L'hébreu biblique
Le blog de Haïm Ouizemann

Parashat Terouma, Méditation sur le don de soi

וַיִּקְחוּ בְנֵי-אַהֲרֹן נָדָב וַאֲבִיהוּא אִישׁ מַחְתָּתוֹ וַיִּ

Cet article est dédié tout particulièrement aux otages, femmes, hommes et enfants capturés par le mouvement terroriste du Hamas et aux parents attendant le retour des leurs.

Après l’évocation des lois sociales et juridiques dans la parashat Mishpatim, la parashat Terouma[1] décrit le programme concernant la construction de la Tente du Rendez-Vous (Tabernacle).

Que nous apprennent les premiers versets de la parashah?

א וַיְדַבֵּר יְהוָה אֶל-מֹשֶׁה לֵּאמֹר. ב דַּבֵּר אֶל-בְּנֵי יִשְׂרָאֵל וְיִקְחוּ-לִי תְּרוּמָה מֵאֵת כָּל-אִישׁ אֲשֶׁר יִדְּבֶנּוּ לִבּוֹ תִּקְחוּ אֶת-תְּרוּמָתִי. ג וְזֹאת הַתְּרוּמָה אֲשֶׁר תִּקְחוּ מֵאִתָּם זָהָב וָכֶסֶף וּנְחֹשֶׁת. (שמות כה: א-ג)1 Et l’éternel parla à Moïse en ces termes: 2 Parle aux fils Israël, qu’ils prennent pour moi un prélèvement. Vous prendrez mon prélèvement de tout homme au cœur volontaire. 3 Et voici le prélèvement que vous prendrez d’eux, or, argent, bronze (Exode 25: 1-3).

Deux termes figurent à maintes reprises:

Le substantif ” תְּרוּמָה/ Terouma” signifiant “prélèvement” est mentionné trois fois. Quant à la racine verbale ” ל.ק.ח. prendre”, elle apparaît également à trois reprises (וְיִקְחוּ  Qu’ils prennent  תִּקְחוּ vous prendrez).

Que signifie l’expression biblique ” תְּרוּמָה תִּקְחוּ prendre un prélèvement” dans le contexte de l’édification de la Tente du Rendez-Vous?

Pourquoi la source biblique utilise-t-elle le verbe “prendre תִּקְחוּ” au lieu du verbe “donner תִּתְּנוּ” comme l’on serait en droit de le penser ?

 La Tente du Rendez-Vous édifiée dans le désert se compose de nombreux matériaux naturels extraits de la terre. Le texte biblique précise que les fils d’Israël doivent prélever une part de ces matériaux de leur propre richesse personnelle afin de construire la Demeure divine (Mishkan). Au terme “prélèvement – Teroumaתְּרוּמָה ” est associé le verbe “prendre וְיִקְחוּ” car les fils d’Israël, en offrant de leurs biens, en viennent à reconnaître qu’ils sont tributaires de la grâce divine, de l’Eternel qui Lui Seul est le Maître du monde :

יב  אִם-אֶרְעַב, לֹא-אֹמַר לָךְ:    כִּי-לִי תֵבֵל, וּמְלֹאָהּ. (תהלים נ: יב)12 Dussé-je avoir faim, je ne te le dirais pas, car l’univers, avec ce qu’il renferme, m’appartient. (Psaume 50: 12).

Nous retrouvons dans ce verset le possessif “à moi”לִי, tel qu’il apparaît dans notre parashah: “וְיִקְחוּ-לִי qu’ils prennent pour moi;   תְּרוּמָתִי mon prélèvement”. Comme le monde est à l’Eternel, ainsi par voie de conséquence, tout prélèvement que feraient les fils d’Israël appartient en fait à l’Eternel.  

Mais si l’Homme apporte ce qui appartient déjà à l’Eternel, comment expliquer que ce prélèvement puisse être considéré comme une offrande, un sacrifice ou un don ?

Or, cette Terouma, ce prélèvement qui appartient à l’Eternel, doit Lui revenir, non point automatiquement, mais par la volonté de l’Homme, de tout homme qui, ce faisant, démontre son attachement à “écouter” la Parole de l’Eternel, et à la pratiquer “נַעֲשֶׂה וְנִשְׁמָע Nous ferons et nous écouterons/ comprendrons” (Exode 24: 7): יִדְּבֶנּוּ לִבּוֹ /YDVeNou LiBo signifiant “au cœur volontaire” – la racine verbale étant ici “נ.ד.ב./N. D.B[V] se porter volontaire”.

