire chaque jour qui passe.

[2] Parashat Ki Tavo, Deutéronome 26: 1- 29: 8

[3] Exode 19: 5. סְגֻלָּה מִכָּל-הָעַמִּים Rashi traduit «peuple trésor».

[4] «Comme il l’a déclaré»: cf. Exode 19: 6

[5]  Cf. également Deutéronome 28: 1-2

[6] Loi nommée «Mikra Bikourim», Deutéronome 26: 2-3.

[7] Cf. Genèse 41: 33-38. Pharaon reconnaît Joseph comme  «intelligent et sage» car ce dernier n’a de cesse de rappeler le nom du Seigneur (Genèse 41: 16).

Shabbat shalom !

[email protected]

Avec toutes mes amitiés,

Haïm Ouizemann

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2 réponses

  1. Gloire: vient du latin glorie, gloria: qui signifie renommée, bonne réputation
    au sens religieux Gloire signifie béatitude céleste (bonheur parfait)
    Glorifier: vient du latin glorie “renommée” et de facere “faire”

    Nous glorifions Dieu, nous rendons gloire à Dieu. En fait plus simplement nous faisons la bonne réputation divine. C’est nous, qui décidons si Dieu est bon pour nous.
    Glorifier Dieu est une action présente dans toutes les religions. dans le 1er véda (prière hindou de plus de 10 000 ans d’existence) on trouve très exactement: “Gloire à Agni qui nous donne sa protection”

    Quand à Dieu qui glorifie son peuple, le met au-dessus des autres, il faut prendre en considération que là aussi Dieu ou les Dieux rendent aussi gloire aux humains auxquels ils sont associés.
    “Merci Agni de nous glorifier en nous donnant ces vaches”

    Au fond, comme certaines opérations mathématique Glorifier est une action universelle et commutative.
    Nous rendons gloire à Dieu; Dieu nous rend gloire.

    Oui je pense aussi que seul le temps présent est à employer. Si nous ne glorifions plus Dieu, sa renommée est terminée, elle n’agit plus.

  2. En fait toutes les grandes civilisations ont ce rapport de glorifier Dieu et que Dieu les glorifient.
    L’Egypte, la grande Egypte polythéiste a entretenu ce rapport tellement étroit avec les divinités que les Dieux glorifiaient et bénissaient la Nation.

    Celui qui interpréterait ces phrases bibliques comme une supériorité juive serait dans l’erreur la plus totale.
    il n’y a aucun Dieu meilleur qu’un autre. Il n’y a qu’un seul Dieu, qui prend tous les visages possibles, signes de l’intense richesse de nos capacités humaines. Nous devons comprendre et accepter ça! le récit biblique nous invite à cette compréhension.
    Ce qui rend fort, puissant, invincible devant l’éternité est ce rapport étroit, extrêmement intime entre l’humain et la divin. Reconnaître et respecter, faire sienne, pleinement, la part divine que nous portons en nous apporte cette force, cette liberté.
    Nous mettre sous la coupe d’une divinité matérielle telle que l’argent nous rend faible, nous amenuise, nous détruit.

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