L’Homme participe à la Création divine en rajoutant une part de lui-même, à savoir son propre cœur, sa propre personne:

ד וְהֶבֶל הֵבִיא גַם-הוּא מִבְּכֹרוֹת צֹאנוֹ וּמֵחֶלְבֵהֶן וַיִּשַׁע יְהוָה אֶל-הֶבֶל וְאֶל-מִנְחָתוֹ. (בראשית ד: ד)4 et Abel offrit, lui aussi, des premiers-nés de son bétail, de leurs parties grasses. Le Seigneur se montra favorable à Abel et à son offrande (Genèse 4 : 4).

L’on explique généralement que l’Eternel accepte les sacrifices d’Abel (הֶבֶל Hevel) contrairement à ceux de Caïn en raison de la qualité de ces derniers. Cette affirmation peut-elle se suffire à elle-même si l’on reconnaît que toute la Création appartient à l’Eternel ? Pourquoi les meilleures parties des brebis d’Abel seraient-elles préférables aux simples fruits de Caïn qui, rappelons-le, est le premier à prélever de ses propres fruits, suivi dans son acte de don par son frère Abel?

L’on peut avancer une nouvelle réflexion reposant sur les mots ” גַם-הוּא, Gam Hou” qui, généralement traduit par “lui aussi” (soit consécutivement à Caïn), peut être compris dans un sens plus intérieur “Aussi lui-même”. Abel inclut en plus de son sacrifice sa propre personne, son propre cœur, sa propre intériorité. Ce n’est donc point le sacrifice en soi qui importe le plus mais la pureté et l’intention qui l’emportent. C’est précisément ce que signifie la réponse du Seigneur à l’offrande de Caïn et d’Abel: il a vu l’intériorité du cœur de chacun d’eux et a pris sa décision en fonction. Le fait que le nom de chacun des frères figure en premier et seulement après leur offrande, signifie qu’en fait, l’Eternel n’a pas vu l’offrande en elle-même, car l’offrande représente l’intériorité du cœur de l’offrant, mais plutôt le cœur de chacun des frères tel qu’il est. Caïn, en offrant “du produit de la terre”, prouve qu’il ne donne point de lui-même dans cette offrande, tandis qu’Abel présente de lui-même, symbolisé par les pronoms: ” צֹאנוֹ son bétail”, et même “מִבְּכֹרוֹת צֹאנוֹ les premiers-nés de son bétail“. Il choisit son offrande, il ne donne pas de “ce qui lui vient sous la main” comme Caïn en donne l’impression.  

ג וַיְהִי מִקֵּץ יָמִים וַיָּבֵא קַיִן מִפְּרִי הָאֲדָמָה מִנְחָה לַיהוָה. ד וְהֶבֶל הֵבִיא גַם-הוּא מִבְּכֹרוֹת צֹאנוֹ וּמֵחֶלְבֵהֶן וַיִּשַׁע יְהוָה אֶל-הֶבֶל וְאֶל-מִנְחָתוֹ. ה וְאֶל-קַיִן וְאֶל-מִנְחָתוֹ לֹא שָׁעָה וַיִּחַר לְקַיִן מְאֹד וַיִּפְּלוּ פָּנָיו. (בראשית ד: ג-ה)3 Au bout d’un certain temps, Caïn présenta, du produit de la terre, une offrande au Seigneur; 4 et Abel offrit, de son côté, des premiers-nés de son bétail, de leurs parties grasses. Le Seigneur se montra favorable à Abel et à son offrande, 5 mais à Caïn et à son offrande il ne fut pas favorable; Caïn en conçut un grand chagrin, et son visage fut abattu. (Genèse 4: 3-5).

De même, l’Eternel enjoint à Samuel “de voir l’intérieur du cœur” dans sa quête du futur oint d’Israël- David:

ז כִּי לֹא, אֲשֶׁר יִרְאֶה הָאָדָם כִּי הָאָדָם יִרְאֶה לַעֵינַיִם, וַיהוָה יִרְאֶה לַלֵּבָב. (שמואל א, טז: ז)7 Ce que voit l’homme ne compte pas: l’homme ne voit que l’extérieur, L’Eternel regarde le cœur.” (I Samuel 16: 7).

Les Sages en déduisent:

 רַחֲמָנָא לִבָּא בָּעֵי (זוהר לפי תלמוד בבלי סנהדרין ק: ב).

“Le Miséricordieux désire le cœur” (Zohar d’après le Talmud de Babylone Sanhedrin 100 b).

Ainsi tous les matériaux précieux, toutes les plantes et tous les animaux entrant dans la composition de la Tente sont sanctifiés, élevés par le cœur de l’Homme totalement disposé à rendre hommage au Maître du monde.  

Sur le modèle de la Création macrocosme divin, la Tente du Rendez-Vous, microcosme de cette même Création – témoigne de la contribution active d’Israël à vouloir construire un monde meilleur :

ט כְּכֹל, אֲשֶׁר אֲנִי מַרְאֶה אוֹתְךָ אֵת תַּבְנִית הַמִּשְׁכָּן וְאֵת תַּבְנִית כָּל-כֵּלָיו וְכֵן תַּעֲשׂוּ. (שמות כה: ט)9 selon tout ce que, moi, je te fais voir, le modèle de la demeure et le modèle de tous ses objets, vous les ferez ainsi. (Exode 25 : 9).

La racine verbale du verbe תַּעֲשׂוּ ע.שׂ.י[ה], Ayn-S-Y[H], traduite par “faire” ou “exécuter une action” signifie  “améliorer, embellir, réparer”. Cette notion d’embellissement et de réparation est si fondamentale que cette racine constitue dans la parashat Terouma la racine-clé par excellence (chapitre 25: 23 fois; chapitre 26: 25 fois; chapitre 27: 9 fois) .

Cette Réparation du monde – /תִּיקּוּן הָעוֺלָםTikkoun HaOlam – commence avant tout par soi-même.

Ainsi l’action mue par un cœur volontaire et “gratificateur”, comme le traduit le grand traducteur et humaniste André Chouraqui, constitue le remède royal à l’édification d’un monde dépourvu de violence. Les massacres perpétrés le 7 octobre 2023 par les membres terroristes du Hamas à l’encontre de nourrissons, d’enfants, de femmes et d’hommes ont révélé combien la société civile israélienne était forte, soudée par le lien indéfectible et inaliénable du don de soi, תְּרוּמָה Terouma (Pour les Sages de la Mishna, la racine verbale du mot Terouma n’est pas R.Ou.M- ר.ו.מ.. mais T.R.M. (ת.ר.מ./. Il n’est pas un seul citoyen israélien, pas une seule citoyenne israélienne qui n’ait pas donné de sa personne (don de sang et d’organes), de son temps, de son savoir et de son argent pour venir en aide aux familles d’otages, aux familles de soldats tombés au combat, aux soldats blessés, aux veuves et aux orphelins, aux familles sans emploi après le drame du 7 octobre. Toutes et tous répondent au rendez-vous de cet amour du prochain que seul le don de soi peut exprimer de la manière la plus noble qui soit.

Aujourd’hui la Tente du Rendez-Vous, dont les mesures sont définies dans la source biblique, s’étend indéfiniment à l’ensemble de la nation d’Israël!

La racine verbale du substantif תְּרוּמָה teROuMah – R.Ou.M. /ר.ו.מ.   signifie “élever, relever”. Autrement dit, les hommes, en offrant une part d’eux-mêmes, en sacrifiant volontairement une grande part de leur intériorité dans un dessein d’altruisme désintéressé, non seulement s’élèvent spirituellement mais aussi relèvent l’Humanité de ses cendres. 

C’est la raison pour laquelle la Présence divine – la שְׁכִינָה Chekhinah – ne se révèle point dans la Tente du Rendez-Vous, mais essentiellement dans le cœur de l’Homme lorsque celui-ci se montre disposé à s’ouvrir à l’autre par le don de soi. S’ouvrir à l’Eternel, c’est avant tout s’ouvrir à l’autre!

ח וְעָשׂוּ לִי מִקְדָּשׁ  וְשָׁכַנְתִּי בְּתוֹכָם. (שמות כה: ח)8 Et ils me construiront un sanctuaire, pour que je réside au milieu d’eux (Exode 25: 8).

[1] Parashat Terouma: Exode 25: 1-27: 19.

Shabbat shalom!

Haïm Ouizemann

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J’ai plus de 30 ans d’expérience dans l’étude et l’enseignement de la Bible. Il n’y a pas de limite à ce que la Bible prodigue comme connaissance et inspiration pour la vie.
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